© Opéra de Lyon 2013.
Eh oui, je me présente à vous bien repentante et mangeant mon chapeau, qui osais mettre en doute le travail du jeune metteur en scène tchèque ! À l’opéra, les enfants turbulents du Regie Theater sont il est vrai très souvent délectables ! Pensons à Kristof Warlikowski, tout à fait insupportable au théâtre - ah, les abîmes d’ennui de son "Tramway nommé Désir" à l’Odéon - et supérieurement doué à l’opéra - par exemple son "Parsifal" à Paris !
Ce "Capriccio" là, une "conversation musicale" en un acte, est une œuvre bien intéressante. Par son sujet, et les circonstances de sa création, par la personnalité même de son compositeur. Bref rappel de l’argument : une charmante comtesse française doit arbitrer en son château (au XVIIIe siècle) la dispute qui divise ses deux amoureux, un poète et un musicien, en présence d’un directeur de théâtre (La Roche), du frère de Madeleine (la comtesse), de la Clairon, actrice célèbre et de quelques domestiques. Sujet de ce débat qui fit vraiment rage au siècle des Lumières ? Une question bien théorique : des paroles ou de la musique, qui doit primer dans un opéra ?
Ce "Capriccio" là, une "conversation musicale" en un acte, est une œuvre bien intéressante. Par son sujet, et les circonstances de sa création, par la personnalité même de son compositeur. Bref rappel de l’argument : une charmante comtesse française doit arbitrer en son château (au XVIIIe siècle) la dispute qui divise ses deux amoureux, un poète et un musicien, en présence d’un directeur de théâtre (La Roche), du frère de Madeleine (la comtesse), de la Clairon, actrice célèbre et de quelques domestiques. Sujet de ce débat qui fit vraiment rage au siècle des Lumières ? Une question bien théorique : des paroles ou de la musique, qui doit primer dans un opéra ?
© Opéra de Lyon 2013.
Ce sera donc un méta-opéra, une œuvre qui pratique une constante mise en abîme : un opéra qui parle d’un opéra en train de s’écrire et qui interroge les conditions de création d’un bon opéra ! (Ouf !) Ce cœur de l’œuvre, David Marton s’en empare avec brio : le décor consiste en une coupe transversale d’une salle d’opéra avec scène, fosse d’orchestre et parterre. Dans le fond, les loges, dans une architecture à l’italienne, où tous les personnages viendront tour à tour s’installer, comme dans les autres espaces scéniques. Les costumes appartiennent à diverses époques, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, comme il sied pour un chef d’œuvre qui se présente aussi comme une réévaluation enlevée de l’histoire lyrique occidentale.
Mais ce n’est pas tout, "Capriccio" n’est pas que cet opéra léger et élégant que promet l’histoire. Il est aussi le "testament" selon ses propres termes d’un compositeur munichois vieillissant et plutôt compromis avec le régime nazi. Il remplace Arturo Toscanini à Bayreuth en 1933, moins incommodé que le chef italien par les bruits de bottes. Il va même composer la musique de l’ouverture des Jeux olympiques à Berlin… et sa carrière est déclinante depuis fort longtemps. Alors, quelle muse le ressaisit à 77 ans, lui permettant de composer son dernier chef d’œuvre lyrique ? Et ce, en 1941. Vraie bonne question : en cette période de ténèbres, à quoi bon un opéra, cette "absurdité" (dixit La Roche) ?
Mais ce n’est pas tout, "Capriccio" n’est pas que cet opéra léger et élégant que promet l’histoire. Il est aussi le "testament" selon ses propres termes d’un compositeur munichois vieillissant et plutôt compromis avec le régime nazi. Il remplace Arturo Toscanini à Bayreuth en 1933, moins incommodé que le chef italien par les bruits de bottes. Il va même composer la musique de l’ouverture des Jeux olympiques à Berlin… et sa carrière est déclinante depuis fort longtemps. Alors, quelle muse le ressaisit à 77 ans, lui permettant de composer son dernier chef d’œuvre lyrique ? Et ce, en 1941. Vraie bonne question : en cette période de ténèbres, à quoi bon un opéra, cette "absurdité" (dixit La Roche) ?
