En ce soir de première, ne se pressent pas seulement les adeptes de "Tristan", en fervents habitués de la secte, mais aussi la foule des curieux et des connaisseurs du travail du metteur en scène Peter Sellars et du vidéaste Bill Viola. C'est que cette production, créée in loco en 2005 sous le mandat de Gerard Mortier, se découvre et se revoit avec le même bonheur, liant pieds et poings avec un pouvoir de fascination intact.
Elle constitue un triple événement (en ouvrant cette nouvelle saison, enrichissant le cycle Wagner entamé les années précédentes) avec cette plongée dans le théâtre mental imaginé par Sellars et Viola (d'une totale intelligence avec l’œuvre), avec la délectation d'une distribution réunissant les meilleurs chanteurs (côté masculin) et la satisfaction de retrouver le chef Philippe Jordan renouant avec le grand style wagnérien classique - loin des tentatives passées de recréation des structures entendues dans ses derniers "Lohengrin" et "Parsifal".
Mais n'est-on pas condamné à la perfection pour servir le plus grand opéra de l'histoire de l'art lyrique ? Cette "action en trois actes" ("Handlung in drei Aufzügen", sous-titre de l'opéra), terminée par le compositeur en 1859 et créée en 1865, est sans doute l'œuvre la plus achevée de Richard Wagner - au cœur d'un legs artistique situé à cent coudées au-dessus des autres. L'opéra, réécriture profondément personnelle du mythe celte, témoigne d'une cohérence, d'une poésie et d'une nécessité rares.
Elle constitue un triple événement (en ouvrant cette nouvelle saison, enrichissant le cycle Wagner entamé les années précédentes) avec cette plongée dans le théâtre mental imaginé par Sellars et Viola (d'une totale intelligence avec l’œuvre), avec la délectation d'une distribution réunissant les meilleurs chanteurs (côté masculin) et la satisfaction de retrouver le chef Philippe Jordan renouant avec le grand style wagnérien classique - loin des tentatives passées de recréation des structures entendues dans ses derniers "Lohengrin" et "Parsifal".
Mais n'est-on pas condamné à la perfection pour servir le plus grand opéra de l'histoire de l'art lyrique ? Cette "action en trois actes" ("Handlung in drei Aufzügen", sous-titre de l'opéra), terminée par le compositeur en 1859 et créée en 1865, est sans doute l'œuvre la plus achevée de Richard Wagner - au cœur d'un legs artistique situé à cent coudées au-dessus des autres. L'opéra, réécriture profondément personnelle du mythe celte, témoigne d'une cohérence, d'une poésie et d'une nécessité rares.
À la gloire illusoire du soleil de la Représentation (acte I) succèdent les prestiges de la nuit d'amour (acte II) s'élargissant en une Nuit universelle où disparaitront les amants, libérés des affres du Vouloir-vivre (acte III). Synthétisant le rapport du compositeur à l'existence et à l'art (mûri dans la fréquentation de Schopenhauer et de la tradition bouddhiste), "Tristan" présente ainsi une pure action intérieure, un haut chant qu'ont su magnifiquement traduire P. Sellars et B. Viola.
La proposition du metteur en scène répond magistralement aux défis scéniques posés par le chef-d'œuvre en plaçant les chanteurs dans les ténèbres d'un plateau nu, où une simple estrade et des carrés de lumière dessinent les lieux de l'action. Les vidéos de Bill Viola les surplombent, évoquant les différentes étapes de l'initiation des amants, leur psyché, leurs visions en un monde d'images symboliques. Et c'est un inoubliable choc esthétique.
Peter Sellars exploite également toutes les possibilités de la grande salle de Bastille avec les chœurs installés dans les escaliers, le Roi Marke et sa cour traversant le public à la fin de l'acte I ou à l'acte II (frissons garantis), Brangäne et autres marins chantant du haut des loges de côté. La mise en relief des relations entre les personnages n'est pas oubliée pour autant. Seule réserve : l'invention par Sellars d'une relation homosexuelle ancienne entre le roi et son vassal, hors de propos.
Côté chant, au sein d'une distribution de premier ordre, Martina Serafin déçoit. La soprano autrichienne livre un chant métallique avec une voix au médium ingrat, aux aigus forcés (particulièrement à l'acte I). Si, dans le duo de l'acte II, elle séduit davantage (avec un peu plus de sensualité), sa Liebestod et son "Höchste Lust" n'évoquent aucune transfiguration.
Face à elle, Andreas Schager (avec ses impressionnantes qualités) est un Tristan sensationnel, même si on eût aimé sentir un peu de morbidezza dans une vocalité caractérisée par une grande vitalité. Manque quelque peu l'expression de cette volupté d'anéantissement qui émeut si profondément dans le deuxième acte.
La proposition du metteur en scène répond magistralement aux défis scéniques posés par le chef-d'œuvre en plaçant les chanteurs dans les ténèbres d'un plateau nu, où une simple estrade et des carrés de lumière dessinent les lieux de l'action. Les vidéos de Bill Viola les surplombent, évoquant les différentes étapes de l'initiation des amants, leur psyché, leurs visions en un monde d'images symboliques. Et c'est un inoubliable choc esthétique.
