Quel opéra plus personnel que ces "Scènes lyriques" en trois actes de Piotr Ilitch Tchaïkovski ? Refusant la forme altière de l'opéra traditionnel, le compositeur invente pour ce drame de l'amour bafoué sept tableaux où les solos et ensembles caractérisent des personnages purs comme du cristal (Tatiana, Lenski) ou à jamais énigmatiques (Eugène Onéguine), et des passions qui se déchirent aux yeux de tous. Écrivant à un des moments les plus difficiles de sa vie, cette tragédie de l'amour non réciproque et de la solitude, Tchaïkovski y livre le chant le plus troublant et sans doute la confidence la plus intime de toute son œuvre vocale.
Les interprétations font rage mais le mystère demeure : Eugène Onéguine est-il le double du compositeur ? Tue-t-il le poète Lenski par amour honteux ? Tchaïkovski se retrouve-t-il passionnément dans le beau personnage de la naïve Tatiana, amoureuse éconduite par le vaniteux Eugène ? Sans doute tout cela à la fois, et à n'en pas douter chacun des personnages (sauf la légère Olga) possède-t-il un peu de son âme.
Les circonstances de la composition de l'opéra sont connues : au moment où Tchaïkovski en commence l'écriture en 1877, concevant d'abord la fameuse scène de la lettre où Tatiana Larina avoue son amour à Eugène Onéguine, il en a lui-même reçu une qui va bouleverser sa vie. C'est celle d'Antonina Milioukova qu'il décide d'épouser en quelques semaines, lui offrant "un amour fraternel" - comme Eugène à la fin de l'acte I mais lui, à ce titre, repousse brutalement Tatiana.
Les interprétations font rage mais le mystère demeure : Eugène Onéguine est-il le double du compositeur ? Tue-t-il le poète Lenski par amour honteux ? Tchaïkovski se retrouve-t-il passionnément dans le beau personnage de la naïve Tatiana, amoureuse éconduite par le vaniteux Eugène ? Sans doute tout cela à la fois, et à n'en pas douter chacun des personnages (sauf la légère Olga) possède-t-il un peu de son âme.
Les circonstances de la composition de l'opéra sont connues : au moment où Tchaïkovski en commence l'écriture en 1877, concevant d'abord la fameuse scène de la lettre où Tatiana Larina avoue son amour à Eugène Onéguine, il en a lui-même reçu une qui va bouleverser sa vie. C'est celle d'Antonina Milioukova qu'il décide d'épouser en quelques semaines, lui offrant "un amour fraternel" - comme Eugène à la fin de l'acte I mais lui, à ce titre, repousse brutalement Tatiana.
Le mariage ne tiendra pas un mois, mais l'opéra conçu dans la fièvre d'un drame existentiel et de la découverte du poème narratif de Pouchkine (paru en 1831) est achevé en janvier 1878 ; l'acteur K. S. Chilovski lui apportant une aide substantielle pour le livret. D'une richesse orchestrale et mélodique enivrante, la partition comporte aussi quelques-uns des plus beaux airs de l'opéra russe reliés par des récitatifs raffinés enchâssés dans le plus limpide discours musical qui soit. Disons-le d'emblée, l'orchestre de l'Opéra de Vienne (issu des forces du Wiener Philharmoniker), dirigé par le chef Louis Langrée, offre un miracle de clarté et de souffle lyrique.
Le chef français distille une bouleversante version du drame en obtenant le meilleur des cordes (si vantées à juste titre) et des bois de l'orchestre avec une confondante souplesse de lignes et un sens inné du chant. Ce dernier est bien ce personnage à part entière de l'œuvre, dévoilant les pensées secrètes et les mouvements du cœur, mais aussi ce chœur antique annonciateur et commentateur du drame.
