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Avignon 2021

•In 2021• Mister Tambourine Man, deux clowns célestes en quête d'humanité

Ces deux-là empruntent à leurs acteurs porte-voix le diminutif de leurs prénoms… à moins que ce ne soit l'inverse, tant ici la consanguinité entre les personnages et les comédiens censés les faire vivre est criante. Niko (alias Nikolaus Holz, fabuleux), fébrile serveur de café pétri d'impératifs moraux introjectés, et Dan (alias Denis Lavant, libertaire explosif), incarnation d'un Christ débauché chargé de la rédemption des vices cachés des établis, vont se livrer cash à un jeu monumental. Leur rencontre improbable dans ce bar de nulle part, convoquera toutes les ressources de "l'art vivant" pour tenter de ressusciter notre part d'humanité manquante.



© Nigentz Gumuschian.
© Nigentz Gumuschian.
La première représentation a élu refuge sous le préau d'un collège populaire situé à l'extérieur des remparts comme, si pour aller à la rencontre de son public, il allait de soi de s'affranchir des barrières de l'entre-soi de l'intra-muros. Un "estanco" (bar en argot) fait de bric et de broc accueille le public disposé sur trois de ses flancs. S'entasse là une cargaison de chaises et tabourets juchés sur un chariot branlant. Un vieux piano flanque le bar ringardisé à souhait par un trophée tête de cerf affublé d'une couronne des rois et d'une pancarte "passage interdit". Le décor planté, la messe iconoclaste va pouvoir être dite.

Les clowns comme les bouffons du roi sont dotés de ce pouvoir extraterrestre de révéler à la société bien-pensante les monstruosités qu'elle tente de dissimuler sous le manteau prêt-à-porter des convenances d'usage. Surgi d'une couverture informe comme un diable de sa boîte, le premier à nous déloger de notre zone de confort frappe avec vigueur sur les touches du piano tout en laissant échapper le flux d'écholalies qui le traverse. Se faisant l'écho irrépressible des injonctions sociétales l'assignant à sa place de serveur, il n'a de cesse de les répéter convulsivement et - afin de ne pas commettre le crime d'oubli - des post-it innombrables sont là pour les lui rappeler : "un très bon serveur doit être irréprochable…".

Quand le second vêtu d'un manteau noir trainant derrière lui une kyrielle de grelots et précédé d'une grosse caisse en bandoulière fera son entrée fracassante, le serveur, délogé du territoire sans âme où sa vie s'est retirée, en éprouvera une gêne apocalyptique. S'ensuivra une série d'évitements et de rencontres fortuites autour des prouesses acrobatiques du circassien redoublées par les pitreries musicales du philosophe en colère éructant ses invectives contre une société ayant fait de lui le monstre rédempteur de sa propre ignominie (la scène se passe à Hamelin, faut-il le préciser, et lui aussi joue de la flûte avec tout ce qui lui tombe sous la main, pierres, coquillages dans lesquels il s'époumone pour leur faire rendre le son parfait…).

© Nigentz Gumuschian.
© Nigentz Gumuschian.
Et comme "toute chose court inévitablement vers sa chute", les cascades en série se précipitent. Jets de verres, boules en lévitation, chaises catapultées, chariot fou, mât chinois improvisé, la folie bat son plein sur un plateau transformé en aire de jeu… de massacres. De ce "dé-lire" d'une communauté gangrénée par ses démons inavoués, ressortent deux êtres qui, après s'être opposés (victimes du même traumatisme, l'un recherchait sa survie dans l'oubli névrotique, l'autre son viatique dans la révolte à fleur de peau) vont se "con-fondre" l'un dans l'autre échangeant jusqu'aux trainées noire et blanche qui barraient leur tenue.

Spectacle de saltimbanques - aux visages illuminés de couleurs vives et aux tenues abracadabrantesques - destiné à migrer au cours du Festival dans pas moins de seize lieux atypiques, ce numéro tragi-comique de deux exclus apparemment aux antipodes rivalise de folies salutaires. Tels l'Auguste et le clown blanc (sauf que là ce sont deux augustes compères), les failles de l'un et de l'autre s'étayent pour les confondre dans la même quête insensée : retrouver un lien avec une humanité disqualifiée pour avoir fauté grave, avoir accepté les yeux fermés le sacrifice programmé de ses enfants…

La colère poétique sert de carburant à la vérité en marche. Son acidité corrosive met à nu l'hypocrisie crasse des paroles mielleuses des établis macérant dans leurs turpitudes de nantis. "En regardant les adultes je ne vois qu'un ossuaire, un charnier", éructera l'homme-orchestre, aussi n'est-il pas si surprenant de voir in fine deux rats, eux bien vivants, prendre le dessus sur cette humanité en voie d'obsolescence programmée. On pense alors à la petite souris de "L'écume des jours" de Boris Vian qui, elle aussi, aimait danser dans la lumière, s'échappant à la dernière seconde de la maison qui s'écroule…

Virtuosités circassiennes de haut vol, virtuosités interprétatives époustouflantes, profondeurs des propos enchâssés dans une langue poétique ciselée, mise en jeu étourdissante de libertés sans frontières, c'est à une "fête des sens" que nous sommes conviés ce soir. Un spectacle total nous transportant sur les chemins d'une joie insoupçonnée : celle d'aller à nouveau à la rencontre du vivant, frappant aux portes de nos existences à recolorer de toute urgence.

