Guennadi Rozhdestvensky © DR.
Le compositeur écoute de toutes ses forces les bruits de bottes, les claquements de portières, les voix inconnues qui donnent des ordres. Il est paralysé de terreur, comme tous les habitants de l’immeuble maintenant réveillés. C’est le NKVD (1). Qui viennent-ils arrêter cette fois ?
Ce n’est pas le compositeur que la police secrète de Staline vient arrêter cette nuit-là - pas encore (2) - en ces temps de grandes purges dans la société soviétique, prélude aux grands procès de 1937. Mais le danger est réel : Chostakovitch vient de lire dans la Pravda un article anonyme sur son nouvel opéra "Lady Macbeth of Mzensk", qui vient d’être joué à Moscou devant le "Petit Père des Peuples".
Émanant directement du Kremlin, la critique est sévère. Et menaçante. L’auteur accuse Chostakovitch de "formalisme petit-bourgeois", traite son œuvre de "galimatias musical" (en cause : son style, son sujet et son grand succès dans toute l’URSS) et conclut sinistrement qu’il s’agit "d’un jeu qui pourrait mal finir". Le genre de remarque qui vous envoie alors directement au Fort de Lefortovo, antichambre de la Sibérie. Ou de l’exécution pure et simple dans les caves de la forteresse policière.
Quelques mois plus tard, les répétitions de la Symphonie n’4 en ut mineur, que Chostakovitch vient d’achever, sont retirées du programme du concert de l’Orchestre philharmonique de Leningrad - que ce dernier devait pourtant créer. Il faudra au compositeur persécuté attendre la déstalinisation, en 1961, pour la voir jouée. À l’Ouest, le chef Guennadi Rozhdestvensky est un des premiers à la populariser à la même époque.
Ce n’est pas le compositeur que la police secrète de Staline vient arrêter cette nuit-là - pas encore (2) - en ces temps de grandes purges dans la société soviétique, prélude aux grands procès de 1937. Mais le danger est réel : Chostakovitch vient de lire dans la Pravda un article anonyme sur son nouvel opéra "Lady Macbeth of Mzensk", qui vient d’être joué à Moscou devant le "Petit Père des Peuples".
Émanant directement du Kremlin, la critique est sévère. Et menaçante. L’auteur accuse Chostakovitch de "formalisme petit-bourgeois", traite son œuvre de "galimatias musical" (en cause : son style, son sujet et son grand succès dans toute l’URSS) et conclut sinistrement qu’il s’agit "d’un jeu qui pourrait mal finir". Le genre de remarque qui vous envoie alors directement au Fort de Lefortovo, antichambre de la Sibérie. Ou de l’exécution pure et simple dans les caves de la forteresse policière.
Quelques mois plus tard, les répétitions de la Symphonie n’4 en ut mineur, que Chostakovitch vient d’achever, sont retirées du programme du concert de l’Orchestre philharmonique de Leningrad - que ce dernier devait pourtant créer. Il faudra au compositeur persécuté attendre la déstalinisation, en 1961, pour la voir jouée. À l’Ouest, le chef Guennadi Rozhdestvensky est un des premiers à la populariser à la même époque.
© Wladimir Polak.
Il est un familier de Chostakovitch, qui lui a dédié certaines de ses œuvres. Imaginez mon émotion : je vais voir pour la première fois à la salle Pleyel ce chef d’orchestre né en 1931, ce monument de l’histoire musicale russe, une vraie légende à qui Bruno Monsaingeon a consacré deux films ! Et pour diriger cette mythique et malheureuse 4e symphonie ! Je ne suis pas la seule : un public nombreux se presse dans la belle salle art déco.
Et nous ne serons pas déçus. Reflet de l’état mental souffrant du musicien isolé et attaqué - insomnie, dépression et moments de révoltes -, la 4e Symphonie déploie, dans sa tonalité en ut mineur, tous les prestiges d’une fresque grandiose et parfois subtilement malhérienne. Son écriture très chostakovienne (sans aucun compromis aux canons réalistes-socialistes) recourt à l’ample forme sonate et parfois même au poème symphonique le plus sombre, plein de fulgurances de couleurs et de timbres.
