"Ceci n'est pas du Beckett", mais l'une de ses représentations, pourrait-on dire en plagiant René Magritte ("La trahison des images"). Autant dire, une gageure pour celui qui joua naguère "En attendant Godot" de porter à la scène ce roman foisonnant, aux antipodes de l'écriture à l'os du dramaturge irlandais. Grâce à la complicité du comédien au physique "taillé pour", Bernard Blancan - excellent dans ce rôle, si bien que lorsque le portrait de Beckett apparaîtra en surimpression on aura l'impression d'un fondu enchaîné - il réussit à extraire l'essence du texte de la romancière, en le donnant à entendre dans une mise en jeu séduisante.
Sur le petit plateau du Théâtre des Beaux-Arts, une chambre avec lit médicalisé - celui occupé par le vieux Sam - apparaît derrière un voile où viendront s'inscrire des extraits rendant compte des voix des accompagnants (essentiellement le personnel médical), lorsque celles-ci ne seront pas délivrées en voix off. Sur l'avant-scène, un jardin constitué d'un gazon artificiel et de fleurs qu'arrosera régulièrement un passant égaré (Guy Lenoir dans un rôle muet, renvoyant à un Vladimir compulsif et privé de parole) s'aventurant parfois sur scène, comme des traces hallucinatoires des personnages peuplant l'univers de Beckett.
Sur le petit plateau du Théâtre des Beaux-Arts, une chambre avec lit médicalisé - celui occupé par le vieux Sam - apparaît derrière un voile où viendront s'inscrire des extraits rendant compte des voix des accompagnants (essentiellement le personnel médical), lorsque celles-ci ne seront pas délivrées en voix off. Sur l'avant-scène, un jardin constitué d'un gazon artificiel et de fleurs qu'arrosera régulièrement un passant égaré (Guy Lenoir dans un rôle muet, renvoyant à un Vladimir compulsif et privé de parole) s'aventurant parfois sur scène, comme des traces hallucinatoires des personnages peuplant l'univers de Beckett.
Alterneront, avec les comptes rendus médicaux d'une précision clinique méticuleuse relatant par le menu les moindres déplacements et non événements de ce corps sous surveillance constante, les saillies du corps désirant du vieil homme assailli par des bouffées de nostalgie… Ainsi seront évoqués, comme des rêves ou bien des cauchemars éveillés, la lune rousse, celle de James Joyce, l'auteur ami dont il dut à son corps défendant se séparer. Lucia, la fille de Joyce avec laquelle il eut naguère une brève relation avant qu'elle ne soit internée.
Ou encore, sa propre mère qui l'accabla de son amour sombre au point où il aurait souhaité la tuer avant qu'il ne naisse (chronologie, on l'avouera, hautement improbable) afin de lui épargner la souffrance d'une existence torturée. Ses déambulations dans les rues de Dublin et sa baie. La mort prématurée de son père, le silence qui s'ensuivit… résonnant avec les hurlements perçant la cloison de sa chambre. Le passé et le présent confondus dans le même temps. Ainsi de l'ambulance dans laquelle il est conduit, devenant l'écho de celle qu'il conduisait rageusement durant la guerre, à Saint-Lô, entre les ruines de désolation que seule l'ivresse jusqu'à l'aube pouvait dissiper.
Les pensées tournoient en sa tête, l'emportent jusqu'à la colère, pendant que le corps s'exerce à ne pas faillir, à faire sagement les exercices physiques recommandés par le corps médical. "Lui qui était arrivé dans l'existence par accident et resté par négligence. Lui qui avait fait mine d'oublier la solitude. Lui qui plus seul qu'un rat souhaitait l'être au-delà de tout", comment pourrait-il admettre (autodérision assumée) être ce vieillard cacochyme, réduit dans une maison de retraite à un animal de compagnie devant lequel on déblatère ?
Ou encore, sa propre mère qui l'accabla de son amour sombre au point où il aurait souhaité la tuer avant qu'il ne naisse (chronologie, on l'avouera, hautement improbable) afin de lui épargner la souffrance d'une existence torturée. Ses déambulations dans les rues de Dublin et sa baie. La mort prématurée de son père, le silence qui s'ensuivit… résonnant avec les hurlements perçant la cloison de sa chambre. Le passé et le présent confondus dans le même temps. Ainsi de l'ambulance dans laquelle il est conduit, devenant l'écho de celle qu'il conduisait rageusement durant la guerre, à Saint-Lô, entre les ruines de désolation que seule l'ivresse jusqu'à l'aube pouvait dissiper.