Le chef français distille une bouleversante version du drame en obtenant le meilleur des cordes (si vantées à juste titre) et des bois de l'orchestre avec une confondante souplesse de lignes et un sens inné du chant. Ce dernier est bien ce personnage à part entière de l'œuvre, dévoilant les pensées secrètes et les mouvements du cœur, mais aussi ce chœur antique annonciateur et commentateur du drame.
Un nectar brûlant qui ranime la vision glaciale (dans tous les sens de l'adjectif) de Falk Richter. Le metteur en scène allemand, friand de ce genre d'images dans son théâtre, livre en effet une interprétation ironique et comme paralysée de l'opéra. Le plateau figure un énorme trou noir sans plus de fond que ces quelques couples immobiles qu'on retrouvera dans plusieurs scènes (posant au passage de sérieux problèmes d'équilibre entre scène et fosse dès que les artistes ne chantent pas en bord de plateau - ce qu'ils font souvent fort heureusement).
Le spectateur en est réduit à imaginer le jardin des Larina comme il doit bien accepter le fait que Tatiana dorme dans une sorte de lit igloo ou que la scène de bal du deuxième acte s'organise autour d'une table de banquet de glace. Transposée au vingtième siècle, l'histoire nous emmène de surcroît dans la boîte de nuit des Grémine au troisième acte et bizarrerie amusante mais guère motivée au deuxième, Triquet le précepteur français est un nouveau Karl Lagerfeld venu signer des autographes.
Sans parler des ridicules pitreries des serfs du chœur campagnard au "I" ou des invités de Madame Larina à la fête de Tatiana au "II" (du beau chœur maison), la proposition de Falk Richter se contente de montrer des personnages qui luttent contre le risque de glaciation de leurs sentiments dans cette société aux mœurs qu'il n'épargne pas (donnant au fond raison au mépris d'Onéguine) - une vison des plus originales (dirons-nous charitablement) de "l'habitude" qui remplace "le bonheur" chantée par la mère de Tatiana dans la première scène, et qui donne le fin mot de la destinée de tous dans une sorte de société du spectacle à l'ère glaciaire.
Reste une très belle idée que de représenter sur un écran-voile le nom en russe d'Onéguine extrait de la lettre de Tatiana pendant le premier prélude, montrant cette lettre intégrale au début du deuxième acte devant laquelle l'héroïne éprouvera ensuite les pires tourments - pressentant dans un accès de lucidité le refus d'Onéguine.
Le spectateur en est réduit à imaginer le jardin des Larina comme il doit bien accepter le fait que Tatiana dorme dans une sorte de lit igloo ou que la scène de bal du deuxième acte s'organise autour d'une table de banquet de glace. Transposée au vingtième siècle, l'histoire nous emmène de surcroît dans la boîte de nuit des Grémine au troisième acte et bizarrerie amusante mais guère motivée au deuxième, Triquet le précepteur français est un nouveau Karl Lagerfeld venu signer des autographes.
Sans parler des ridicules pitreries des serfs du chœur campagnard au "I" ou des invités de Madame Larina à la fête de Tatiana au "II" (du beau chœur maison), la proposition de Falk Richter se contente de montrer des personnages qui luttent contre le risque de glaciation de leurs sentiments dans cette société aux mœurs qu'il n'épargne pas (donnant au fond raison au mépris d'Onéguine) - une vison des plus originales (dirons-nous charitablement) de "l'habitude" qui remplace "le bonheur" chantée par la mère de Tatiana dans la première scène, et qui donne le fin mot de la destinée de tous dans une sorte de société du spectacle à l'ère glaciaire.
Reste une très belle idée que de représenter sur un écran-voile le nom en russe d'Onéguine extrait de la lettre de Tatiana pendant le premier prélude, montrant cette lettre intégrale au début du deuxième acte devant laquelle l'héroïne éprouvera ensuite les pires tourments - pressentant dans un accès de lucidité le refus d'Onéguine.
