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Avignon 2021

•Off 2021• La Grande Musique Un petit air entêtant qui s'échappe des décombres de l'histoire

Tout est affaire de personnes. Ici, ce sont des générations de femmes, mère, fille, petite-fille, arrière-petite-fille qui sont les moteurs de l'histoire. Il y a tout en haut de l'arbre, Frieda, puis sa fille Marcella, sa fille Nelly, sa fille Esther. Et dans cette longue généalogie, un vide, un trou, un oubli, une série de questionnements que l'on ne prend jamais le temps de poser, mais qui forme comme un pilier vide au centre des constructions de chaque nouvelle génération.



© Cédric Vasnier/Prismo Production.
© Cédric Vasnier/Prismo Production.
"La Grande Musique" s'intéresse à ces secrets de famille qui se voudraient enfouis dans l'oubli, mais qui reviennent hanter des générations plus tard, sous des formes étranges. En jargon scientifique, cela se nomme la psychogénéalogie. En langue théâtrale, c'est sous la forme d'un personnage appelé Marcel que cet héritage involontaire se transmet. Marcel, interprété avec une grâce gestuelle et une sincérité impressionnante par Brice Hillairet, est donc ce fantôme qui servira d'intermédiaire entre nous et cette histoire. Marcel, qui surgit du passé, un passé lointain comme un autre monde : le camp de Mauthausen en 1945.

Esther, la dernière de cette lignée de filles, s'échappe une nouvelle fois de son mariage, en pleine cérémonie. Pourquoi ? Elle ne sait pas. Comme elle ne sait pas tant d'autre chose du passé de sa famille, de cette généalogie féminine vaporeuse comme une dentelle ajourée. C'est comme si ces secrets, ce silence, explosaient soudain sous forme de réactions irraisonnées. Sur scène, il apparaît sous les traits fantomatiques de Marcel, ce silence. La pièce retracera cette quête de la vérité, dure vérité, touchante, tragique, inattendue.

© Cédric Vasnier/Prismo Production.
© Cédric Vasnier/Prismo Production.
Le texte de Stéphane Guérin, extrêmement ciselé, nous emporte sur le rythme de scènes courtes et très vivantes, au travers de différentes époques, à la quête de ce passé perdu, mais qui ne cesse malgré tout d'engendrer des séquelles chez chacune de ces femmes. Une vraie performance stylistique que d'être parvenu sans lourdeur à mettre en mots tous ces éléments narratifs, toutes ces péripéties qu'il serait vain de résumer ici. Une performance à laquelle il joint la sensible collision entre la grande histoire, celle de l'obscure terreur nazie, et les petites histoires, celles de Frieda et Marcel, dont les vies furent totalement bouleversées par ce chaos mondial.

Un chaos originel, aussi sismique pour ces générations de filles, que le big bang, puisqu'il semble, des dizaines d'années plus tard, continuer à cogner aux portes des corps pour qu'on le laisse entrer.

Pour incarner cette partition qui surfe sur la noirceur de la vie sans jamais sombrer dans le pathétique, au contraire, privilégiant à chaque fois la vitalité, le rire, la naissance, un casting sans failles : Hélène Degy, Raphaëline Goupilleau, Pierre Hélie, Brice Hillairet, Étienne Launay, Bernard Malaka créent chacun un ou plusieurs personnages avec talent. Leurs jeux s'harmonisent et se répondent parfaitement malgré le rythme soutenu des changements de scènes. Ils passent de la légèreté au drame avec beaucoup de grâce.

© Cédric Vasnier/Prismo Production.
© Cédric Vasnier/Prismo Production.
En cela, la mise en scène de Salomé Villiers est très réussie. Elle impose des transitions vives nécessaires entre les scènes qui se déroulent dans différents lieux, différents temps, dans un décor unique et cela fonctionne à merveille grâce à une conduite lumière de Denis Koransky et une musique de Raphaël Sanchez qui suggèrent et soulignent avec justesse les ambiances et les dimensions oniriques.

Mauthausen fut le premier camp concentrationnaire construit par les nazis en Autriche. Camps de travail obligatoire destinés à tous ceux que le régime nazi considérait comme ennemi ou comme nuisible. Les prisonniers étaient utilisés comme ouvriers dans les usines. Beaucoup, beaucoup sont morts. C'est dans ce puits de monstruosité creusé par l'Histoire que le récit de "La Grande Musique" a puisé son origine et le fil de cette histoire de femme, d'héritage, de génération. Un spectacle où le profond, le rire et l'imaginaire jonglent avec l'émotion.

Vu au Théâtre La Bruyère, Paris, le 17 juin dans le cadre du Phénix Festival 1re édition.

"La Grande Musique"

Texte : Stéphane Guérin.
Mise en scène : Salomé Villiers.
Assistant mise en scène : Pablo Haziza.
Avec : Hélène Degy, Raphaëline Goupilleau, Pierre Hélie, Brice Hillairet, Étienne Launay, Bernard Malaka.
Collaboration artistique : Frédéric de Brabant.
Musique originale : Raphaël Sanchez.
Scénographie : Georges Vauraz.
Lumière : Denis Koransky.
Régie : Mathilde Monier.
Durée : 1 h 30.

•Avignon Off 2021•
Du 7 au 31 juillet 2021.
Tous les jours à 19 h 20, relâche les 13, 20, et 27 juillet.
Théâtre Buffon, 18, rue Buffon, Avignon.
Réservations : 04 90 27 36 89.
>> theatre-buffon.fr

Bruno Fougniès
Mercredi 23 Juin 2021

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À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024