La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Thomas joue ses perruques" Tendre et drôle "postiche" des grandeurs et misères de la comédie humaine…

Ils ont pour prénom Caroline (Caro pour les intimes), Laurence, Benjamin, Stéphanie, Tarek, Isabelle, et… peu importe. On les croise au Super U du coin de la rue ou au Monoprix du quartier, sans les voir (et réciproquement). Mais quand on a pour prénom Thomas et pour nom Poitevin, que l'on a électrisé Instagram par des pastilles virales postées lors du confinement, c'est un don des dieux (qui n'existent pas…) de faire son miel de ces rencontres virtuelles. En naît - sous des postiches capillaires affichés crânement - un seul en scène habité par une foultitude de portraits tout droit sortis des tiroirs de la comédie humaine.



© DR.
© DR.
Cette galerie de personnages hauts en couleurs, toujours brossés avec une tendresse n'excluant aucunement une pointe de dérision, n'existerait pas si elle n'était "chapeautée" par une créatrice ès-perruques ayant, avec la complicité de sa grande sœur, transformé ces communs accessoires en "éléments de réinvention de soi". Travaillant la matière capillaire dans le strict cadre d'une charte environnementale écoresponsable que ne démentirait pas Greta, la susnommée se contorsionne de plaisir en présentant ses perruques religieusement alignées en fond de scène sur un maître-autel où elles trônent en majesté. Son concept "créa-tif", Play & Plug, rejoint les prescriptions de Michel Cymes, le médecin préféré des Français ; c'est peu dire s'il est efficace…

Tout débute, à son corps défendant, par le témoignage bouleversé d'une (encore) jeune femme (Thomas Poitevin affectionne endosser les rôles féminins, plus originaux) s'épanchant avec moult émotions sur un non-événement survenu près de vingt années plus tôt. Le fol récit de sa sortie nocturne en voiture pour rejoindre à ses dix-huit ans le plus proche Mac Do… À proprement parler, inénarrable… tant rien ne se passe si ce n'est les fantasmes paranormaux s'enchaînant jusqu'à voir surgir le visage rassurant de Jean-Jacques Goldman dans les plis de son peignoir. Sous l'emprise d'un adepte des pratiques ésotériques sollicité en urgence, "ami" dont elle a bien du mal depuis à prononcer le prénom, elle sera "sauvée" de sa frayeur d'un soir… mais non des liens créés par l'obscur manipulateur.

© DR.
© DR.
À la fragilité de cette figure féminine, succède un non moins fragile homme participant à un "stage de revalorisation", cadeau de sa copine désireuse d'un mâle accompli. Là, affublé d'une perruque à grandes oreilles dominant un poitrail nu, il s'agite en tous sens sous les exhortations en voix off d'un super coach sportif, guerrier des temps modernes, fils des âges farouches. Puis, une directrice d'une scène nationale se tortillant sur sa chaise, rivalisant de précautions oratoires pour annoncer à un porteur de projet artistique qu'il sera programmé, bien sûr ! À l'horizon 2029… dans un dispositif… "particulier".

Surgit du noir scandant les tableaux, un jeune-homme incarné avec grande justesse. Atteint de troubles psychiques, il semble dialoguer avec son ami imaginaire et les écureuils peut-être, leur contant avec beaucoup d'humour - et un sacré bon sens ! - comment il a su manipuler son thérapeute… Puis, dans l'obscurité feutrée d'une nuit, on entend murmurer une bourgeoise névrosée osant chuchoter à l'oreille de son mari endormi, ce que jamais elle ne pourrait lui confier éveillé. Et ce dont il s'agit n'a rien à voir avec quelques fantaisies inavouables, mais avec sa détestation des références dont il est bon de se réclamer dans un dîner branché…

Personnage en disant long encore sur les conventions sociétales que celui du frère aîné du marié s'apprêtant à convoler avec un homme. Le discours qu'il prononce en la circonstance est pétri d'amour fraternel, mêlé à une gêne palpable lorsqu'il se laisse aller à quelques plaisanteries au goût douteux. En se lançant corps et biens dans un flash-back retraçant "l'appétit précoce de son petit frère pour le sexe fort", il est amené - non sans tendresse, mais ce mot peut rimer aussi avec maladresse - à évoquer quelques anecdotes, "amusantes"… d'un certain point de vue. Les nuances subtiles, relevant de l'équilibre du funambule, entre le versant de l'amour qu'il porte sincèrement à son cadet et celui de l'embarras occasionné par le franchissement d'un tabou familial, sont superbement rendues.