Ce qui donne l’occasion à un énorme orchestre (certains pupitres voient leur effectif quadrupler !) d’interpréter une œuvre d’une stupéfiante puissance, avec ces dialogues, ces rivalités, ces déchirements et ces moments largo de pure harmonie entre les cordes, les vents, les percussions, les cuivres. On est comme transporté dans un autre espace, celui d’une mort et d’une renaissance, au-delà des ténèbres de l’âme. Une œuvre véritablement cosmique.
Et nous ne serons pas déçus. Reflet de l’état mental souffrant du musicien isolé et attaqué - insomnie, dépression et moments de révoltes -, la 4e Symphonie déploie, dans sa tonalité en ut mineur, tous les prestiges d’une fresque grandiose et parfois subtilement malhérienne. Son écriture très chostakovienne (sans aucun compromis aux canons réalistes-socialistes) recourt à l’ample forme sonate et parfois même au poème symphonique le plus sombre, plein de fulgurances de couleurs et de timbres.
Ce qui donne l’occasion à un énorme orchestre (certains pupitres voient leur effectif quadrupler !) d’interpréter une œuvre d’une stupéfiante puissance, avec ces dialogues, ces rivalités, ces déchirements et ces moments largo de pure harmonie entre les cordes, les vents, les percussions, les cuivres. On est comme transporté dans un autre espace, celui d’une mort et d’une renaissance, au-delà des ténèbres de l’âme. Une œuvre véritablement cosmique.
Comment décrire la prestation de l’Orchestre de Paris ? Elle est tout simplement brillante, sous la baguette géniale de Rozhdestvensky. Ils se connaissent depuis 1999. Et le vieux directeur de 81 ans, vieillard chenu en apparence, mais solide comme un chêne - il dirige debout pendant une heure et demie - semble un magicien. Économe de ses gestes, on dirait qu’il fait jouer les musiciens comme par enchantement. Et eux ont le regard aimanté vers lui.
Nous avons vécu ce 24 octobre un moment exceptionnel, clos comme il se doit par les acclamations du public parisien. Facétieux, le chef russe lui a montré la partition, pour rendre hommage à plusieurs décennies de distance à un des dieux de la musique du XXe siècle, Dimitri Chostakovitch.
Nous avons vécu ce 24 octobre un moment exceptionnel, clos comme il se doit par les acclamations du public parisien. Facétieux, le chef russe lui a montré la partition, pour rendre hommage à plusieurs décennies de distance à un des dieux de la musique du XXe siècle, Dimitri Chostakovitch.
Notes :
(1) NKVD, ancêtre du KGB.
(2) Chostakovitch sera plusieurs fois menacé, interrogé et sera sauvé in extremis d’une condamnation. L’officier instructeur en charge de son dossier ayant été exécuté avant qu’il ait fini !
Concert entendu le 24 octobre 2012 (Votre reporter, étant arrivée en retard, n’a pu entendre correctement la première partie du concert : une fantaisie au piano jouée par la femme du chef d’orchestre, la pianiste Viktoria Postnikova).
Programme :
Piotr Igor Tchaïkovski (1840 - 1893), Fantaisie pour piano et orchestre en sol majeur, opus 56.
Dimitri Chostakovitch (1906 - 1975), Symphonie n°4 en ut mineur, opus 43.
Guennadi Rozhdestvensky, direction.
Viktoria Postnikova, piano.
Orchestre de Paris.
Roland Daugareil, violon solo.
(1) NKVD, ancêtre du KGB.
(2) Chostakovitch sera plusieurs fois menacé, interrogé et sera sauvé in extremis d’une condamnation. L’officier instructeur en charge de son dossier ayant été exécuté avant qu’il ait fini !
Concert entendu le 24 octobre 2012 (Votre reporter, étant arrivée en retard, n’a pu entendre correctement la première partie du concert : une fantaisie au piano jouée par la femme du chef d’orchestre, la pianiste Viktoria Postnikova).
Programme :
Piotr Igor Tchaïkovski (1840 - 1893), Fantaisie pour piano et orchestre en sol majeur, opus 56.
Dimitri Chostakovitch (1906 - 1975), Symphonie n°4 en ut mineur, opus 43.
Guennadi Rozhdestvensky, direction.
Viktoria Postnikova, piano.
Orchestre de Paris.
Roland Daugareil, violon solo.
© Mirco Magliocca.