Commande de Gerard Mortier, alors directeur de la Monnaie de Bruxelles, "La Ronde" est un des fruits de la collaboration du compositeur belge Philippe Boesmans et du metteur en scène Luc Bondy, qui a adapté pour le livret la fameuse pièce d'Arthur Schnitzler (du même nom). Réputée injouable par son auteur même, la pièce présente dix rencontres amoureuses sans lendemain où les partenaires s'échangent et se fuient en une danse mortifère (la fameuse ronde tel un cercle vicieux et sans espoir).
Les ombres de la syphilis et de la mort planent dans ce théâtre pour temps d'apocalypse viennoise pas si joyeuse. Vienne, c'est-à-dire la capitale d'un empire moribond qui disparaîtra à la fin de la Première guerre mondiale, cette première tuerie de masse au XXe siècle. Ancien médecin devenu écrivain, Arthur Schnitzler y observe ses contemporains (sans s'exclure lui-même, avec le personnage du Poète) tel un entomologiste cruel, exhibant le néant à de cette société hypocrite dénuée de valeurs comme de sentiments, littéralement déboussolée.
Ainsi dix personnages, incarnant les diverses classes sociales de la Vienne de la fin du XIXe, cherchent l'amour, l'aventure, s'achètent ou se vendent des faveurs sans parvenir à oublier tout à fait qu'ils sont en sursis : "Qui sait si demain nous serons encore en vie ?" se demande la Prostituée dans la première scène. Philippe Boesmans fait, quant à lui, œuvre d'humaniste lucide pour "s'approcher de l'être humain". Il cherche à dessiner "les états d'âme du personnage (…) l'ivresse, mais aussi la peur et la déception de l'amour" dans le discours musical.
Les ombres de la syphilis et de la mort planent dans ce théâtre pour temps d'apocalypse viennoise pas si joyeuse. Vienne, c'est-à-dire la capitale d'un empire moribond qui disparaîtra à la fin de la Première guerre mondiale, cette première tuerie de masse au XXe siècle. Ancien médecin devenu écrivain, Arthur Schnitzler y observe ses contemporains (sans s'exclure lui-même, avec le personnage du Poète) tel un entomologiste cruel, exhibant le néant à de cette société hypocrite dénuée de valeurs comme de sentiments, littéralement déboussolée.
Ainsi dix personnages, incarnant les diverses classes sociales de la Vienne de la fin du XIXe, cherchent l'amour, l'aventure, s'achètent ou se vendent des faveurs sans parvenir à oublier tout à fait qu'ils sont en sursis : "Qui sait si demain nous serons encore en vie ?" se demande la Prostituée dans la première scène. Philippe Boesmans fait, quant à lui, œuvre d'humaniste lucide pour "s'approcher de l'être humain". Il cherche à dessiner "les états d'âme du personnage (…) l'ivresse, mais aussi la peur et la déception de l'amour" dans le discours musical.
Mais il met à jour aussi leurs mensonges et leurs ridicules. Sa partition n'hésite pas à figurer souvent ironiquement les dérisoires scènes sexuelles que Schnitzler figurait sous forme de petits points évocateurs dans son texte. Dans cette transcription pour dix-neuf musiciens due à Fabrizio Cassol, le discours sonne plus contemporain. Le son tantôt raréfié (distribué entre les pupitres solistes, le piano, le célesta et les percussions), tantôt triomphant dans les tuttis gagne en couleurs et en énergie vitale ce qu'il perd en lyrisme et en texture orchestrale de la version originale.
La direction de Jean Deroyer rend justice à la complexité rythmique diabolique de l'œuvre. Les musiciens en résidence comme l'Orchestre-Atelier Ostinato se coulent impeccablement dans l'architecture raffinée de cette version chambriste qui amuse parfois et ravit souvent.
