Découvrir une nouvelle production du metteur en scène et plasticien Romeo Castellucci, c'est la promesse de jeter un regard nouveau sur une œuvre. Pour le meilleur ("Moïse und Aaron" à l'Opéra de Paris) ou le pire (l'Orestie d'Eschyle). Qu'en est-il de cette "Flûte enchantée" à la Monnaie, dans le théâtre qui l'a vu débuter à la mise en scène d'opéra en 2011 avec "Parsifal" ? Elle laisse un sentiment mélangé et on en sort plutôt secoué, un rien partagé entre agacement et admiration. C'est ce qu'on a coutume d'appeler - non sans raison - un spectacle roboratif.
Nul besoin d'invoquer les mânes du divin Mozart ou du librettiste Emanuel Schikaneder, ils ne reconnaîtraient sûrement pas leur singspiel - ce genre lyrique populaire qui alterne passages parlés et chantés (en allemand). Castellucci prend le risque d'une vision qui a le mérite de ne pas plaquer un discours étranger aux enjeux, ni travailler en détestation de l'œuvre - comme d'aucuns nous y ont parfois habitués.
Il choisit de supprimer ou de réécrire tous les récitatifs et remanie complètement l'acte II ; un deuxième acte génétiquement modifié. Du conte oriental mozartien teinté de merveilleux en vogue au XVIIIe siècle (un divertissement mâtiné des idéaux maçonniques du Siècle des Lumières), le metteur en scène choisit la part sombre et paradoxale. La promesse de sagesse et d'humanité promue par le Grand Prêtre Sarastro est ici dénoncée ; elle est un mensonge requalifié en "terreur de la lumière" (sic).
Nul besoin d'invoquer les mânes du divin Mozart ou du librettiste Emanuel Schikaneder, ils ne reconnaîtraient sûrement pas leur singspiel - ce genre lyrique populaire qui alterne passages parlés et chantés (en allemand). Castellucci prend le risque d'une vision qui a le mérite de ne pas plaquer un discours étranger aux enjeux, ni travailler en détestation de l'œuvre - comme d'aucuns nous y ont parfois habitués.
Il choisit de supprimer ou de réécrire tous les récitatifs et remanie complètement l'acte II ; un deuxième acte génétiquement modifié. Du conte oriental mozartien teinté de merveilleux en vogue au XVIIIe siècle (un divertissement mâtiné des idéaux maçonniques du Siècle des Lumières), le metteur en scène choisit la part sombre et paradoxale. La promesse de sagesse et d'humanité promue par le Grand Prêtre Sarastro est ici dénoncée ; elle est un mensonge requalifié en "terreur de la lumière" (sic).
Faire de la Reine de la Nuit un personnage positif et mettre en doute le bien-fondé des épreuves infligées au couple princier, Tamino et Pamina, dans le Temple de la Raison n'a rien de bien nouveau (les ambiguïtés du livret sont bien connues). Castelluci modifie néanmoins profondément cette "Flûte" en effaçant la prééminence aristocratique et philosophique de l'initiation des princes et en plaçant au premier plan (à l'acte II) le personnage de l'Oiseleur, Papageno, qui livrera la vérité de la représentation - en l'espèce, une redéfinition de ce qui forge une communauté humaine au sein de l'énigme universelle. En aboutissant à une conclusion très différente : le châtiment de la Reine de la Nuit (devenue mère nourricière cosmique) se mue ici en scandale puisque les méchants (Sarastro et sa bande) triomphent au nom de la Raison et de la Réussite.
Castellucci invente ainsi un dispositif diabolique, un piège brillant qui doit amener le spectateur à participer pleinement à cette ordalie, d'où ressortira une nouvelle vérité, cette "Wahrheit !" réclamée par Pamina au premier acte. Le premier acte déploie les prestiges illusoires de l'opéra en une installation qui organise la désorientation : le plateau tient de la boîte à musique d'une blancheur aveuglante et du théâtre de marionnettes où tous les protagonistes sont dédoublés.
Castellucci invente ainsi un dispositif diabolique, un piège brillant qui doit amener le spectateur à participer pleinement à cette ordalie, d'où ressortira une nouvelle vérité, cette "Wahrheit !" réclamée par Pamina au premier acte. Le premier acte déploie les prestiges illusoires de l'opéra en une installation qui organise la désorientation : le plateau tient de la boîte à musique d'une blancheur aveuglante et du théâtre de marionnettes où tous les protagonistes sont dédoublés.
On ne sait plus trop qui chante (ou pas) parmi ces figures luxueusement artificielles à la beauté glacée, au hiératisme que renforcent les belles sculptures (créées sur la base d'algorithmes) de l'architecte Michael Hansmeyer.
À l'acte II, le mensonge disparaît ; nous voilà projetés dans une sorte de prison ou de colonie sectaire. Le pouvoir de dévoilement du théâtre, vécu soudain comme un dégrisement, met alors à nu la violence du monde de Sarastro. Et des victimes du feu (de la lumière) défilent pour faire le récit de leur expérience (réelle) du malheur : d'abord des femmes aveugles ou déficientes visuelles, puis des grands brûlés (des hommes victimes d'accidents terribles). Grâce à la Reine de la Nuit, ces femmes offriront le réconfort de leurs caresses aux corps martyrisés des hommes.
