Depuis sa réouverture après travaux, le joli Théâtre de la Monnaie enchaîne décidément les réussites. Avec l'arrivée il y a un an de son nouveau directeur musical, cette renaissance se confirme avec éclat, spectacle après spectacle. Après (entre autres) le très beau "Lohengrin" mis en scène par Olivier Py, Alain Altinoglu a souhaité présenter un diptyque jamais donné de Béla Bartok (1) : son sublime opéra "Le Château de Barbe-Bleue" suivi d'une pantomime à la partition magistrale, "Le Mandarin merveilleux", composés respectivement en 1911 et 1919.
"Le Château de Barbe-Bleue" en un acte, dont le livret dû à Belà Balàzs est inspiré de Maeterlinck (2), est une des œuvres les plus fortes jamais composées. Deux personnages s'aiment (peut-être) et s'affrontent, le duc de Barbe-Bleue et la princesse Judith. Sans action réelle hors une énigmatique trame psychologique dessinée par la curiosité de Judith face au bloc mystérieux représenté par l'homme qu'elle a suivi, l'opéra constitue un jalon entre la fin du symbolisme et la modernité - avec un orchestre à qui est dévolu le déroulement dramatique. Judith réclame et obtient les clefs ouvrant les sept portes du château, closes sur d'inquiétants secrets (comme le devine le spectateur très au fait du conte populaire). Elle finira par rejoindre les créatures que recèle le château maléfique.
"Le Château de Barbe-Bleue" en un acte, dont le livret dû à Belà Balàzs est inspiré de Maeterlinck (2), est une des œuvres les plus fortes jamais composées. Deux personnages s'aiment (peut-être) et s'affrontent, le duc de Barbe-Bleue et la princesse Judith. Sans action réelle hors une énigmatique trame psychologique dessinée par la curiosité de Judith face au bloc mystérieux représenté par l'homme qu'elle a suivi, l'opéra constitue un jalon entre la fin du symbolisme et la modernité - avec un orchestre à qui est dévolu le déroulement dramatique. Judith réclame et obtient les clefs ouvrant les sept portes du château, closes sur d'inquiétants secrets (comme le devine le spectateur très au fait du conte populaire). Elle finira par rejoindre les créatures que recèle le château maléfique.
Déployant un imaginaire, que les multiples interprétations scéniques n'ont pas épuisé, le drame affirme dès l'entrée, par l'intervention du Barde, sa dimension de théâtre mental associant le lever du rideau au "rideau de (n)os paupières" : ce sont les secrets de l'âme de Barbe-Bleue (symbolisée par le château) que veut percer Judith, à ses risques et péril. Parfois compris comme la métaphore de la relation de l'artiste et de sa muse (3), ou celle de la solitude de l'homme, l'opéra est amené par le metteur en scène Christophe Coppens sur un autre terrain.
Judith et Barbe-Bleue ne parviendront pas à se rencontrer dans le dispositif scénique superbe et désorientant, qui tient tout autant d'un diamant aux facettes ténébreuses que du cristallin aux reflets miroitants de nos yeux - occupant tout l'espace de la scène. Une gangue de miroirs déformants dans laquelle Judith, à la très longue chevelure flottante et dans sa robe blanche évoquant une Mélisande préraphaélite, circule en grimpant et descendant incessamment des escaliers. Une question se pose à la vue de cet espace saturé de ténèbres qui évoque peut-être le mythe platonicien de la caverne : Barbe-Bleue prisonnier d'un fauteuil roulant au centre de ce noir parallélépipède scintillant est-il en train de rêver ?
Judith et Barbe-Bleue ne parviendront pas à se rencontrer dans le dispositif scénique superbe et désorientant, qui tient tout autant d'un diamant aux facettes ténébreuses que du cristallin aux reflets miroitants de nos yeux - occupant tout l'espace de la scène. Une gangue de miroirs déformants dans laquelle Judith, à la très longue chevelure flottante et dans sa robe blanche évoquant une Mélisande préraphaélite, circule en grimpant et descendant incessamment des escaliers. Une question se pose à la vue de cet espace saturé de ténèbres qui évoque peut-être le mythe platonicien de la caverne : Barbe-Bleue prisonnier d'un fauteuil roulant au centre de ce noir parallélépipède scintillant est-il en train de rêver ?
Résolvant, avec un sens inné du spectaculaire stylisé (grâce aux belles lumières de Peter van Praet, à la vidéo de Jean-Baptiste Pacucci et Simon van Rompay et à une scénographie inventive), les difficultés que représente la révélation des trésors et secrets derrière les portes dans ce palais des glaces et de glace, le metteur en scène belge convainc. Les deux chanteurs sont également magnifiques.
La mezzo Nora Gubisch et la basse Ante Jerkunica (qui fait ses débuts dans le rôle de Barbe-Bleue) livrent un noble parlando cantando, ce fameux chant syllabique proche pour le hongrois du chant prosodique debussyen appliqué au français. La mezzo française est une Judith fascinante et sensuelle, qui en impose dans le beau médium de son registre dramatique comme dans les aigus difficiles du rôle. La basse croate, tout de noir vêtu et botté, est un jeune duc inquiétant et viril, énigmatique à souhait et doté d'une superbe voix dont les couleurs brûlantes laissent entrevoir des abîmes.
