La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Un "Cosi fan tutte" irradiant de jeunesse au Saarländisches Staatstheater

Le théâtre national sis à Sarrebruck met à l'affiche "Cosi fan tutte", un des trois derniers opéras de Mozart et "Dramma giocoso" au livret écrit par Lorenzo da Ponte. La comédie cruelle, joliment mise en scène par Jean Renshaw, brille grâce à une troupe de jeunes chanteurs de très bonne tenue et à la direction raffinée du chef Stefan Neubert, à la tête du Saarländische Staatsorchester.



"Cosi fan tutte" © Kaufhold.
"Cosi fan tutte" © Kaufhold.
Créé à Vienne en janvier 1790 pour le compte de Joseph II, l'opera buffa du divin Mozart est une irrésistible comédie de mœurs qui pose un regard lucide sur la vanité des sentiments. Accréditant la thèse - non sans insolence - que l'amour s'invente, cette École des Amants (son sous-titre) s'avère être une des plus belles partitions jamais écrites. Ce ballet ambigu des sentiments court la poste entre rires et déconvenues (sur soi et les autres), entre élans jubilatoires, serments trop confiants, confidence du cœur et vrai drame de l'inconstance. Les sœurs Fiordiligi et Dorabella, mises à l'épreuve par l'entremise du cynique Don Alfonso, seront-elles fidèles à leurs fiancés Guglielmo et Ferrando ? Évidemment, non.

Jean Renshaw fait le choix des couleurs acidulées d'une bande dessinée dont l'histoire se déroulerait dans les années soixante. Et qui se souviendrait du XVIIIe siècle. S'attachant donc à brouiller les repères temporels, elle veille à rendre à la comédie son lustre en multipliant les clins d'œil complices et en redessinant nettement les procédés du comique de geste et de situation.

"Cosi fan tutte" © Kaufhold.
"Cosi fan tutte" © Kaufhold.
Don Alfonso est ici un nouveau Tartuffe (que Despina assommera à la fin), Despina est une soubrette hilarante que rien n'effraie, les sœurs Fiordiligi et Dorabella finissent par adopter les tenues saugrenues de leurs soupirants déguisés en notables écossais à fausse barbe rousse (en lieu et place d'Albanais). On s'amuse beaucoup : chutes, gags, troussages sur scène se succèdent à un rythme effréné. La conclusion, amère, de cette valse des sentiments n'en sera que plus cruelle.

Sur le plateau, la troupe ravit les spectateurs, avec des artistes se montrant tout autant bons acteurs que bons chanteurs. Si Don Alfonso brille par son inconsistance pratiquement jusqu'à la fin, les amoureux se révèlent piquants. Le Guglielmo de Salomon Zulic del Canto manque parfois un peu de projection mais offre un chant de bonne tenue. Son acolyte, le Ferrando du ténor Sungmin Song, possède une très jolie voix (mais le phrasé et la technique sont encore à travailler dans "Ah, lo veggio, quell'anima …".

Leur abattage leur assure, ainsi qu'à Despina (Herdis Anna Jonasdottir à la voix trop légère pour ce rôle) un beau succès. Carmen Seibel se révèle une Dorabella des plus charmantes, mais un peu irrégulière dans ses interventions - semblant parfois un peu mal à l'aise dans ce rôle. Quant à la magnifique Fiordiligi de Valda Wilson, elle emporte tous les suffrages.

"Salomé" © Kaufhold.
"Salomé" © Kaufhold.
Dès son premier air ("Come scoglio"), la soprano australienne se joue des intervalles immenses de cette protestation de la fidélité. Dotée d'un beau médium, la voix s ‘épanouit sans mal dans un registre étendu. Son grand morceau de bravoure ("Per pieta, ben mio, perdona …") à l'acte II confirme ses dons. La chanteuse se joue de vocalises éprouvantes avec une belle gestion du souffle. Elle mérite amplement les acclamations qu'elle récoltera.

L'orchestre, dirigé par Stefan Neubert (né en 1982), procure lui aussi de grandes jouissances. Quel beau Mozart, articulé, nuancé, aux phrases orfévrées nous offre-t-il ! Les vents et les cordes dessinent de subtiles harmonies, de superbes coloris et une riche variété de climats délectables. Avec ce jeune chef, l'auditeur a l'impression de découvrir la partition.

Décidément l'excellent niveau de ces troupes germaniques n'est plus à démontrer. Dans une "Salomé" de Richard Strauss, donnée en alternance au théâtre, cela se vérifie encore. Sous la direction inspirée de Nicholas Milton, Paulinina Linnosaari (Salomé), Peter Schöne (Jochanaan) et le Narraboth de Angelos Samartzis se sont aussi montrés des artistes qu'on n'oubliera pas de sitôt.

"Salomé" © Kaufhold.
"Salomé" © Kaufhold.
Théâtre national de la Sarre.
Saarlaändisches Staatstheater.
1 Schiller Platz, Sarrebruck, Allemagne.
Tél. : +49 (0)681 3092 486.
>> staatstheater.saarland

"Cosi fan tutte" de W. A. Mozart.
Jusqu'au 19 juin 2018.
"Salomé" de R. Strauss.
Jusqu'au 21 juin 2018.

Christine Ducq
Mercredi 30 Mai 2018

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024