La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Votre Maman" Une mise en scène sobre et épurée au service d'une mémoire lourde comme du plomb

Un fils attentif et aimant vient régulièrement rendre visite à sa mère en EHPAD. Il l'aime, c'est sa mère ! Il déborde d'amour pour elle. L'inverse, par contre, est parfois moins certain, car bien souvent cette mère ne le reconnaît pas et elle le confond parfois avec le directeur de l'EHPAD.



© Jean-Luc Drion.
© Jean-Luc Drion.
Cette vieille dame un peu fantaisiste ne rend pas la vie facile à ce directeur de la maison médicalisée et, même si elle n'a plus toute sa tête, elle conserve pourtant une belle vitalité derrière sa mémoire défaillante de laquelle jaillissent pourtant des souvenirs lointains de la Shoah et du génocide vécus dans l'enfance. Quiproquos et malentendus s'enchaînent. Le directeur s'arrache les cheveux et le fils rebondit tant bien que mal entre eux deux… Un jour, le directeur apprend au fils que sa mère a disparu.

En assistant à cette pièce, on peut se demander - si tant est que l'on ait lu l'ouvrage de Jean-Claude Grumberg au titre éponyme qui l'a inspirée - quelle est la mère qui nous émeut et nous chamboule le plus ! La maman de Grumberg toujours "en vie" d'une certaine manière grâce à la force de l'écriture du célèbre écrivain ou Colette Louvois (ex-pensionnaire de la Comédie-Française), incroyable comédienne qui interprète le rôle.

Car, dans les deux cas, il s'agit bien de cela : d'un chamboulement qui nous ramène inévitablement à la femme qui nous a mis au monde et à la manière dont elle va bien pouvoir vieillir. Ou dont elle vieillit, pour peu que nous ayons le bonheur de l'avoir encore à nos côtés…

© Jean-Luc Drion.
© Jean-Luc Drion.
Pour l'adaptation à la scène de "Votre maman", Jean-Claude Grumberg a réécrit son texte, l'a modifié, réajusté, remodelé et le résultat, exploité magistralement par Wally V. Bayeux à la mise en scène, est vertigineux et met l'accent bien davantage sur la notion de mémoire collective que sur la maudite maladie d'Alzeimer bien au centre de la pièce. Car la maman de "Votre maman" perd irrémédiablement la mémoire mais elle se souvient de choses plus lointaines comme la rafle et la disparition de sa propre mère.

Mais, à bien y regarder, après quelques jours largement mûris au terme de la représention, il faut nous rendre à l'évidence : c'est de de la mémoire vive du monde dans lequel nous évoluons dont nous parle indirectement Jean-Claude Grumberg. Cette mémoire qui ne devrait jamais s'effriter parce qu'elle nous appartient à toutes et à tous mais que les tsunamis sociétaux tendent malheureusement à perdre bien souvent.

Cette mémoire que nous devrions certainement sonder davantage pour mieux appréhender notre présent parce que nous ne savons pas ce que le passé nous réserve.

© Jean-Luc Drion.
© Jean-Luc Drion.
Mais le présent, sous couvert de passé, il est bien là au Studio Hébertot, tous les mardis et les mercredis, sous la houlette juste et affutée de Wally Valerina Bayeux, remarquable metteuse en scène qui a su saisir un film d'Ariane magique pour nous transporter avec les quatre comédiennes et comédiens vers un ailleurs qui marquera très largement notre mémoire de spectateurs et de spectatrices.

L'alchimie entre le texte remanié de Grumberg, humaniste comme dans l'ensemble de son œuvre, et le talent de la metteuse en scène font de cette pièce un moment de théâtre admirable. Ce sont huit tableaux qui s'enchaînent sous couvert d'un humour grinçant et bien présent. On rit beaucoup pourtant : du tragique des situations, des réactions acariâtres de la maman, du débordement mental du directeur ou encore d'un burlesque inévitable de l'ensemble parce que tout compte fait, la vie est souvent ainsi…

La pièce s'ouvre sur une silhouette vêtue de rouge, recroquevillée sur un fauteuil en plein centre de la scène, légèrement dissimulée pourtant par un grand voile de tulle blanc, comme pour donner le ton de la suite : dire et jouer les choses sans trop dévoiler et faire le pitre d'une certaine manière comme le fait joliment Marc F. Duret dans le rôle du fils, affublé de son petit chapeau de clown et portant une jaquette aux revers rouges.

Parce que le cirque finalement n'est pas loin. Dans tout ça…

"Votre Maman"

© Jean-Luc Drion.
© Jean-Luc Drion.
Texte : Jean-Claude Grumberg.
Mise en scène : Wally Valerina Bajeux.
Avec : Marc F. Duret, Jean-Paul Comart, Colette Louvois et, en alternance, Titouan Laporte, Morgan Costa Rouchy, Mathis Duret.
Scénographie : Wally Valerina Bajeux et Titouan Laporte.
Lumière : Philippe Lagrue.
Durée : 1 h 20.

Du 27 septembre au 21 décembre 2022.
Mardi à 21 h et mercredi à 19 h.
Studio hébertot, Paris 17e, 01 42 93 13 04.
>> studiohebertot.com

Brigitte Corrigou
Samedi 8 Octobre 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.







À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024