Les pensées tournoient en sa tête, l'emportent jusqu'à la colère, pendant que le corps s'exerce à ne pas faillir, à faire sagement les exercices physiques recommandés par le corps médical. "Lui qui était arrivé dans l'existence par accident et resté par négligence. Lui qui avait fait mine d'oublier la solitude. Lui qui plus seul qu'un rat souhaitait l'être au-delà de tout", comment pourrait-il admettre (autodérision assumée) être ce vieillard cacochyme, réduit dans une maison de retraite à un animal de compagnie devant lequel on déblatère ?
Une archive mythique d'"En attendant Godot" monté par Roger Blin, réveille son désir intact de théâtre, projet qui n'a pu se réaliser que grâce à Suzanne, l'épouse attentionnée transportant ses manuscrits. Aussi, lorsque sont répétées en boucle les dernières répliques de Vladimir et Estragon - "Si on se pendait, avec quoi ? Attends y'a ma ceinture, c'est trop court" - on sent que le sort de ce qui a été au centre de la recherche théâtrale de S.B., la décomposition tant du sujet que du réel, attend son incarnation au plateau. Dans un baroud d'honneur, il en finira de manière hallucinatoire avec l'auteure… de ses jours.
Même si - les puristes de Beckett ne manqueront pas de le pointer - la proposition présente s'écarte du langage beckettien articulé autour de l'échec à dire, il n'en reste pas moins que "Le Tiers Temps", si explicite soit-il dans sa façon de représenter la fin de vie du dramaturge irlandais, rejoint une fantaisie transgressive ayant ses propres vertus. En choisissant délibérément de rester fidèle à la fiction - c'en est une - assumée par Maylis Besserie dans son roman, Guy Lenoir s'inscrit peut-être en faux avec la lettre de Samuel Beckett, mais il en respecte l'esprit qu'il donne à voir avec bonheur.
Vu le mercredi 5 octobre, pour la première, au Théâtre des Beaux-Arts de Bordeaux. A été représenté du 5 au 8 octobre et du 12 au 15 octobre 2022, dans le cadre du Festival Lire en Poche de Gradignan.
Même si - les puristes de Beckett ne manqueront pas de le pointer - la proposition présente s'écarte du langage beckettien articulé autour de l'échec à dire, il n'en reste pas moins que "Le Tiers Temps", si explicite soit-il dans sa façon de représenter la fin de vie du dramaturge irlandais, rejoint une fantaisie transgressive ayant ses propres vertus. En choisissant délibérément de rester fidèle à la fiction - c'en est une - assumée par Maylis Besserie dans son roman, Guy Lenoir s'inscrit peut-être en faux avec la lettre de Samuel Beckett, mais il en respecte l'esprit qu'il donne à voir avec bonheur.
Vu le mercredi 5 octobre, pour la première, au Théâtre des Beaux-Arts de Bordeaux. A été représenté du 5 au 8 octobre et du 12 au 15 octobre 2022, dans le cadre du Festival Lire en Poche de Gradignan.
"Le Tiers Temps"
Adapté du roman éponyme de Maylis Besserie ("Le Tiers Temps", Éditions Gallimard, Goncourt du premier roman 2020).
Mise en scène : Guy Lenoir.
Avec : Bernard Blancan.
Contribution artistique : Caroline Corbal (art numérique).
Son : Karina Ketz.
Arts plastiques : Barbara Schroeder.
Chant : Jeanne Lavaud.
Scénographie et lumières : Éric Blosse.
Piano : Zola Ntondo.
Régie : Tom Rojouan.
Avec la participation de : Pascale Célérier, Christophe Boery, Béatrice et Jacques Franceschini, Zouhir Zouaoui.
Durée : 1 h 30.
>> theatre-beauxarts.fr
Mise en scène : Guy Lenoir.
Avec : Bernard Blancan.
Contribution artistique : Caroline Corbal (art numérique).
Son : Karina Ketz.
Arts plastiques : Barbara Schroeder.
Chant : Jeanne Lavaud.
Scénographie et lumières : Éric Blosse.
Piano : Zola Ntondo.
Régie : Tom Rojouan.
Avec la participation de : Pascale Célérier, Christophe Boery, Béatrice et Jacques Franceschini, Zouhir Zouaoui.
Durée : 1 h 30.
>> theatre-beauxarts.fr