La brillante distribution vocale se montre par ailleurs à même de réchauffer ce tableau désespérant. Si l'Onéguine de Mariusz Kwiecien demeure dans ce spectacle une énigme de bout en bout, promenant pendant tout l'opéra son absence hautaine (n'arrivant cependant jamais à éclipser le souvenir de l'indépassable Hvorostovsky malgré un riche baryton aisé en projection), la Tatiana d'Olga Bezsmertna ravit tous les cœurs par sa fraîcheur et sa spontanéité.
Capable des nuances les plus variées comme des élans les plus émouvants, y compris puissants, la soprano ukrainienne offre la plus belle déclamation qui soit avec l'agilité idoine. Le Lenski du ténor Pavel Cernoch est beau, sans être inoubliable. Il compose un personnage un peu transparent dont on se demande un peu ce que peut lui trouver la mutine Olga (la fine soprano Margarita Gritskova).
Capable des nuances les plus variées comme des élans les plus émouvants, y compris puissants, la soprano ukrainienne offre la plus belle déclamation qui soit avec l'agilité idoine. Le Lenski du ténor Pavel Cernoch est beau, sans être inoubliable. Il compose un personnage un peu transparent dont on se demande un peu ce que peut lui trouver la mutine Olga (la fine soprano Margarita Gritskova).
À côté de la Madame Larina jeune et sexy de Stephanie Houtzeel, mezzo toujours impeccable qui fait ses débuts dans ce rôle à Vienne, le Prince Grémine de Ferruccio Furlanetto est tout simplement extraordinaire. La basse italienne, qui possède une voix précieuse aux profondes harmoniques (il fut lancé par Karajan en son temps), récolte à raison les acclamations du public dans son air touchant de vieil amoureux.
Prochaines dates : mercredi 28 février et samedi 3 mars 2018 à 19 h 30.
Opéra de Vienne.
Opernring 2, Vienne, Autriche.
Tel : + 43 1 513 1 513.
>> wiener-staatsoper.at
Prochaines dates : mercredi 28 février et samedi 3 mars 2018 à 19 h 30.
Opéra de Vienne.
Opernring 2, Vienne, Autriche.
Tel : + 43 1 513 1 513.
>> wiener-staatsoper.at
"Eugène Onéguine" (1879).
Scènes lyriques en trois actes.
Musique et livret de P. I. Tchaïkovski (1840-1893).
En russe surtitré en plusieurs langues.
Durée : 3 h avec un entracte.
Louis Langrée, direction musicale.
Falk Richter, mise en scène.
Martin Kraemer, costumes.
Carsten Sander, lumières.
Joanna Dudley, chorégraphie.
Stephanie Houtzeel, Mme Larina.
Olga Bezsmertna, Tatiana.
Margarita Gritskova, Olga.
Aura Twarowska, Filipevna.
Mariusz Kwiecien, Eugène Onéguine.
Pavel Cernoch, Lenski.
Ferruccio Furlanetto, Prince Grémine.
Pavel Kolgatin, Triquet.
Orchestre et Chœur de l'Opéra de Vienne.
Thomas Lang, Chef des chœurs.
Scènes lyriques en trois actes.
Musique et livret de P. I. Tchaïkovski (1840-1893).
En russe surtitré en plusieurs langues.
Durée : 3 h avec un entracte.
Louis Langrée, direction musicale.
Falk Richter, mise en scène.
Martin Kraemer, costumes.
Carsten Sander, lumières.
Joanna Dudley, chorégraphie.
Stephanie Houtzeel, Mme Larina.
Olga Bezsmertna, Tatiana.
Margarita Gritskova, Olga.
Aura Twarowska, Filipevna.
Mariusz Kwiecien, Eugène Onéguine.
Pavel Cernoch, Lenski.
Ferruccio Furlanetto, Prince Grémine.
Pavel Kolgatin, Triquet.
Orchestre et Chœur de l'Opéra de Vienne.
Thomas Lang, Chef des chœurs.