D'autant plus que la proposition scénique de Christiane Lutz tend un prodigieux miroir au spectateur d'aujourd'hui, en adaptant très finement cette ronde centenaire aux mœurs contemporaines. Si les rapports de domination ne sont plus les mêmes que dans les années 1890 (1), ils existent toujours : la prostituée et ses clients (un soldat au début et le Comte devenu ici un grand bourgeois à la fin de l'œuvre), une femme de chambre et le fils de famille, la grande dame soi-disant "honnête" et son vieux mari qui se révèle un vrai prédateur sexuel avec la Jeune Fille (la grisette de la pièce). Cette dernière est désormais un mannequin que le Photographe de mode (c'est-à-dire le Poète) exploite sans vergogne. Et ainsi de suite.
La direction de Jean Deroyer rend justice à la complexité rythmique diabolique de l'œuvre. Les musiciens en résidence comme l'Orchestre-Atelier Ostinato se coulent impeccablement dans l'architecture raffinée de cette version chambriste qui amuse parfois et ravit souvent.
D'autant plus que la proposition scénique de Christiane Lutz tend un prodigieux miroir au spectateur d'aujourd'hui, en adaptant très finement cette ronde centenaire aux mœurs contemporaines. Si les rapports de domination ne sont plus les mêmes que dans les années 1890 (1), ils existent toujours : la prostituée et ses clients (un soldat au début et le Comte devenu ici un grand bourgeois à la fin de l'œuvre), une femme de chambre et le fils de famille, la grande dame soi-disant "honnête" et son vieux mari qui se révèle un vrai prédateur sexuel avec la Jeune Fille (la grisette de la pièce). Cette dernière est désormais un mannequin que le Photographe de mode (c'est-à-dire le Poète) exploite sans vergogne. Et ainsi de suite.
Cette ronde de nuit, qui fait appel aux ressources de la vidéo du scénographe Christian André Tabakoff, présente des personnages qui se cherchent dans Paris avec la technologie la plus actuelle : application pour rencontres éphémères, SMS, déplacements erratiques en taxi, entre autres. Le fond de scène et quelques accessoires iconiques nous font évoluer de la chambre conjugale ou d'étudiant en bar de nuit, de la rue déserte au studio d'artiste ou au salon bourgeois.
Le procédé dramaturgique faisant d'un personnage le lien entre chacune des dix scènes, d'une grande efficacité ici soutenue par la mise en scène, tient en haleine le spectateur, entre bouffonnerie et épure. Voilà bien l'opéra de l'ultra moderne solitude. Et puis quelle belle découverte que celle des artistes lyriques en résidence à l'Académie, dont quelques-uns frappent tant par leur charisme sur le plateau que par leur chant.
Si tous mériteraient d'être cités, la soprano Marie Perbost (La Jeune Femme mariée) s'impose aisément avec un beau tempérament d'actrice et une voix opulente bien projetée. Farrah El Dibany (La Jeune Fille) offre un mezzo aux superbes couleurs sombres. Citons également le baryton ukrainien Danylo Matviienko, qui triomphe dans le rôle d'un Comte comique et touchant, réussissant à être à la fois élégant dans la ligne de chant et riche de nuances variées dans le jeu. De jeunes artistes qui donnent envie d'entrer dans la danse.
Le procédé dramaturgique faisant d'un personnage le lien entre chacune des dix scènes, d'une grande efficacité ici soutenue par la mise en scène, tient en haleine le spectateur, entre bouffonnerie et épure. Voilà bien l'opéra de l'ultra moderne solitude. Et puis quelle belle découverte que celle des artistes lyriques en résidence à l'Académie, dont quelques-uns frappent tant par leur charisme sur le plateau que par leur chant.
Si tous mériteraient d'être cités, la soprano Marie Perbost (La Jeune Femme mariée) s'impose aisément avec un beau tempérament d'actrice et une voix opulente bien projetée. Farrah El Dibany (La Jeune Fille) offre un mezzo aux superbes couleurs sombres. Citons également le baryton ukrainien Danylo Matviienko, qui triomphe dans le rôle d'un Comte comique et touchant, réussissant à être à la fois élégant dans la ligne de chant et riche de nuances variées dans le jeu. De jeunes artistes qui donnent envie d'entrer dans la danse.
(1) La pièce est écrite vers 1896 mais ne sera éditée à compte d'auteur qu'en 1903.
Spectacle vu le 4 novembre 2017.
Prochaines dates
Lundi 6, mercredi 8, vendredi 10 et samedi 11 novembre 2017 à 20 h.
