La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Une "Traviata" de rêve à l'Opéra de Bordeaux

L'opéra de Verdi, dans une mise en scène adaptée de Pierre Rambert, brille par sa distribution de haut vol et un orchestre inspiré sous la baguette de l'excellent directeur musical maison, Paul Daniel. Le couple formé par le ténor Benjamin Bernheim et la soprano Rachel Willis-Sørensen fera date.



© Éric Bouloumie/OnB.
© Éric Bouloumie/OnB.
Après six mois de diète lyrique, c'est un vrai bonheur de retrouver la scène, des chanteurs, un orchestre dans une fosse (celle de l'Auditorium, la plus grande d'Europe, idéale pour respecter la distanciation entre musiciens) et les frissons d'émotion qui traversent une salle quand la soirée est réussie. Outre la situation particulière actuelle, cette "Traviata" à Bordeaux constitue, sans aucun doute, un événement à plus d'un titre. C'est la dernière saison de Paul Daniel à Bordeaux (on le regrette déjà) ; c'est l'un des derniers Alfredo de B. Bernheim (a-t-il fait savoir) et c'est une prise de rôle magistrale pour la soprano américaine Rachel Willis-Sørensen. Une Violetta plus qu'impressionnante en toute honnêteté.

Une bonne "Traviata" est de surcroît réussie si le baryton interprétant le père d'Alfredo, Giorgio Germont, est grand, tant la dramaturgie de l'opéra repose sur ce trio "familial" infernal - où la loi patriarcale (agent du destin) s'oppose au désir et à l'amour. Lionel Lhote est ici un très grand Giorgio Germont, à n'en pas douter. Avec son timbre superbement profond, son phrasé artiste, le chanteur belge parvient à doter son personnage d'une complexité rare. Impossible de le détester tout à fait.

© Éric Bouloumie/OnB.
© Éric Bouloumie/OnB.
En Violetta, Rachel Willis-Sørensen est magnifique. Elle est non seulement très belle, mais ses moyens vocaux sont tels (dans tous les registres, possédant à l'envi toutes les techniques nécessitées par ce rôle écrasant) qu'ils semblent outrer les dimensions de l'Auditorium - à l'excellente acoustique comme on le sait. Son incarnation, qui s'affinera avec l'expérience, est souvent bouleversante, toujours délectable. Elle est cette "prima donna de première force" que réclamait Verdi.

On a déjà écrit ailleurs tout le bien que l'on pense de Benjamin Bernheim. Son Alfredo à la vocalité sensuelle, comme déjà entendu à Paris en 2019, est non moins magnifique. Mais son personnage se pare ici d'un raffinement rendu sans doute possible par la proximité de la scène et du public. Les deux chanteurs se complètent idéalement. Comme on dit, le courant passe.

Avec un chœur bien préparé par son chef Salvatore Caputo, on apprécie aussi des seconds rôles qui parviennent aisément à s'individualiser - pour retenir notre attention. Citons, entre autres, Julie Pastouraud en Annina et Ambroisine Bré, mutine Flora. De la fosse, l'orchestre est le personnage à part entière que l'on espère. Raffiné dans l'ouverture jusqu'au déchirement, et à l'exception d'une petite harmonie un peu dépassée dans le premier acte, il se révèle tour à tour imposant (arrivée du Père au II), rayonnant dans le troisième acte, et finalement tragique.

© Éric Bouloumie/OnB.
© Éric Bouloumie/OnB.
À sa tête, Paul Daniel nous offre une ligne souple, une science des dynamiques, des climats bien contrastés. On l'aura compris, c'est un spectacle à ne pas rater. Une deuxième distribution prometteuse est proposée certains soirs (Elbenita Kajtazi, Kévin Amiel, Anthony Clark).

"La Traviata"
Opéra en 3 actes de Verdi créé à La Fenice de Venise le 6 mars 1853.
Musique de Giuseppe Verdi.
Livret de Francesco Maria Piave d'après La Dame aux Camélias d'Alexandre Dumas fils.
Direction musicale : Paul Daniel.
Mise en scène : Pierre Rambert.
Décors : Antoine Fontaine.
Costumes : Franck Sorbier.
Lumières : Christophe Forey.

Jusqu'au 27 septembre 2020.
Opéra national de Bordeaux-Aquitaine.
Auditorium.
8, Cours Georges Clémenceau, Bordeaux.
Tél. : 05 56 00 85 95.
>> opera-bordeaux.com

Concert enregistré par France Musique pour une diffusion prévue le 3 octobre 2020.

Christine Ducq
Mardi 22 Septembre 2020

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024