La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Le Paris Mozart Orchestra… le beau jeu d'artistes solidaires

L'orchestre, créé en 2011 par le chef Claire Gibault, nous propose plusieurs rendez-vous cette saison. Outre les concerts au Musée de la Piscine à Roubaix le 10 novembre et à l'Opéra de Nice le 22, avec Natalie Dessay, le Paris Mozart Orchestra réaffirme son engagement humaniste en jouant régulièrement à la prison de Fresnes ou à l'Hôpital Necker. Claire Gibault fait le point avec nous sur cette belle aventure artistique.



© DR.
© DR.
Si vous rencontrez des femmes chefs à la tête d'orchestres qu'elles ont créés, vous pouvez être certain qu'à un moment ou à un autre de la conversation, le nom de la pionnière dans ce domaine est cité, celui de Claire Gibault. Il était donc tout naturel de vouloir faire connaissance avec cette élégante brune à la voix posée dont l'accueil souriant ne fait pas oublier la détermination qui lui a été nécessaire pour ouvrir la voie depuis les années soixante-dix. Une anecdote le résume admirablement : en 1969, elle partage la une du quotidien France-Soir avec Neil Armstrong. S'il a fait un grand pas pour l'humanité, elle en a fait un gigantesque pour la parité en étant la première femme à diriger un orchestre de prestige.

Et son parcours est à l'avenant, exceptionnel, de l'Opéra de Lyon à la Scala, de l'Opéra de Vienne à Covent Garden, entre nombreux autres lieux renommés (elle sera l'assistante de Claudio Abbado et de John Eliot Gardiner), à une époque où l'absence de femmes à la tête d'institutions et d'orchestres est la règle dans le milieu très macho de la musique classique. La présence de femmes à des postes d'importance demeurant encore aujourd'hui marginale, il lui faut créer sa propre phalange pour pouvoir diriger - après une parenthèse politique comme députée européenne (1). Ce sera en 2011 le Paris Mozart Orchestra (formation à géométrie variable de onze à quarante-huit musiciens) conçu sur le modèle du Orchestra Mozart de Bologne, fondé par son ami et mentor Claudio Abbado.

© DR.
© DR.
Christine Ducq - Vous avez été une pionnière en France dans de nombreux domaines, la direction, l'engagement artistique féministe citoyen, la création d'un orchestre… mais toujours au nom de l'amour de la musique ?

Claire Gibault - Oui, c'est une passion qui remonte à l'enfance. La musique est mon langage. Il faut se donner les moyens de réaliser ses rêves, alors on se bat avec joie. J'ai choisi un métier qui n'était pas et qui n'est toujours pas si facile pour une femme. Les résistances sociologiques sont encore grandes même si nous sommes maintenant plus nombreuses à exercer ce métier et à en éprouver de grandes joies. Ce qui résiste bien sûr ce sont les plus hauts postes. En France aucune femme n'est à la direction musicale d'une grande institution publique comme chef d'orchestre. En Europe ce sont les États du nord qui sont les plus progressistes. Nos combats ont abouti en partie sans briser un plafond de verre qui demeure impénétrable. En France vous devez encore créer votre propre ensemble pour être directrice artistique.

L'éducation artistique est par ailleurs un de vos chevaux de bataille.

Claire Gibault - Nous intervenons dans une quinzaine d'établissements classés en zone sensible des académies de Créteil et Versailles. Des établissements scolaires situés dans des villes dont la population est très éloignée de notre monde musical et même de notre culture. Nous montons des projets avec eux et jouons sur place. Si nous n'allions pas vers ces jeunes, eux ne viendraient pas à nous pensant que ce n'est pas pour eux. Et cela se passe très bien !

Les jeunes sont passionnés et nos échanges sont très beaux. Avec l'orchestre nous les mettons en position de co-création. Chaque année nous commandons une création à un compositeur - un mélologue (2). Nous travaillons ensemble afin que les élèves aient des portes d'entrée créatives dans ces œuvres : écrire des textes, constituer des jurys littéraires, choisir des œuvres d'art visuel en relation avec elles, chanter. Et leur travail est très intéressant. À la fin d'une journée où nous avons tout partagé nous enfilons notre tenue de concert et nous jouons pour eux.

© DR.
© DR.
Vous jouez aussi pour des publics empêchés.

Claire Gibault - Je tiens à ce que nos activités sociales et humanitaires occupent cinquante pour cent de notre saison. Nous jouons ainsi à la prison de Fresnes pour hommes et pour les enfants de l'Hôpital Necker. Mais nous avons aussi des concerts prestigieux dans notre agenda comme celui du Musée de la Piscine de Roubaix dans quelques jours dans le cadre de l'exposition Chagall.

Parlez-nous du Paris Mozart Orchestra.

Claire Gibault - Il est composé de musiciens, toujours les mêmes, de très grande qualité : la crème de la crème ! Ils sont jeunes, très motivés et pleins de désir ! Dans cet orchestre non permanent, les musiciens sont là parce que nous avons non seulement des affinités musicales mais aussi des conceptions similaires de la vie et de l'engagement solidaire. Vous connaissez la charte de l'orchestre (3).

