La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2022

•In 2022• "The Line is a curve" Kae Tempest, la voix ensorceleuse d'un aède contemporain

Écho vivant des poètes épiques de la Grèce mythique, Kae Tempest emporte le public de La Cour dans un tourbillon de mots déclamés ou chantés, l'enveloppe de leurs sonorités charmeuses pour séduire jusqu'au bout de la nuit. Une petite musique de mots frappés du sceau de la sincérité à vif qui, à elle seule, au-delà du sens - iel chante en anglais, le plus souvent non traduit -, distille un parfum enivrant. Si on ajoute la présence à ses côtés de Hinako Omori aux claviers qui, plus qu'une complice, fait corps avec le chanteur tutoyant le ciel au-dessus de la Cité des Papes, on se dit que ce moment nimbé de fumerolles évanescentes a quelque chose d'exceptionnel.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Qu'ils soient slamés ou portés par une musique miroir, les mots égrenés créent un trouble ouvrant grand les portes d'un imaginaire performatif. En effet, comme L'Oulipo (Ouvroir de Littérature potentielle) de Raymond Queneau, le chanteur londonien n'a de cesse de faire "éclater" les mots pour en extraire le suc, créant ainsi un vertige exploratoire du monde qui nous englobe. Véritable plaque sensible de nos émotions, iel les traduit en langage poétique, la langue des Muses qui fait sens en s'y abandonnant corps et âme.

Ces poèmes prennent tous la forme d'une urgence à dire. Tous sont construits sur la figure du cercle, ni début, ni fin, mais une litanie à jamais ininterrompue, un cycle où vie et mort se rejoignent comme deux entités inséparables. Les différents motifs s'enlacent, se distordent, se confondent pour exprimer l'essence de ce qui nous relie au monde. Que ce soit "Salt Coast" où il s'adresse aux vieux fantômes de toujours, "More Pressure" où l'adresse est lui-même (bouleversant cet itinéraire d'une épiphanie vécue), ou encore "People's Faces" où les pires conditions économico-sociales n'aboliront jamais l'humanité d'un visage, l'amour de ce qui est imparfait, l'amour de l'autre, ce même aux visages multiples, et l'essentielle intranquillité, deviennent les moteurs d'un leitmotiv entêtant.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Ses paroles jetées dans la nuit résonnent d'une humanité mise à nu qui parle en nous, là où on ne croyait pas obligatoirement être. Se laisser surprendre… Ainsi de ces mots fulgurants, "laisse-toi surprendre… J'ai vu la vérité dans les boucles de la fille qui s'évapore… Elle a dit ne t'en fais pas mec… Arrête de paniquer…", ce lâcher prise salutaire pour advenir à une certaine idée de soi toujours (é)mouvante. La beauté de cette force fragile, c'est qu'elle s'enracine dans la recherche d'une vérité sans tabou.

"The Line is a curve" et la courbe de tes mots fait le tour de nos cœurs… "À certaines heures de la nuit/Quand le cœur de la ville s'est endormi/Il flotte un sentiment comme une envie/Ce rêve en nous, avec ses mots à lui", clamait un autre chanteur populaire des années quatre-vingt, Johnny Halliday, dans son poème fleuve "Quelque chose de Tennessee". Eh bien ce soir, pour ce récital de clôture sous le ciel bleu d'Avignon, c'est ce que nous avons ressenti en écoutant danser les mots du poète contemporain… Quelque chose de Kae Tempest/Y'a quelque chose en nous de Kae Tempest…

"The Line is a curve"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Texte, musique : Kae Tempest.
Avec : Kae Tempest (voix) et Hinako Omori (claviers).
Lumière : Franki McDade, Louisa Smurthwaite.
Son : Maxine Gilmore, Frank Wright.
Régie : Fanny Deroff.
Durée : 1 h 30.
Les extraits littéraires surtitrés sont tirés des ouvrages de Kae Tempest, "Les Nouveaux anciens" et "Etreins-toi", publiés en langue française par L'Arche Éditeur dans les traductions de D' de Kabal et Louise Bartlett (2017, 2021).

•Avignon In 2022•
Mardi 26 juillet 2022.
Représenté à 22 h.
Cour d'Honneur du Palais des Papes, place du Palais, Avignon.
>> festival-avignon.com
Réservations : 04 90 14 14 14.

Tournée
18 novembre 2022 : Le MeM, Rennes (35).
19 novembre 2022 : La Condition Publique, Roubaix (59).
20 novembre 2022 : Le Lieu Unique, Nantes (44).
29 novembre 2022 : La Cigale, Paris 18e.
10 décembre 2022 : Le Krakatoa, Mérignac (33).

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.

Yves Kafka
Vendredi 29 Juillet 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024