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Avignon 2021

•Off 2021• La Ronde Une danse qui tourne au manège vertigineux

L'amour, le sexe, le désir brutal, le viol, la prostitution, l'attente d'être aimée sont les vecteurs incandescents de cette pièce d'Arthur Schnizler. Dix "rencontres amoureuses" s'y succèdent comme un relais, un des personnages restant à chaque épisode pour l'épisode suivant.



© Laurent Cibien.
© Laurent Cibien.
Texte construit aussi comme la chanson enfantine : Chapeau de Paille, Paillasson, Somnambule, Bulletin… Mais, s'il a fait scandale et fut interdit en Allemagne au début du siècle dernier, c'est surtout à cause de la manière dont l'auteur autrichien amalgame, dans une sorte d'orgie par procuration, toutes les couches de la société de l'époque : du noble au plus bas, en passant par le bourgeois, le marchand, le soldat…

Cela dût choquer à l'époque les castes supérieures. Avoir quelque chose en commun avec le bas peuple, le sans-grade ! Et quelque chose d'un peu honteux comme des relations sexuelles. À l'époque où l'eugénisme prenait son envol ! Tout l'art de Schnitzler est de montrer, grâce à dix scénettes, les liens, les interactions souterraines et surtout les mélanges, sensuels, sexuels, voire génétiques qui existent dans cette société d'avant la Première Guerre mondiale. Une abomination certaine pour le pouvoir de voir exposer ces échanges quasi organiques qui viennent défier leurs puretés. Dans ce relais dix fois cent mètres de copulations éphémères, quels germes de la pauvreté auraient pu passer dans les sangs des purs sangs ! Bah !

© Laurent Cibien.
© Laurent Cibien.
Mais un siècle étant passé, lorsque l'on parle de "La Ronde de Schnitzler" de nos jours, cela n'évoque qu'un texte original, certes, puisqu'il demande beaucoup d'interprètes et dix changements de décors et qu'il traite avec un éventail très large de toutes sortes de relations sexuelles, mais une pièce que l'on cantonne maintenant au geste artistique, à la figure de style ou au répertoire parfait pour les apprentis comédiens et les cours de conservatoires : scènes courtes, deux personnages.

Natascha Rudolf a décidé de voir un peu plus loin. Elle est retournée au texte original pour en faire une nouvelle traduction qui fait rejaillir ce que "La Ronde" peut avoir de révélateur et de puissant. Le résultat : des formules de langage simplifié, les enjeux des scènes mis au grand jour et zoom sur ce qui provoque, ce qui dérange dans cette pièce : la sensualité comme pouvoir occulte. C'est un pouvoir un peu libidineux que l'on cache dans cette société patriarcale, parce qu'il rivalise avec le pouvoir officiel et ne suit pas l'ordre établi.

Et quelque chose d'autre éclate aux yeux de tous dans cette mise en scène et cette traduction : l'hypocrisie rayonnante à tous les niveaux de la société. Ici, pas de romantisme. De l'intérêt, le plaisir étant un intérêt, et l'argent, et les passe-droits, et la notoriété. Le tableau de la société est sans les douceurs de l'aquarelle, cash, sans pitié, mécanique.

© Laurent Cibien.
© Laurent Cibien.
Pourtant, et c'est ce qui est également révélé dans cette mise en scène, une partie touchante émerge régulièrement. Nulle monstruosité dans tous ces personnages, mais un besoin viscéral, vital de retrouver ne serait-ce qu'une seconde dans ces scènes qui sont comme des machineries infernales, retrouver quelque chose qui ressemblerait à la tendresse, la nostalgie, le manque.

Ils sont deux. Une comédienne, Fanny Touron, et un comédien, Arnaud Chéron, pour interpréter tous les rôles des dix scènes. Ce sont autant de personnages dans la peau desquels ils se glissent en quelques secondes, sans quitter le plateau. Pas d'accessoires ou presque, des costumes simples dont ils s'habillent et se déshabillent presque à chaque scène, puisque chaque scène comporte une étreinte sexuelle. Évoquée. Dix joutes amoureuses successives qu'ils accomplissent au milieu des spectateurs dans un dispositif tri-frontal très proche.

Il y a quelque chose de nu dans la mise en scène de Natascha Rudolf, un nu qui ne s'exhibe pas, mais qui est à la fois puissant et simple. Elle mise sur une confiance absolue dans le travail d'interprétation de chacun des rôles de ses deux acteurs, actrices. Ils sont tous les deux extrêmement justes, touchant sans affectivité, félins par moments tant leurs corps parlent autant que leurs bouches.

"La Ronde"

Texte : Arthur Schnitzler.
Traduction, adaptation : Natascha Rudolf.
Mise en scène : Natascha Rudolf.
Avec : Fanny Touron, Arnaud Chéron.
Par Ligne 9 Théâtre (L9T).
Durée 1 h 10.

•Avignon Off 2021•
Du 7 au 27 juillet 2021.
Tous les jours à 12 h 30 et 15 h 10 h, relâche les 10, 17 et 24 juillet.
Présence Pasteur, 13, rue du Pont Trouca, Avignon.
Réservations : 04 32 74 18 54.
>> Présence Pasteur

Bruno Fougniès
Vendredi 23 Juillet 2021

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© Ève Pinel.
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© Betül Balkan.
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