Et pour chute, celle de la rencontre supposée posthume avec un dieu - femme il va s'en dire - d'un père peu enclin à s'en laisser compter. Avant de trépasser ou pas, cet ancien des forces spéciales n'a pas sa pareille pour délivrer à sa fille adulte quelques vérités bien senties sur la manière dont les névroses se reproduisent en milieu familial.

© DR.
© DR.
Ainsi de tableau en tableau, de perruque en perruque, on parcourt avec grâce et humour les méandres d'une comédie humaine à jamais riche de situations risibles, voire carrément drolatiques tant elles cristallisent des travers récurrents. Mais si désopilants soient ces représentants d'une humanité à portée de nous, ils sont éminemment attendrissants. Ce sont leurs faiblesses mêmes qui nous rapprochent d'eux… et nous les font aimer sous l'effet de l'empathie sans réserve que leur témoigne l'auteur de "Les Désespérés ne manquent pas de panache !". Ce titre, donné par Thomas Poitevin à son tout premier seul en scène présenté à Avignon en 2018, à plus d'un titre lui colle étonnamment bien à la peau…

Vu le mardi 6 décembre au Carré-Colonnes - Scène Nationale à Blanquefort (33). A été représenté du mardi 6 au jeudi 8 décembre 2022.

"Thomas joue ses perruques"

© DR.
© DR.
Texte : Thomas Poitevin, Hélène François, Stéphane Foenkinos, Yannick Barbe.
Mise en scène : Hélène François.
Avec : Thomas Poitevin.
Avec les voix de : Thomas Poitevin et Micky Sébastian.
Régie générale (en alternance) : Thibault Marfisi, Jean-Vincent Delaere.
Création lumières : Bastien Courthieu.
Création son : Guillaume Duguet.
Durée : 1 h 20.

Tournée
14 décembre 2022 : Auditorium, Seynod (74).
16 décembre 2022 : Espace Des Arts, Chalon-Sur-Saône (71).
5 janvier 2023 : Espace Alphonse Daudet, Coignères (78).
7 janvier 2023 : Théâtre Georges Simenon, Rosny-sous-Bois (93).
10 janvier 2023 : Quai 9, Lanester (56).
12 janvier 2023 : Théâtre, Saint-Lo (50).
14 janvier 2023 : Le Figuier Blanc, Argenteuil (78).
18 et 19 janvier 2023 : Le Grand R, La-Roche-Sur-Yon (85).
21 janvier 2023 : Salle Avel Dro, Plozevet (29).
26 et 27 janvier 2023 : Théâtre Jacques Bodoin, Bourg-en-Bresse (01).
Du 31 janvier au 18 février 2023 : Théâtre du Rond-Point, Salle Renaud-Barrault, Paris.
21 février 2023 : Théâtre du Velain, Villefontaine (38).
24 février 2023 : Centre Culturel L'aqueduc, Dardilly (69).
28 février et 1er mars 2023 : Scène nationale du Sud Aquitain, Bayonne (64).
4 mars 2023 : La Capellia, La-Chapelle-sur-Erdre (44).
7 mars 2023 : Espace Culturel Boris Vian, Les Ulis (91).
10 mars 2023 : Théâtre Jean Marais, Saint-Gratien (80).
11 mars 2023 : Salle Cassin, Lardy (91).
14 mars 2023 : L'onde, Vélizy (78).
16 mars 2023 : Théâtre du Fil de L'eau, Pantin (93).
17 mars 2023 : Le Tangram, Evreux (27).
20 mars 2023 : Fontainebleau (77).
22 mars au 1er avril 2023 : Théâtre de la Toison D'or, Bruxelles (Belgique).
4 avril 2023 : Théâtre Sénart, Lieusaint (77).
5 avril 2023 : Forum Jacques Prévert, Carros (06).
7 avril 2023 : Le Printemps du Rire, Toulouse (31).

Yves Kafka
Mardi 13 Décembre 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024