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Avignon 2022

•Off 2022• "Le Cas Lucia J." Performance bouleversante d'une comédienne habitée par le destin d'une martyre de la psychiatrie

Inspiré du livre éponyme d'Eugène Durif, ce spectacle-performance interprété par Karelle Prugnaud retrace la vie de Lucia Anna Joyce, fille et muse du célèbre écrivain irlandais James Joyce, romancier, poète et figure emblématique du XXe siècle. C'est l'angle complexe et ambigu de la relation "père fille" - ou plutôt "fille père" - qui a été choisi pour cette création relatant le destin de cette jeune femme qui apprend la danse auprès d'Isadora Duncan puis qui abandonne cette pratique avant de tomber amoureuse du jeune Beckett, assistant de son père. Mais celui-ci la rejette.



© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Elle se perd, est soignée par Jung qui la déclare schizophrène, avant d'être internée tout le reste de sa vie. Joyce, écrivant Finnefgans Wake, est persuadée qu'au terme de cette œuvre, Lucia retrouvera pleinement la raison. Selon lui, elle se confond avec son héroïne, Anna Livia Plurabella, et, ainsi, elle deviendrait "le livre fait de toutes les langues, de toutes les paroles mêlées, une danse du dedans".

À l'origine de cette aventure singulière, il y a une rencontre entre trois artistes : l'auteur Eugène Durif, au parcours très chargé dans plusieurs domaines, le metteur en scène Éric Lacascade, pour qui la recherche personnelle de son métier est inséparable de la question de l'acteur, et la comédienne, metteuse en scène et performeuse, Karelle Prugnaud, dont le travail tant dans le domaine de la mise en scène que dans celui de comédienne est déjà vertigineux.

Dès le début de cette performance, la scénographie interpelle car la comédienne nous surprend, allongée dans notre dos sur le rebord de la cabine régie. Elle monologue, semble-t-il, déjà enfermée dans son monde. Puis très vite, elle occupe le plateau aux murs blancs rappelant l'univers hospitalier et psychiatrique - lequel lui sera au demeurant très inhospitalier- et elle virevolte, danse, se meut de façon acrobatique à couper le souffle. Le tout dans une maîtrise exceptionnelle.

"La figure de Lucia est absolument passionnante, tout autant que l'est l'écriture d'Eugène Durif et le corps performatif de Karelle", Éric Lacascade.

Car ce spectacle est remarquablement incarné par la comédienne charnellement investie dont on peut s'interroger sur la part d'osmose qu'elle a bien pu accorder à son personnage. Il semblerait qu'elle soit considérable à en juger par la continuité qu'elle y a donnée en réalisant, en marge des représentations de la pièce, "les Carnets de Frictions" avec la collaboration du photographe Michel Cavalca.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Le destin tragique de Lucia Anna Joyce, danseuse hors pair, talentueuse et créative, abandonnée par sa mère qui ne viendra pas la voir une seule fois pendant trente ans à l'hôpital, est retracé dans ce spectacle de façon magistrale. L'univers impitoyable de la psychiatrie y est évoqué sous un angle critique humanisé à l'extrême et l'incarnation de Karelle Pugnaud participe à rendre ce moment du spectacle difficilement supportable : "le pic à glace, toutes sortes de piqûres, des injections de sel, d'or, d'argent, de soufre, d'eau salée comme pour Nijinski. Mais le pire, c'était la potion de sérum bovin. C'est dans mon corps que ça se passe, pas dans ma tête. Si seulement on pouvait saisir ce qui se passe dans mon corps !".

Karelle Prugnaud, martyre de la psychiatrie, hurle sur scène, les bras en croix en regardant le ciel et elle emplit la scène, à moins que ce ne soit Anna Livia Plurabella dans "Finnegans Wake" ou Lucia Anna Joyce ou encore Camille Claudel ! Il semblerait que les rapports de ces femmes aux hommes de leur vie n'aient pas été des plus salvateurs, que ce soit le père, l'amant, le frère…

"Tu aurais pu me sauver, Papa". Le ton est donné concernant la part insidieuse qu'a pu avoir sur elle les rouages d'un système patriarcal dominant et oppressant, mais aussi de la place de la femme et de l'artiste corsetée par une société conservatrice !

Utilisant plusieurs registres dramaturgiques, la comédienne nous captive, "trop cash, trop dure" comme le dit son personnage, mais c'est pour mieux vous interpeller, mon enfant ! Et nous le sommes, interpellés par ce "spectacle performance" de Karelle Prugnaud dont le visage, les yeux bleus et la longue chevelure ondulée noir de jais ne sont pas sans rappeler Isabelle Adjani, toute comparaison mise à part.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Elle emplit la scène, "Karelle aux lèvres rouges" comme pour mieux nous séduire et ses bleus sur les cuisses ne sont pas des maquillages ! Elle est bouleversante dans sa simple combinaison de nylon blanc, charnelle et sexy, provocatrice, osée, notamment lorsque Eugène Durif présent dans la salle lui réclame" une autre proposition" de mise en scène relative à la lecture des lettres de son frère.

Peu nécessaire d'être outrée par cette dernière qui, quelque part, nous ramène à ce que nous sommes aussi…

Dans le destin de Lucia, ni la relation avec son frère ni celle avec son père ne sera vraiment jamais élucidée, mais est-ce bien nécessaire finalement car le processus créatif théâtral mis en place par cette magnifique collaboration de la Compagnie L'envers du décor appuyée par celle du grand metteur en scène Éric Lacascade nous la laisse entrevoir avec brio et incandescence.

"Dans ma théorie sur "l'Anima", Joyce et sa fille en sont un exemple classique. Elle est nettement sa femme inspiratrice ce qui explique son refus obstiné de la voir déclarée atteinte d'aliénation. Sa propre anima, c'est-à-dire sa propre psyché inconsciente, s'est si solidement identifiée à sa fille qu'admettre sa folie eut été admettre pour lui une psychose lente", Jung.

Espérons que Karelle Prugnaud parviendra à se détacher du "cas Lucia J." lors de ses prochaines créations… À en juger par son talent, nous ne sommes pas inquiètes.

"Le Cas Lucia J. (Un feu dans sa tête)"

Spectacle-performance- Seule en scène.
Texte : Eugène Durif.
Mise en scène : Éric Lacascade.
Avec : Karelle Prugnaud
Scénographie : Magali Murbach.
Lumière : Laurent Nennig.
Production : Compagnie L'envers du décor et Compagnie Lacascade.
À partir de 16 ans.
Durée : 1 h 15.

•Avignon Off 2022•
Du 7 au 26 juillet 2022.
Tous les jours à 21 h 45, relâche le mercredi.
Théâtre Artéphile, 7, rue du Bourg Neuf, Avignon.

Expulsé du Théâtre Artéphile depuis le 17 juillet.
Représenté le lundi 25 juillet 2022 à 15 h,
à l'église des Célestins, place des Corps-Saints, Avignon.


>> cie-enversdudecor.com

Brigitte Corrigou
Lundi 25 Juillet 2022

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

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Gil Chauveau
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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
26/03/2024