La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Yvonne, poupée mutique, devient danseuse... Coppélia de chiffon

"Yvonne, princesse de Bourgogne", Théâtre Romain Rolland, Villejuif, Val-de-Marne

Dans "Yvonne, Princesse de Bourgogne" (pièce écrite en 1935), Witold Gombrowicz, de manière spectaculaire, exploite les ressources dramaturgiques de la farce, révèle les mécanismes d’un pouvoir qui se veut absolu et finit criminel.



© Dominique Vallès.
© Dominique Vallès.
La démonstration est implacable. Frappée au coin de l’ironie la pièce déroule le rire et le sarcasme. C’est une tragédie en forme comique. C’est une gageure. Elle offre aux comédiens la possibilité d’une prouesse.

Le fils du roi (histoire d’exercer son bon plaisir) décide d’épouser un laideron, une souillon, Yvonne. Ce pouvoir dévoyé rompt avec tous les codes, sème la zizanie. L’apparente perfection de la vie de la cour se "déguinde" ; réglée comme un système d’horlogerie où chacun est un rouage, elle se déglingue. Les rancœurs, les méchancetés qui circulent cristallisent une victime expiatoire qui, par sa mort, restaurera l’ordonnancement mais étouffera le rire méchant transformé au bout du compte en effroi.

Yvonne est indigente de corps, d’esprit et d’apparence... Yvonne ne dit rien, ne dira rien, hormis un oui unique. Yvonne est mutique. Elle est une énigme.

La proposition scénique de Anne Barbot prend résolument le parti du conte et de la fantasmagorie avec un jeu de masques (dessinés par Yngvild Aspeli) sophistiqué. Elle est plus qu’intéressante, elle est captivante.

Très intelligemment et subtilement, Fanny Santer, qui joue Yvonne (seule sans masque), pratique une forme de théâtre invisible. Elle est une souillon stupéfiée, plongée en catatonie, qui vit le miracle de l’amour. Par l’effet de l’aimant rêvé, attirée par la lumière, elle entre dans les rôles romantiques comme d’autres en religion. Dans l’extase et l’oblation. Dans l’intensité du sentiment de la beauté et du destin.

La poupée de chiffon mutique devient danseuse. Devient musique. Elle est la paysanne de Dom Juan, Lulu, Coppélia, la belle au bois dormant, le lac des cygnes… hallucination.

Autour d’elle, comme un écrin, les autres comédiens dont le jeu de masques imposent des personnages aux caractères puissants ; dont les variations, la plasticité fait ressortir une forme de naturel. Le spectateur captivé assiste à la représentation d’un conte à l’ironie noire : celui du vilain petit canard qui se réveille et se trompe de conte.

"Yvonne, princesse de Bourgogne"

© Dominique Vallès.
© Dominique Vallès.
Texte : Witold Gombrowicz.
Mise en scène : Anne Barbot.
Collaboration artistique : Alexandre Delawarde.
Scénographie : Charlotte Maurel.
Masques : Yngvild Aspeli.
Musique : Vincent Artaud.
Lumières : Fabrice Bihet.
Chorégraphie : Jean-Marc Hoolbecq.
Costumes : Bruno Marchini (Atelier de Costumes du StudioThéâtre d’Asnières).
Avec : Cédric Colas, Aurélie Babled, Daniel Collados, Alexandre Delawarde, Audrey Lamarque, David Lejard-Ruffet , Fanny Santer, Benoît Seguin, Marie-Céline Tuvache, Benoit Dallongeville…
Par la Compagnie Narcisse.

Spectacle du 17 novembre au 3 décembre.
Jeudi et vendredi à 20 h 30, samedi et lundi à 19 h, dimanche à 15 h 30.
Durée : 1 h 50.
Théâtre Romain -Rolland, Scène Églantine, Villejuif (94), 01 49 58 17 00.
>> trr.fr

Jean Grapin
Mardi 29 Novembre 2011

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024