La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Antigone… Quand Sophocle prend rendez-vous avec le contemporain

"Antigone", Théâtre de la Ville, Paris

Dans la mise en scène de Ivo Van Hove, le contemporain fait irruption dans la pièce de Sophocle. Le jeu des comédiens est concis dans la gestuelle et précis dans le verbe avec une Juliette Binoche, dans le rôle d'Antigone, superbe de vérité.



© DR.
© DR.
Un vent balaie la scène où quelques feuilles d'arbre volent, comme une prémisse au destin qui emportera nos personnages. Antigone (Juliette Binoche) va à la rencontre d'Ismène (Kirty Bushell) dans une émotion partagée.

La dualité est l'axe sur laquelle la mise en scène de Ivo Van Hove s'appuie. La scénographie, où est suspendu un grand œil-de-bœuf laissant apparaître, entre autres, des paysages, est découpée entre deux espaces de jeux, la scène centrale et l'avant-scène. La scène centrale est le lieu où la Mort, autour d'Antigone, d'Hémon (Samuel Edward-Cook) et du corps de Polynice, règne ; et où Créon (Patrick O'Kane) décide de condamner à mort ceux qui enterreraient la dépouille de Polynice.

L'avant-scène est quant à elle le lieu où les discussions, le doute et la critique de la condamnation de Créon se déroulent. C'est là aussi où le chœur, composé de Finbar Lynch et Kathryn Pogson, est situé. C'est un espace de réflexion quand la scène est celui de l'action.

Cette dualité met en exergue, face à face, la justice du roi de Thèbes, Créon, qui veut condamner Polynice d'avoir combattu la cité dans un duel mortel avec son frère Etéocle, et la justice des dieux, qui est d'honorer tout mort, et dont Antigone devient le porte-drapeau.

© DR.
© DR.
La musique de Lou Reed accompagne la pièce, apportant un accent tragique. En fond de scène, une vidéo apparaît donnant à la pièce une modernité que l'on retrouve également dans les costumes des personnages. Elle donne toutefois un aspect décalé, énigmatique car n'apportant pas une direction claire à celle-ci.

Les mots semblent pesés, dits avec réflexion et circonspection comme chargés de tragique au travers des sentiments de fureur, de colère, de calme et de frayeur. Ils sont articulés dans une belle et claire élocution avec des silences à la forte présente. La tragédie est portée par des voix profondes, caverneuses ou tranchantes comme des épées. Mais à part celui de Créon, le jeu des personnages est peu physique.

Une légère indétermination voulue dans les regards et attitudes de Juliette Binoche fait d'Antigone une révoltée en proie aux émotions. Elle veut sauver l'honneur de Polynice car c'est de son frère qu'il s'agit et que si le degré de parenté avait été autre, elle aurait accepté la sentence. Le tragique est porté à fleur de peau par la comédienne.

C'est dans cette détermination à la fois objective - "honorer tous les morts" - et subjective - "un frère ne se remplace pas" - que Juliette Binoche fait osciller superbement son personnage entre une obstination sans faille et une grande fragilité émotionnelle.

"Antigone"

© DR.
© DR.
En anglais, surtitré en français.
Texte : Sophocle.
Traduction : Anne Carson.
Mise en scène : Ivo van Hove.
Avec : Juliette Binoche, Obi Abili, Kirsty Bushell, Samuel Edward-Cook, Finbar Lynch, Patrick O'Kane, Kathryn Pogson.
Décor et lumières : Jan Versweyseld.
Composition et création son : Daniel Freitag.
Costumes : An d‘Huys.
Création vidéo : Tal Yarden.
Dramaturgie : Peter van Kraaij.
Durée : 1 h 30.

Du 22 avril au 14 mai 2015.
Du lundi au samedi à 20 h 30 (relâche le vendredi), dimanche à 15 h.
Théâtre de la Ville, Paris 4e, 01 42 74 22 77.
>> theatredelaville-paris.com

Safidin Alouache
Mardi 5 Mai 2015

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024