La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Le retour en grâce des "Huguenots" à Paris

Le retour des "Huguenots" de Meyerbeer sur la scène de l'Opéra de Paris est un des événements marquants de la commémoration des 350 ans de la noble maison. En dépit de contrariétés dues à des défections de dernière minute, le spectacle tient son rang et fait sonner de nouveau (à juste titre) les trompettes de la notoriété d'un compositeur longtemps oublié.



© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.
© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.
Le grand opéra à la française - un genre à la charnière de deux styles, celui du Bel Canto et du Romantisme - a fait les délices du public de la Monarchie de Juillet et bien au delà. Les opéras de la période française de Giacomo Meyerbeer ont en effet été parmi les plus joués et acclamés au XIXe et au début du XXe siècle.

Ouvrant la voie aux triomphes des Verdi, Offenbach, Gounod et autres Wagner, l'œuvre du compositeur allemand a par la suite subi un effacement presque total des scènes - nonobstant quelques rares reprises dont celle des "Huguenots" à l'Opéra national du Rhin (1), il y a un peu plus de cinq ans. On peut s'interroger à l'infini sur les raisons d'une telle désaffection (coût des productions, difficultés à trouver les chanteurs compétents, entre autres), mais on peut être assuré d'une chose : le nouveau spectacle de l'Opéra de Paris redonne aujourd'hui ses lettres de noblesse à une œuvre qui n'est pas sans attraits.

D'abord l'opéra lui-même est une sorte de super production d'avant l'invention du cinéma avec ses quatre heures de musique dédiées à un sujet historique (La Nuit de la Saint-Barthélémy en août 1572), une intrigue implexe trahissant sans vergogne la grande Histoire, avec ses chœurs impressionnants et ses sept rôles principaux nécessitant de solides chanteurs - sans oublier les nombreux figurants et un ballet ornant des tableaux qui doivent impressionner ou charmer. Et les bonnes surprises ne manquent pas à la (re)découverte de ces "Huguenots", qui furent le deuxième triomphe parisien d'un compositeur qui régna de son vivant sur Paris sans partage (2).

© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.
© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.
Frappe d'abord l'efficacité de l'orchestration avec l'utilisation d'un orchestre massif, et aussi de belles trouvailles comme ces interventions répétées d'instruments solistes épousant le chant des personnages principaux ou accompagnant une scène majeure - par exemple, la viole d'amour pour le héros Raoul de Nangis ou la clarinette basse (utilisée pour la première fois à l'opéra) pendant la cérémonie de mariage de Valentine de Saint-Bris. La direction de Michele Mariotti, d'abord flottante en cette première, a tiré ensuite de beaux accents de la fosse.

Frappe aussi la caractérisation vocale et dramatique contrastée des rôles ; les scènes comique et tragique s'enchaînent grâce à une galerie de personnages hauts en couleur (le Comte de Nevers), glaçants (Le Comte de Saint-Bris), charmants (Marguerite de Valois) ou pathétiques (Raoul et Valentine). L'écriture chorale est également particulièrement fastueuse dans ces tableaux où s'opposent Catholiques fanatiques (ou pas) et Protestants ; les chœurs de l'Opéra de Paris se montrant particulièrement frappants et justes.

© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.
© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.
Malédiction attachée à Meyerbeer (ou pas), deux défections ont failli compromettre cette redécouverte en forme de réhabilitation. Quelques semaines avant la première (après défaillance de la chanteuse annoncée), le rôle de Marguerite de Valois a pu être confié à la soprano Lisette Oropesa, qui s'est taillée un immense succès dans ce rôle écrasant (au deuxième acte avec son air "O beau pays de la Touraine" - un succès mérité dans un passage éprouvant et acrobatique qu'elle domine avec aisance – écrit, il est vrai, pour déchaîner l'enthousiasme).

De surcroît, l'autre rôle non moins écrasant de Raoul de Nangis a dû être repris in extremis (quasiment à la veille de cette première) par le ténor Yosep Kang. Dans ces conditions extrêmes, le ténor a parfois été quelque peu défaillant (particulièrement dans le registre aigu), malgré une excellente diction et un beau timbre dans le medium de la voix.

L'ensemble de la distribution, de haute volée, s'est révélé plus que séduisante avec une équipe de chanteurs français qui fait honneur à la scène nationale. C'est avec raison que l'Opéra de Paris fait appel à eux de façon plus marquée ces dernières saisons. Le Page Urbain de la mezzo Karine Deshayes est fabuleux, de même que le Comte de Nevers du baryton Florian Sempey.

© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.
© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.
Dans cette foule que charrient les scènes à grand spectacle, ils captent sans peine l'attention, nous captivent et ravissent de bout en bout. Les basses Nicolas Testé (Marcel) et Paul Gay (Saint-Bris) apportent respectivement la fidélité fanatique et la noirceur attendues de leurs personnages avec une élégance remarquable.

Les jeunes chanteurs, tels Cyrille Dubois, François Rougier et Patrick Bolleire, prouvent encore une fois qu'on ne peut guère être plus talentueux. Si la soprano Ermonela Jaho, très belle chanteuse d'ordinaire, peine à nous émouvoir dans le rôle de Valentine, c'est que ce dernier ne semble guère taillé pour elle. Ils évoluent dans la mise en scène graphique d'Andreas Kriegenburg, une proposition efficace avec son élégance et sa modernité un rien trop sage. À la réflexion, ces "Huguenots" sont bien ce qu'ils semblent être finalement : ce divertissement de roi qu'on aurait sans doute bien tort de prendre trop au sérieux, mais qu'on aurait tort de mépriser.

© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.
© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.
(1) Dans la production de Marc Minkowski et d'Olivier Py.
(2) Jean-Philippe Thiellay, directeur général adjoint de l'Opéra de Paris, vient de publier une biographie de Meyerbeer chez Actes Sud. Un travail érudit qui retrace le parcours du compositeur et replace son œuvre dans les enjeux de son époque et de la nôtre ; et une réhabilitation en forme de plaidoyer pour lui redonner toute sa place sur nos scènes lyriques dans un essai solidement étayé.


Du 28 septembre au 24 octobre 2018 à 18 h.

Un livestream de la soirée du 4 octobre est disponible sur le site de Culturebox.
Diffusion sur France Musique le 21 octobre 2018 à 20 h.

Opéra national de Paris.
Place de la Bastille Paris 12e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr

© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.
© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.
"Les Huguenots" (1836).
Opéra en cinq actes.
Musique de Giacomo Meyerbeer (1791-1864).
Livret d'E. Scribe et E. Deschamps.
En langue française surtitrée en français et en anglais.
Durée : 5 h avec deux entractes.

Michele Mariotti, direction musicale.
Andreas Kriegenburg, mise en scène.
Tanja Hofmann, costumes.
Harald B. Thor, décors.
Andreas Grüter, lumières.
Orchestre et Chœurs de l'Opéra de Paris.
José Luis Basso, chef des Chœurs.

© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.
© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris.

Christine Ducq
Lundi 8 Octobre 2018

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024