© Opéra de Lyon 2013.
C’est ce que nous explique admirablement David Marton aussi. Alors que Richard Strauss voit agoniser la culture allemande, celle portée haut par Goethe, Mozart et Beethoven - auquel son ouverture jouée par un sextuor de cordes rend hommage - il peut nous faire d’ultimes révélations. Et écrire l’un des plus beaux éloges de la beauté qui soit : celle des voix, des artistes, de la musique. Dans le plaidoyer de La Roche, le directeur de théâtre, à la scène IX, Richard Strauss lui-même semble parler "pour sortir de la dépression la plus noire / Et réveiller l’énergie évanouie". Et les questions esthétiques sont forcément politiques : une danseuse invitée par La Roche est incarnée chez Marton en trois danseuses à trois âges différents : l’enfance, la jeunesse, la vieillesse, autant d’allégories, de vanités, des chanteurs italiens affamés ; et tout ce petit monde qui subit les persécutions d’un Mr Taupe (souffleur dans l’opéra) devenu agent de la Gestapo.
Bref, l’illusion est dans la salle réservée aux spectateurs (c’est-à-dire les personnages principaux) et la vérité surgit sur la scène représentée. Comme le chantent les domestiques à la scène XI : "Nous voyons, nous voyons derrière les décors" ! L’explicite et l’implicite du livret* se révèlent donc sans fard, dans un enchaînement de scènes qui mélangent les genres et les registres, du burlesque au sublime, procédé éminemment ironique comme on le sait. Après un dernier aria d’un lyrisme qui déchire le cœur où la Comtesse se demande comment finir l’opéra sans trivialité, le majordome annonce que le repas est servi ! La gravité court uniment, autre facette de la sensibilité, comme si le compositeur savait déjà que l’Opéra de Munich, où est créée l’œuvre en 1942 - non loin des camps de concentration allemands - serait bombardé et détruit en 1945. Comme son monde ancien, peuplé des fantômes de Hofmannsthal et de Zweig.
La direction de B. Kontarsky est parfaite, le plateau des chanteurs homogène - avec un coup de chapeau à un La Roche/Victor Von Halem charismatique et la comtesse d’Emily Magee émouvante (même si elle ne peut atteindre les sommets d’une Élisabeth Schwartzkopf ou d’une Renée Fleming). Quant à David Marton, je vous prédis qu’il deviendra l’enfant chéri de grandes scènes lyriques. Un spectacle tout à fait indispensable donc, qui donne à penser bien après qu’on est sorti, marchant sur un nuage après le pur plaisir de la musique. Que demander de plus ?
Bref, l’illusion est dans la salle réservée aux spectateurs (c’est-à-dire les personnages principaux) et la vérité surgit sur la scène représentée. Comme le chantent les domestiques à la scène XI : "Nous voyons, nous voyons derrière les décors" ! L’explicite et l’implicite du livret* se révèlent donc sans fard, dans un enchaînement de scènes qui mélangent les genres et les registres, du burlesque au sublime, procédé éminemment ironique comme on le sait. Après un dernier aria d’un lyrisme qui déchire le cœur où la Comtesse se demande comment finir l’opéra sans trivialité, le majordome annonce que le repas est servi ! La gravité court uniment, autre facette de la sensibilité, comme si le compositeur savait déjà que l’Opéra de Munich, où est créée l’œuvre en 1942 - non loin des camps de concentration allemands - serait bombardé et détruit en 1945. Comme son monde ancien, peuplé des fantômes de Hofmannsthal et de Zweig.
