La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2022

•Off 2022• "Le Journal intime d'Adam et Eve" Homme Femme… éternellement uniques et définitivement particuliers

Dans cette pièce-pamphlet américaine très étonnante inspirée de la Bible, Mark Twain parle des relations hommes-femmes, l'auteur étant passionné par l'humanité, laquelle est au centre de toute son œuvre. Il s'agit d'un texte subtilement féministe qui dénonce à la fois les relations entre hommes et femmes et le patriarcat, mais qui parle aussi de nous. Et pourtant, nous sommes respectivement en 1893 puis en 1905, au tournant des XIXe et XXe siècles, car les deux journaux ont été écrits à douze ans d'intervalle.



© Mel Butterfly.
© Mel Butterfly.
L'auteur y revisite les chapitres les plus connus de la Genèse avec une grande dérision et un humour subtile… et c'est délicieusement jouissif à plusieurs égards. D'un côté, Adam, célibataire, jouit en hédoniste du jardin d'Éden dans lequel il vit. De l'autre, Ève débarque avec ses mots nouveaux, son esprit aventurier et sa soif d'expérimentation en tous genres. Pas certain qu'entre ces deux-là les choses soient limpides.

C'est une histoire intemporelle qui raconte la rencontre des deux premiers êtres humains de la Terre, la découverte des animaux, l'amour, leur premier enfant. C'est une impression de coton très doux ou de velours encore plus soyeux qui se dégage à l'écoute de ce texte incroyable, adapté ici par Mario Aguirre et interprété par Carlotta Urioste et Julien Grisole.

L'écriture de Mark Twain est limpide et élégante, presque naïve, très touchante. Cela pourrait être paradoxal étant donné les origines primitives des deux personnages en question. À la frontière de l'écriture parlée, l'auteur jongle sans cesse entre des considérations profondes et un humour affiché qui font de cette histoire courte un moment de théâtre irrésistible.

"Je crois que c'est un homme. Je n'en avais jamais vu, mais ça y ressemblait fort, et je suis sûre de ne pas me tromper. Il pique ma curiosité bien plus que n'importe quel autre reptile. Il n'a pas de hanche, c'est taillé en pointe, on dirait une carotte. Et quand ça se redresse, on dirait un derrick".

"La nouvelle créature avec ses cheveux longs est toujours fourrée dans mes pattes. Si seulement elle voulait rester avec les autres animaux…"

© Mel Butterfly.
© Mel Butterfly.
La candeur et la naïveté des deux personnages sont très émouvantes dans leur découverte du monde et le spectateur sourit bien souvent autour du décalage qui les oppose. Des thèmes plutôt récurrents y sont abordés comme autrui, le monde, le pardon, le sexe, le langage, le mystère de la vie. Mais à aucun moment on ne s'ennuie. Bien au contraire. Mario Aguirre a su trouver le juste équilibre entre le texte de Mark Twain et la dramaturgie. La scène est sobre. Les comédiens habillés de telle sorte que l'action nous transporte dans une époque intemporelle. Et si l'action repose essentiellement sur le dire, à aucun moment celui-ci n'étouffe le jeu des comédiens qui se laisse aller à une grande force d'interprétation souvent sensuelle et très touchante.

En écrivant chacun séparément leur journal intime durant la représentation, ils nous offrent une interprétation sensible et tout en complicité. L'ensemble est très agréablement mis en scène par Mario Aguirre qui a su répartir la parole des deux comédiens de façon équilibrée sans leur réclamer d'artifices inutiles dans leur gestuelle ni dans leur jeu. Carlotta Urioste avec son charmant petit accent bolivien et Julien Grisole en homme "parfait" dans sa dimension masculine incarnent tous deux avec une grande élégance cet Homme et cette Femme éternellement uniques et définitivement particuliers.

Interrogeons-nous sur le fait que ce texte remarquable de Mark Twain ne soit pas enseigné davantage à l'école, car il s'agit là d'un petit bijou d'émotions et de réflexions profondes sur les éternels rapports homme-femme.

Merci à la Compagnie Spirale de l'avoir adapté et si vous êtes au festival d'Avignon en ce moment, ne ratez pas ce spectacle.

"Le Journal intime d'Adam et Eve"

Texte : Mark Twain.
Mise en scène : Mario Aguirre.
Avec : Julien Grisol, Carola Urioste.
Par la Cie Family Francis Grisol.
À partir de 12 ans.
Durée : 1 h.

•Avignon Off 2022•
Du 7 au 30 juillet 2022.
Tous les jours à 10 h, relâche le mardi.
Sham's Théâtre, 25, rue Saint-Jean le Vieux, Avignon.
Réservations : 04 65 87 88 88 ou 06 60 96 84 82.
>> festivaloffavignon.com

Brigitte Corrigou
Vendredi 8 Juillet 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024