La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"4.48 Psychose" Un cri poétique, intense, existentiel… singulier et intime !

Sarah Kane, dramaturge anglaise, a marqué, sur une courte période, avec quatre créations, de sa signature artistique le monde théâtral. Florent Siaud met en scène la dernière pièce de celle-ci dans une superbe interprétation de Sophie Cadieux. Ce seul en scène crée, avec un vrai talent, un tourbillon autant intense qu'intime d'un être en proie à son questionnement et au désespoir qui en émane.



© Nicolas Descôteaux.
© Nicolas Descôteaux.
Elle arrive du public pour aller sur les planches, habillée de laine blanche des pieds à la tête. Elle se déshabille peu à peu de son costume durant toute la représentation. Elle, c'est Sophie Cadieux qui incarne les deux personnages de la dernière création de Sarah Kane (1971-1999), la dramaturge britannique qui a bouleversé en quelques années la scène théâtrale britannique et mondiale, et ce, dès sa première pièce, "Blasted" ("Anéantis").

"4.48 Psychose" (4.48 Psychosis), qui fut terminée peu avant qu'elle ne se suicide à l'âge de 28 ans, est une œuvre forte, notamment par le thème traité, portée par une poésie qui ne recule devant aucun tourment pour lancer ses cris. C'est une mise à nu imagée, reflet de l'expression du tréfonds psychique d'un personnage, sans nom, qui peut être de tout sexe, face à lui-même et à un autre caractère, médecin de l'âme peut-être. Autour d'un impossible dialogue, les répliques sont comme des gâchettes qui fusent.

Dans ce verbe, qui sait se faire aussi corporel, la protagoniste, qui se dédouble dans le jeu entre les deux caractères qui portent respectivement sa maladie et sa possible résurrection, est à fleur de peau. La poésie s'écorche dans une gestuelle qui est parfois brutale, souvent profonde, car intérieure, la voix se faisant l'écho des tourments de celle-ci.

© Nicolas Descôteaux.
© Nicolas Descôteaux.
Elle sait qu'elle est définitivement seule et pourtant s'anime en elle des forces contraires où vient se nourrir un appel lancé derrière une porte fermée, comme cadenassée par un désespoir profond que rien ne peut conforter. Elle est tiraillée par une force qui la questionne sur son rapport au monde, aux autres et à soi. Et ces interrogations la font tenir debout. Comme un dernier cri jusqu'au drame final afin de trouver la clé cassée qui pourrait ouvrir une porte sans serrure.

Tout s'anime avec une voix et un corps, éléments de rupture, marqués par des évolutions et des transformations en écho à une parole écorchée. De ce personnage sur lequel semble s'écouler tout le désespoir d'une force ayant pour seul horizon un raccrochement à la vie qui glisse vers de sombres abîmes, c'est le combat d'un être devant l'existence. La dernière œuvre de Sarah Kane a été écrite quelques semaines avant qu'elle ne se suicide avec ses lacets dans les toilettes d'un hôpital.

Dramaturge brillante dont les critiques et exégèses commencent aujourd'hui à comprendre l'unicité et la qualité de son œuvre, sa poésie est à la fois douce, onctueuse et violente, car habillée d'une dynamique stylistique que les mots rassasient en étant colportés par un rythme heurté qui la sous-tend. Sophie Cadieux en est le flambeau. Elle est rayonnante de talent dans son interprétation.

© Nicolas Descôteaux.
© Nicolas Descôteaux.
Sa voix interpelle, prend des directions différentes, quand le corps bouscule le décor, repousse une chaise et ouvre un rideau de chaîne dorée. Seule, elle embrasse toute la scène par sa présence. Unique et profonde, elle incarne les mots de Sarah Kane qui s'envolent en fuyant toute banalité. Cette envolée n'est pas que poétique, elle est surtout le reflet de ce qui pose question, presque existentielle, d'un rapport à soi et à l'autre. Chaque mot est un cri, sa poésie, une revendication contre soi, pour parler de soi, devant elle-même et face à un autre, bien qu'elle sache qu'elle ne peut être entendue.

Sophie Cadieux est dans un rapport scénique où son corps, silencieux, fait place à une voix caverneuse et profonde. Celui-ci intervient ainsi en premier, de façon silencieuse, puis beaucoup plus brutale, accompagné d'une parole de plus en plus animée, pour finir avec un corps physiquement inerte et une parole absente. Dans ce va-et-vient entre silence, rupture et tension, le personnage incarné par Sophie Cadieux est sur une ligne de crête entre la vie et la mort.
C'est superbe et intense !
◙ Safidin Alouache

"4.48 Psychose"

© Nicolas Descôteaux.
© Nicolas Descôteaux.
Texte français : Guillaume Corbeil.
Mise en scène : Florent Siaud.
Assistante à la mise en scène : Valéry Drapeau.
Avec : Sophie Cadieux.
Scénographie, costumes : Romain Fabre.
Lumières : Nicolas Descôteaux.
Vidéo : David B. Ricard.
Conception sonore : Julien Éclancher.
Compagnie Les songes turbulents.
Durée : 1 h.

La pièce s'est jouée du 27 novembre au 7 décembre 2024 au Théâtre Paris-Villette, Paris.

Tournée
10 et 11 décembre : l'Espace Jean Legendre, Compiègne ​(60).
28 et 29 janvier : Théâtre de la Ville - Sarah Bernhardt, Paris 4e.

Safidin Alouache
Lundi 30 Décembre 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024