Opéra national de Paris.
Amphithéâtre Bastille.
Place de la Bastille Paris (12e).
Tel : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr
Spectacle vu le 4 novembre 2017.
Prochaines dates
Lundi 6, mercredi 8, vendredi 10 et samedi 11 novembre 2017 à 20 h.
Opéra national de Paris.
Amphithéâtre Bastille.
Place de la Bastille Paris (12e).
Tel : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr
"La Ronde" (Reigen) (1993).
Opéra en dix scènes.
Musique : Philippe Boesmans.
Livret : Luc Bondy.
Orchestration : Fabrizio Cassol.
En langue allemande surtitrée en français.
Durée : 2 h 20 sans entracte.
Jean Deroyer, direction musicale.
Christiane Lutz, mise en scène.
Christian Tabakoff, scénographie et vidéo.
Natasha Maraval, costumes.
Daniel Levy, lumières.
Stefan Ulrich, dramaturgie.
Opéra en dix scènes.
Musique : Philippe Boesmans.
Livret : Luc Bondy.
Orchestration : Fabrizio Cassol.
En langue allemande surtitrée en français.
Durée : 2 h 20 sans entracte.
Jean Deroyer, direction musicale.
Christiane Lutz, mise en scène.
Christian Tabakoff, scénographie et vidéo.
Natasha Maraval, costumes.
Daniel Levy, lumières.
Stefan Ulrich, dramaturgie.
Sarah Shine, La Prostituée (Die Dirne).
Juan de Dios Mateos, Le Soldat (Der Soldat).
Jeanne Ireland, La Femme de chambre (Das Stubenmädchen)
Maciej Kwasnikowski, Le Jeune Homme (Der Junge Herr).
Marie Perbost, La Jeune Femme (Die Junge Frau).
Mateusz Hoedt, Le Mari (Der Gatte).
Farrah El Dibany, La Grisette (Das Süsses Mädel).
Jean-François Marras, Le Poète (Der Dichter).
Angélique Boudeville, La Cantatrice (Die Sängerin).
Danylo Matviienko, Le Comte (Der Graf).
Musiciens en résidence à l'Académie :
Gerta Alla, Aymeric Gracia, Hannah Zribi, violons.
Beatriz Ortiz Romero, Marie Walter, altos.
Annabelle Gouache, Hsing-Han Tsai, violoncelles.
Felipe Devincenzi, contrebasse.
Juan de Dios Mateos, Le Soldat (Der Soldat).
Jeanne Ireland, La Femme de chambre (Das Stubenmädchen)
Maciej Kwasnikowski, Le Jeune Homme (Der Junge Herr).
Marie Perbost, La Jeune Femme (Die Junge Frau).
Mateusz Hoedt, Le Mari (Der Gatte).
Farrah El Dibany, La Grisette (Das Süsses Mädel).
Jean-François Marras, Le Poète (Der Dichter).
Angélique Boudeville, La Cantatrice (Die Sängerin).
Danylo Matviienko, Le Comte (Der Graf).
Musiciens en résidence à l'Académie :
Gerta Alla, Aymeric Gracia, Hannah Zribi, violons.
Beatriz Ortiz Romero, Marie Walter, altos.
Annabelle Gouache, Hsing-Han Tsai, violoncelles.
Felipe Devincenzi, contrebasse.
Orchestre-Atelier Ostinato :
Maël Marcon, flûte, piccolo.
Constant Madon, hautbois.
Seung-Hwan Lee, clarinette, clarinette basse.
Valentin Neumann, basson, contrebasson.
Romain Albert, Thomas Bocquet, cors.
Luce Perret, trompette.
Yvan Ferré, trombone.
Quentin Broyart, Pierre Fourré, Tristan Perreira, percussions.
Maël Marcon, flûte, piccolo.
Constant Madon, hautbois.
Seung-Hwan Lee, clarinette, clarinette basse.
Valentin Neumann, basson, contrebasson.
Romain Albert, Thomas Bocquet, cors.
Luce Perret, trompette.
Yvan Ferré, trombone.
Quentin Broyart, Pierre Fourré, Tristan Perreira, percussions.