Vu le 6 juillet au Collège Anselme Mathieu d'Avignon.

"Mister Tambourine Man"

Karelle Prugnaud © Julien Millet.
Karelle Prugnaud © Julien Millet.
Création IN.
Texte : Eugène Durif.
Mise en scène : Karelle Prugnaud.
Avec : Nikolaus Holz, Denis Lavant.
collaboration artistique, Nikolaus Holz.
scénographie, Éric Benoit, Emmanuel Pestre.
lumière, Emmanuel Pestre.
création sonore, Guillaume Mika.
conseil musical, Pierre-Jules Billon.
costumes, Antonin Boyot-Gellibert.
Durée : 1 h 20.

•Avignon In 2021•
Du 6 au 24 juillet 2021.
À 20 h, relâche les 11 et 18 juillet.
Spectacle en itinérance :
6 juillet : Collège Anselme Mathieu, Avignon.
7 juillet : Espace Baron de Chabert, Barbentane.
8 juillet : Centre départemental, Rasteau.
9 juillet : La Cigalière, Bollène.
10 juillet : L'Alpilium, Saint-Rémy-de-Provence.
13 juillet : Salle des fêtes Roger Orlando, Caumont-sur-Durance.
14 juillet : Arènes Robert Garlando, Roquemaure.
15 juillet : Salle de L'Arbousière, Châteauneuf-de-Gadagne.
16 juillet : Parc Chico Mendes, Avignon (en entrée libre).
17 juillet : Salle des fêtes La Pastourelle, Saint-Saturnin-lès-Avignon.
19 juillet : Cour du Château, Aramon.
20 juillet : Cour du Château, Vacqueyras.
21 juillet : Complexe sportif Jean Galia, Rochefort-du-Gard.
22 juillet : Salle polyvalente, Saze.
23 juillet : Salle polyvalente, Courthézon.
24 juillet : Pôle culturel Camille Claudel, Sorgues.

>> festival-avignon.com
Réservations : 04 90 14 14 14 .

Yves Kafka
Mercredi 7 Juillet 2021

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"Différente" Carolina ou "Cada uno es un mundo (Chacun est un monde)"

Star internationale à la frange rouge, Carolina est de retour en France, après sa tournée mondiale. Heureuse de retrouver son public préféré, elle interprète en live des chansons populaires qui touchent le cœur de toutes les générations.

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Portraitiste décalé et impertinent d'une Histoire de France ou de l'Humanité aux galbes pas toujours gracieux dont surgissent parfois les affres de notre condition humaine, Régis Vlachos, "Cabaret Louise" (Louise Michel), "Dieu est mort" (Dieu, mieux vaut en rire)"Little Boy" (nom de la bombe larguée sur Hiroshima), revient avec un nouveau spectacle (création 2023) inspiré d'un des plus grands scandales de notre histoire contemporaine : la Françafrique. Et qui d'autre que Jacques Chirac – l'homme qui faisait la bise aux dictateurs – pouvait être convoqué au "tribunal" du rire et de la fantaisie par l'auteur facétieux, mais doté d'une conscience politique aiguë, qu'est Régis Vlachos.

Le président disparu en 2019 fut un homme complexe composé du Chirac "bulldozer" en politique, menteur, magouilleur, et du Jacques, individu affable, charmeur, mettant autant la main au cul des vaches que des femmes. Celui-ci fut d'abord attiré le communisme pour ses idéaux pacifistes. Il vendra même L'Humanité-dimanche devant l'église Saint-Sulpice.

La diversité des personnalités importantes qui marquèrent le début de son chemin politique joue tout autant la complexité : Michel Rocard, André Malraux et, bien sûr, Georges Pompidou comme modèle, Marie-France Garaud, Pierre Juillet… et Dassault comme portefeuille ! Le tout agrémenté de nombre de symboles forts et de cafouillages désastreux : le bruit et l'odeur, la pomme, le cul des vaches, les vacances à l'île Maurice, les amitiés avec les despotes infréquentables, l'affaire ELF, etc.

Gil Chauveau
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