Peter Sellars exploite également toutes les possibilités de la grande salle de Bastille avec les chœurs installés dans les escaliers, le Roi Marke et sa cour traversant le public à la fin de l'acte I ou à l'acte II (frissons garantis), Brangäne et autres marins chantant du haut des loges de côté. La mise en relief des relations entre les personnages n'est pas oubliée pour autant. Seule réserve : l'invention par Sellars d'une relation homosexuelle ancienne entre le roi et son vassal, hors de propos.
Côté chant, au sein d'une distribution de premier ordre, Martina Serafin déçoit. La soprano autrichienne livre un chant métallique avec une voix au médium ingrat, aux aigus forcés (particulièrement à l'acte I). Si, dans le duo de l'acte II, elle séduit davantage (avec un peu plus de sensualité), sa Liebestod et son "Höchste Lust" n'évoquent aucune transfiguration.
Face à elle, Andreas Schager (avec ses impressionnantes qualités) est un Tristan sensationnel, même si on eût aimé sentir un peu de morbidezza dans une vocalité caractérisée par une grande vitalité. Manque quelque peu l'expression de cette volupté d'anéantissement qui émeut si profondément dans le deuxième acte.
Mais dans le terrible monologue du troisième acte ("Die alte Weise"), son Tristan nous arrache des larmes ("O diese Sonne !"). Si le baryton Matthias Goerne est un Kurwenal attachant et intense en vassal fidèle, le König Marke de la basse René Pape se révèle absolument grandiose. Son monologue de la fin de l'acte II ("Tatest du's wirklich ?) est un des plus beaux qu'on ait eu la chance d'entendre.
Ce morceau de bravoure, que d'aucuns empèsent jusqu'à l'ennui, est avec lui d'une grandeur inouïe. Il l'interprète tel un lied avec un sens de la déclamation extraordinairement raffiné, grâce à une articulation et un phrasé orfèvres. A-t-on déjà entendu accents plus poignants pour exprimer la douleur de la trahison de Tristan ?
Le remarquable ténor Nicky Spence et le baryton Tomasz Kumiega complètent cette superbe équipe masculine. Tous sont des instruments virtuoses que parachève un orchestre généreux en couleurs et en sonorité fluide. Dès le Prélude, les enjeux dramatiques sont posés dans le grand style. Philippe Jordan travaille avec ses musiciens une admirable texture océanique dont la pulsation intérieure renforce l'expression.
Ce morceau de bravoure, que d'aucuns empèsent jusqu'à l'ennui, est avec lui d'une grandeur inouïe. Il l'interprète tel un lied avec un sens de la déclamation extraordinairement raffiné, grâce à une articulation et un phrasé orfèvres. A-t-on déjà entendu accents plus poignants pour exprimer la douleur de la trahison de Tristan ?
Le remarquable ténor Nicky Spence et le baryton Tomasz Kumiega complètent cette superbe équipe masculine. Tous sont des instruments virtuoses que parachève un orchestre généreux en couleurs et en sonorité fluide. Dès le Prélude, les enjeux dramatiques sont posés dans le grand style. Philippe Jordan travaille avec ses musiciens une admirable texture océanique dont la pulsation intérieure renforce l'expression.
L'hédonisme sonore prend parfois le pas sur les révélations métaphysiques, mais on plonge avec une rare jouissance dans ses envoûtants climats jusqu'à l'accord final. Si la direction excelle dans le fameux art de la transition wagnérien, on se souviendra aussi des solos magiques du premier violon Éric Lacrouts, des solos du cor anglais (acte III) d'Antoine Degrémont, comme de l'harmonie et des cordes, sombres, puissantes ou aériennes (mention aux harpes de David Lootvoet et de Sylvie Perret). Ils nous charment et distillent un philtre enivrant.
Du 11 septembre au 9 octobre 2018 à 18 h.
16 et 30 septembre à 14 h.
Opéra national de Paris.
Place de la Bastille, Paris 12e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr
Du 11 septembre au 9 octobre 2018 à 18 h.
16 et 30 septembre à 14 h.
Opéra national de Paris.
Place de la Bastille, Paris 12e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr
"Tristan und Isolde" (1865).
Opéra en trois actes.
Livret et musique de Richard Wagner.
En allemand surtitré en français et en anglais.
Durée : 5 h 20 avec deux entractes.
Philippe Jordan, direction musicale.
Peter Sellars, mise en scène.
Bill Violoa, création vidéo.
Martin Pakledinaz, costumes.
James F. Ingalls, lumières.
Andreas Schager, Tristan.
René Pape, König Marke.
Martina Serafin, Isolde.
Matthias Goerne, Kurwenal.
Ekaterina Gubanova, Brangäne.
Neal Cooper, Melot.
Nicky Spence, Ein Hirt, Ein Junger Seeman.
Tomasz Kumiega, Ein Steuermann.
Opéra en trois actes.
Livret et musique de Richard Wagner.
En allemand surtitré en français et en anglais.
Durée : 5 h 20 avec deux entractes.
Philippe Jordan, direction musicale.
Peter Sellars, mise en scène.
Bill Violoa, création vidéo.
Martin Pakledinaz, costumes.
James F. Ingalls, lumières.
Andreas Schager, Tristan.
René Pape, König Marke.
Martina Serafin, Isolde.
Matthias Goerne, Kurwenal.
Ekaterina Gubanova, Brangäne.
Neal Cooper, Melot.
Nicky Spence, Ein Hirt, Ein Junger Seeman.
Tomasz Kumiega, Ein Steuermann.