Dans la fosse, vitalité et ténèbres se marient en une puissante symphonie. Climats lyriques et sommets de violence se succèdent en un continuum de tableaux sonores gravés comme autant d'épiphanies magistrales, de sommets pétris d'affects. Tous les pupitres de l'Orchestre symphonique de La Monnaie, dans une œuvre à l'instrumentarium si particulier (orgue, xylophone, célesta), font briller les lumières idoines de cette tapisserie sonore magique, emportés par la passion et l'engagement total de leur chef. Les rares interventions du chœur impressionnent.
La mezzo Nora Gubisch et la basse Ante Jerkunica (qui fait ses débuts dans le rôle de Barbe-Bleue) livrent un noble parlando cantando, ce fameux chant syllabique proche pour le hongrois du chant prosodique debussyen appliqué au français. La mezzo française est une Judith fascinante et sensuelle, qui en impose dans le beau médium de son registre dramatique comme dans les aigus difficiles du rôle. La basse croate, tout de noir vêtu et botté, est un jeune duc inquiétant et viril, énigmatique à souhait et doté d'une superbe voix dont les couleurs brûlantes laissent entrevoir des abîmes.
Dans la fosse, vitalité et ténèbres se marient en une puissante symphonie. Climats lyriques et sommets de violence se succèdent en un continuum de tableaux sonores gravés comme autant d'épiphanies magistrales, de sommets pétris d'affects. Tous les pupitres de l'Orchestre symphonique de La Monnaie, dans une œuvre à l'instrumentarium si particulier (orgue, xylophone, célesta), font briller les lumières idoines de cette tapisserie sonore magique, emportés par la passion et l'engagement total de leur chef. Les rares interventions du chœur impressionnent.
Si on peut avoir été moins convaincu par la pantomime baroque imaginée par Christophe Coppens du "Mandarin merveilleux" (un ballet ouvertement sexuel des pulsions, dont la création en 1926 fut assortie d'une interdiction immédiate), la fosse ne perd pas une once de magie.
Dans cette partition expressionniste évoquant Schönberg, les moyens exceptionnels de l'écriture de Bartok se déploient en une hypnotique exploration des limites de l'harmonie tonale, une folie rythmique et une créativité de chaque instant. Sous la baguette d'Alain Altinoglu, ces deux œuvres se révèlent, comme pour une première fois, tel un chatoyant, voluptueux et obscur sortilège.
(1) Bartok souhaitait que l'opéra fut le prologue d'une trilogie avec deux ballets, "Le Prince de bois" et "Le Mandarin merveilleux".
(2) Maerterlinck, librettiste de Paul Dukas pour "Ariane et Barbe-Bleue".
(3) Ce fut la vision de K. Warlikovski à l'Opéra national de Paris.
Dans cette partition expressionniste évoquant Schönberg, les moyens exceptionnels de l'écriture de Bartok se déploient en une hypnotique exploration des limites de l'harmonie tonale, une folie rythmique et une créativité de chaque instant. Sous la baguette d'Alain Altinoglu, ces deux œuvres se révèlent, comme pour une première fois, tel un chatoyant, voluptueux et obscur sortilège.
(1) Bartok souhaitait que l'opéra fut le prologue d'une trilogie avec deux ballets, "Le Prince de bois" et "Le Mandarin merveilleux".
(2) Maerterlinck, librettiste de Paul Dukas pour "Ariane et Barbe-Bleue".
(3) Ce fut la vision de K. Warlikovski à l'Opéra national de Paris.
Spectacle du 8 juin au 24 juin 2018.
Streaming gratuit du spectacle sur le site de La Monnaie du 17 juillet au 6 août 2018.
La Monnaie/De Munt.
Place de la Monnaie 1000 Bruxelles.
Tél. : + 32 2 229 12 11.
>> lamonnaie.be
"Le Château de Barbe-Bleue" (1918).
Opéra en un acte.
Musique de Belà Bartok (1881-1945).
Livret de Belà Balàzs.
En hongrois sous-titré en français et en flamand.
Durée : 1 h.
"Le Mandarin merveilleux" (1926).
Ballet - pantomime.
Durée : 55 min.
Streaming gratuit du spectacle sur le site de La Monnaie du 17 juillet au 6 août 2018.
La Monnaie/De Munt.
Place de la Monnaie 1000 Bruxelles.
Tél. : + 32 2 229 12 11.
>> lamonnaie.be
"Le Château de Barbe-Bleue" (1918).
Opéra en un acte.
Musique de Belà Bartok (1881-1945).
Livret de Belà Balàzs.
En hongrois sous-titré en français et en flamand.
Durée : 1 h.
"Le Mandarin merveilleux" (1926).
Ballet - pantomime.
Durée : 55 min.