Dans l'agora du théâtre et dans le temps de la représentation se créée une nouvelle communauté effective en lieu et place de celle des personnages de l'opéra (Papageno dixit). Malgré un discours exogène trop long et des scènes muettes qui creusent la durée, Romeo Castellucci et sa chorégraphe Cindy Van Acker réinterprètent avec acuité ce qu'on appelle épreuves en nous faisant traverser divers états, du malaise à son dépassement par le rire, la musique et l'amour.
À l'acte II, le mensonge disparaît ; nous voilà projetés dans une sorte de prison ou de colonie sectaire. Le pouvoir de dévoilement du théâtre, vécu soudain comme un dégrisement, met alors à nu la violence du monde de Sarastro. Et des victimes du feu (de la lumière) défilent pour faire le récit de leur expérience (réelle) du malheur : d'abord des femmes aveugles ou déficientes visuelles, puis des grands brûlés (des hommes victimes d'accidents terribles). Grâce à la Reine de la Nuit, ces femmes offriront le réconfort de leurs caresses aux corps martyrisés des hommes.
Dans l'agora du théâtre et dans le temps de la représentation se créée une nouvelle communauté effective en lieu et place de celle des personnages de l'opéra (Papageno dixit). Malgré un discours exogène trop long et des scènes muettes qui creusent la durée, Romeo Castellucci et sa chorégraphe Cindy Van Acker réinterprètent avec acuité ce qu'on appelle épreuves en nous faisant traverser divers états, du malaise à son dépassement par le rire, la musique et l'amour.
Dans cette proposition profuse et radicale, les chanteurs n'ont pas la partie facile. Ils parviennent cependant à trouver leur place. La Reine de la Nuit a la jeunesse, le caractère et le génie de Sabine Devieilhe, acclamée à juste titre. Le ténor anglais Ed Lyon a la classe, le raffinement et la musicalité des meilleurs Taminos. Le Sprecher de Dietrisch Henschel et le Monostatos d'Elmar Gilbertsson se distinguent et gagnent nos suffrages.
Au deuxième acte, le Papageno de Georg Nigl est, quant à lui, phénoménal. Tout en ruptures de tons, il se révèle inoubliable. Le talent de ces artistes et de l'Orchestre de la Monnaie sous la baguette subtile d'Antonello Manacorda verse une lumière bienvenue dans ce spectacle éprouvant à bien des égards.
Du 18 septembre au 4 octobre 2018 à 20 h. Les 23 et 30 septembre à 15 h.
Livestream le 27 septembre à 20 h sur le site d'Arte Concert, les chaînes Mezzo et RTBF la 3.
Au deuxième acte, le Papageno de Georg Nigl est, quant à lui, phénoménal. Tout en ruptures de tons, il se révèle inoubliable. Le talent de ces artistes et de l'Orchestre de la Monnaie sous la baguette subtile d'Antonello Manacorda verse une lumière bienvenue dans ce spectacle éprouvant à bien des égards.
Du 18 septembre au 4 octobre 2018 à 20 h. Les 23 et 30 septembre à 15 h.
Livestream le 27 septembre à 20 h sur le site d'Arte Concert, les chaînes Mezzo et RTBF la 3.
De Munt/La Monnaie.
5, Place de la Monnaie, Bruxelles.
Tél. : + 32 (0)2 229 12 11.
>> lamonnaie.be
www.lamonnaie.be
"Die Zauberflöte" (1791).
Singspiel en deux actes.
Musique de W. A. Mozart.
Livret d'E. Schikaneder.
En allemand surtitré en français et en flamand.
Durée : 3 h 10 avec un entracte.
Antonello Manacorda, direction musicale.
Romeo Castellucci, mise en scène, décors, costumes, éclairages.
5, Place de la Monnaie, Bruxelles.
Tél. : + 32 (0)2 229 12 11.
>> lamonnaie.be
www.lamonnaie.be
"Die Zauberflöte" (1791).
Singspiel en deux actes.
Musique de W. A. Mozart.
Livret d'E. Schikaneder.
En allemand surtitré en français et en flamand.
Durée : 3 h 10 avec un entracte.
Antonello Manacorda, direction musicale.
Romeo Castellucci, mise en scène, décors, costumes, éclairages.
Cindy Van Acker, chorégraphie.
Michael Hansmeyer, architecture algorithmique.
Gabor Bretz, Sarastro.
Ed Lyon, Tamino.
Dietrich Henschel, Sprecher.
Sabine Devieilhe, Königin der Nacht.
Sophie Karthäuser, Pamina.
Georg Nigl, Papageno.
Elena Galitskaya, Papagena.
Elmar Gilbertsson, Monostatos.
Michael Hansmeyer, architecture algorithmique.
Gabor Bretz, Sarastro.
Ed Lyon, Tamino.
Dietrich Henschel, Sprecher.
Sabine Devieilhe, Königin der Nacht.
Sophie Karthäuser, Pamina.
Georg Nigl, Papageno.
Elena Galitskaya, Papagena.
Elmar Gilbertsson, Monostatos.