Vous ne bénéficiez pas d'aides publiques.

Claire Gibault - Tout à fait. Nous sommes entièrement financés par des entreprises ou des fondations familiales. Nous bénéficions aussi du soutien de la municipalité du IXe arrondissement de Paris - le maire est une jeune femme très dynamique. Nous jouons le premier dimanche de chaque mois Salle Rossini depuis cette année.

© DR.
© DR.
Les rencontres ont été importantes dans votre vie ?

Claire Gibault - Oui. Avec des compositeurs comme Fabio Vacchi par exemple - dont je viens (à nouveau, Ndlr) de créer une œuvre pour l'Exposition universelle de Milan. Et j'ai eu un mentor, Claudio Abbado (4). Nous étions très proches. La largeur de son répertoire, sa façon de concevoir son métier de chef m'ont beaucoup marquée. Je pourrai aussi citer la chanteuse Natalie Dessay qui fait partie du comité artistique du PMO et qui a fait ses débuts avec moi à Lyon. Elle sera la récitante de notre concert à l'Opéra de Nice et nous allons enregistrer un CD ensemble (5).

À Nice, vous allez jouer une œuvre de Graciane Finzi "Scénographies d'Edward Hopper". C'est un mélologue ?

Claire Gibault - Oui. Graciane Finzi est une compositrice française à qui j'ai commandé cette œuvre. Nous sommes allées ensemble visiter la rétrospective consacrée au peintre américain. Elle a choisi dix tableaux d'Edward Hopper puis des textes de l'écrivain franco-espagnol Claude Esteban, qui s'est glissé dans la peau des personnages et invente avec humour ce qu'ils pensent, ont fait ou feront avant ou après les moments saisis sur la toile. Il interroge ainsi les raisons de leur silence car on ne communique pas beaucoup dans les tableaux de Hopper. C'est la première œuvre emblématique alliant musique, littérature et arts plastiques que nous avons interprétée.

Outre la création contemporaine, le cœur du répertoire du PMO se situe dans la période pré-romantique ?

Claire Gibault - En effet. L'orchestre comporte une quarantaine de musiciens - ce qu'on appelle une formation Mozart. Mais nous adaptons aussi la taille de l'orchestre et nos programmes suivant les endroits où nous jouons. La base de l'orchestre, c'est le Quatuor Psophos (6) dont fait partie notre violon solo Eric Lacrouts (7) que j'ai rencontré alors que je dirigeais au Châtelet - prémisses d'une grande amitié ! Avec le violoncelliste Guillaume Martigné et lui j'ai pu instituer un principe d'autorité partagée. Nous travaillons et décidons ensemble.

Avez-vous encore un rêve à réaliser ?

Claire Gibault - Il faut faire vivre cet orchestre et rallier davantage de soutiens. Je me bats pour cela. Mon bonheur, c'est de diriger cet orchestre avec son style, ses choix éthiques mais il y a encore beaucoup à faire pour que la diversité pénètre dans le monde de la musique classique - tant pour les musiciens que pour le public. J'ai aussi beaucoup de plaisir à être invitée à la tête de grandes formations. Je suis ravie d'aller bientôt diriger au Japon le "Don Quichotte" de Massenet à la tête de l'Orchestre symphonique d'Osaka (en 2016, Ndlr).

Notes :
(1) Claire Gibault a été députée européenne de 2004 à 2009 siégeant à la Commission de la culture et de l'éducation et à la Commission du droit des femmes et de l'égalité des genres. Depuis 2010, elle est vice-présidente de la section Culture, Éducation et Communication du Conseil Économique Social et Environnemental.
(2) Un mélologue est une œuvre faisant appel à la musique, à la littérature et désormais aux arts plastiques.
(3) Égalité des salaires, non-discrimination sociale, laïcité, parité hommes-femmes, vocation sociale de l'orchestre.
(4) Un hommage à Claudio Abbado est prévu en novembre à la Philharmonie de Paris (les recettes du concert du 9 novembre seront intégralement reversées à l'Institut Curie pour la recherche contre le cancer).
(5) "Scénographies d'Edward Hopper" de Graciane Finzi.
(6) Éric Lacrouts, Bleuenn Le Maître, Cécile Grassi, Guillaume Martigné.
(7) Éric Lacrouts est par ailleurs violon solo de l'orchestre de l'Opéra de Paris.


Concerts :
Dimanche 8 novembre 2015 à 17 h, Salle Rossini, Paris 9e.
Mardi 10 novembre 2015 à 19 h, Musée de la Piscine, Roubaix (59).
Dimanche 22 novembre 2015 à 18 h, Opéra de Nice, Nice (06).
Lundi 7 décembre 2015 à 10 h 30, Philharmonie 2, Paris 19e.

Programmation complète >> parismozartorchestra.com

Christine Ducq
Jeudi 5 Novembre 2015

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024