La direction de B. Kontarsky est parfaite, le plateau des chanteurs homogène - avec un coup de chapeau à un La Roche/Victor Von Halem charismatique et la comtesse d’Emily Magee émouvante (même si elle ne peut atteindre les sommets d’une Élisabeth Schwartzkopf ou d’une Renée Fleming). Quant à David Marton, je vous prédis qu’il deviendra l’enfant chéri de grandes scènes lyriques. Un spectacle tout à fait indispensable donc, qui donne à penser bien après qu’on est sorti, marchant sur un nuage après le pur plaisir de la musique. Que demander de plus ?
© Opéra de Lyon 2013.
Notes :
Des "notes qui parlent plus haut" : "Capriccio", scène XIII.
* "Regardez bien les farces vulgaires/Dont notre capitale se délecte./Leur emblème est la grimace,/La parodie est leur élément,/Leur substance est d’une obscénité immorale !/Leurs plaisirs sont grossiers et brutaux !/Les masques sont certes tombés/Mais on voit, au lieu de visages humains, des gueules de raie." "Capriccio", scène IX : on voit bien qui Strauss vise ici avec ces mots quasi brechtiens…
"Capriccio, conversation musicale" (1942).
Livret en allemand de Clemens Krauss et Richard Strauss.
Musique : Richard Strauss (1869 – 1949).
Surtitré en français.
Durée : 2 h 45 sans entracte.
Du 7 au 19 mai 2013.
Mardi 7, jeudi 9, samedi 11, lundi 13, mercredi 15, vendredi 17 mai à 20 h.
Dimanche 19 mai à 16 h.
Opéra de Lyon, 04 69 85 54 54.
1, place de la Comédie, Lyon 1er.
>> opera-lyon.com
Emily Magee, la Comtesse.
Christoph Pohl, le Comte.
Lothar Odinius, Flamand.
Lauri Vasar, Olivier.
Victor von Halem, La Roche.
Michaela Selinger, La Clairon.
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon.
Bernhard Kontarsky, direction musicale.
David Marton, mise en scène.
Alan Woodbridge, Chef des Chœurs.
Barbara Engelhardt, dramaturgie.
Christian Friedländer, décors et costumes.
Henning Streck, lumières.
En coproduction avec La Monnaie/De Munt (Bruxelles).
Des "notes qui parlent plus haut" : "Capriccio", scène XIII.
* "Regardez bien les farces vulgaires/Dont notre capitale se délecte./Leur emblème est la grimace,/La parodie est leur élément,/Leur substance est d’une obscénité immorale !/Leurs plaisirs sont grossiers et brutaux !/Les masques sont certes tombés/Mais on voit, au lieu de visages humains, des gueules de raie." "Capriccio", scène IX : on voit bien qui Strauss vise ici avec ces mots quasi brechtiens…
"Capriccio, conversation musicale" (1942).
Livret en allemand de Clemens Krauss et Richard Strauss.
Musique : Richard Strauss (1869 – 1949).
Surtitré en français.
Durée : 2 h 45 sans entracte.
Du 7 au 19 mai 2013.
Mardi 7, jeudi 9, samedi 11, lundi 13, mercredi 15, vendredi 17 mai à 20 h.
Dimanche 19 mai à 16 h.
Opéra de Lyon, 04 69 85 54 54.
1, place de la Comédie, Lyon 1er.
>> opera-lyon.com
Emily Magee, la Comtesse.
Christoph Pohl, le Comte.
Lothar Odinius, Flamand.
Lauri Vasar, Olivier.
Victor von Halem, La Roche.
Michaela Selinger, La Clairon.
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon.
Bernhard Kontarsky, direction musicale.
David Marton, mise en scène.
Alan Woodbridge, Chef des Chœurs.
Barbara Engelhardt, dramaturgie.
Christian Friedländer, décors et costumes.
Henning Streck, lumières.
En coproduction avec La Monnaie/De Munt (Bruxelles).