Christine Ducq - Le conservatoire a un fonctionnement qui ne semble pas vous avoir enchanté outre mesure, vous qui avez toujours choisi des voies non balisées ?
David Grimal - C'est plus complexe que cela. J'ai été en effet étudiant au CSNMD (1) de Paris - et je peux en parler avec plus de recul aujourd'hui étant professeur en Allemagne où je me trouve très bien. Le CSNMD est une école formidable par certains côtés puisque c'est un vivier de talents venus de tout le pays et de l'étranger. De ce point de vue, c'est sans aucun doute une des meilleures écoles au monde. Le point faible du système français centralisé, c'est que le conservatoire de Paris occupe, avec le conservatoire de Lyon dans une moindre mesure, le sommet de la pyramide : il s'agit d'un système qui peut être vécu comme exclusif par beaucoup de jeunes musiciens qui n'y entreront pas. C'est un passage obligé pour devenir professionnel en France. Cette pression que l'institution exerce se fait sentir également pendant les études pour les heureux élus. Certains étudiants en ressortent broyés. Il en résulte un climat de compétition assez féroce qui peut être motivant pour certains et destructeur pour d'autres.
En Allemagne, le système est différent du fait qu'il existe vingt-cinq Hochschule sur le modèle de l'université - pas seulement deux conservatoires supérieurs comme en France. L'offre est donc radicalement différente. Il faut bien entendu un bon niveau pour y entrer et, pour les étudiants, c'est le professeur qui compte - pas l'institution.
En France les jeunes musiciens se retrouvent dans la nature à vingt ans (contre vingt-huit ans en Allemagne) : c'est beaucoup trop tôt. Vingt ans, c'est l'âge où on devrait commencer des études supérieures avec moins de pression et plus de curiosité pour les autres.
Je rêverais dans notre pays de sept ou huit conservatoires supérieurs qui recruteraient des professeurs venus de tous les pays. Mais il faudrait mieux les rémunérer qu'actuellement, car les salaires sont trop bas pour attirer les étrangers. Je sais que l'on a créé ces dernières années des pôles supérieurs dans certains conservatoires de région, cela va certainement dans le bon sens. Mais est-ce suffisant ?
Enfin, il faudrait une vraie vie musicale en province (je sais que nous y avons de belles manifestations, de très bons orchestres et opéras) - encore sur le modèle allemand, qui serait moins centralisé, moins sclérosé, moins dominé par les mêmes.
David Grimal - C'est plus complexe que cela. J'ai été en effet étudiant au CSNMD (1) de Paris - et je peux en parler avec plus de recul aujourd'hui étant professeur en Allemagne où je me trouve très bien. Le CSNMD est une école formidable par certains côtés puisque c'est un vivier de talents venus de tout le pays et de l'étranger. De ce point de vue, c'est sans aucun doute une des meilleures écoles au monde. Le point faible du système français centralisé, c'est que le conservatoire de Paris occupe, avec le conservatoire de Lyon dans une moindre mesure, le sommet de la pyramide : il s'agit d'un système qui peut être vécu comme exclusif par beaucoup de jeunes musiciens qui n'y entreront pas. C'est un passage obligé pour devenir professionnel en France. Cette pression que l'institution exerce se fait sentir également pendant les études pour les heureux élus. Certains étudiants en ressortent broyés. Il en résulte un climat de compétition assez féroce qui peut être motivant pour certains et destructeur pour d'autres.
En Allemagne, le système est différent du fait qu'il existe vingt-cinq Hochschule sur le modèle de l'université - pas seulement deux conservatoires supérieurs comme en France. L'offre est donc radicalement différente. Il faut bien entendu un bon niveau pour y entrer et, pour les étudiants, c'est le professeur qui compte - pas l'institution.
En France les jeunes musiciens se retrouvent dans la nature à vingt ans (contre vingt-huit ans en Allemagne) : c'est beaucoup trop tôt. Vingt ans, c'est l'âge où on devrait commencer des études supérieures avec moins de pression et plus de curiosité pour les autres.
Je rêverais dans notre pays de sept ou huit conservatoires supérieurs qui recruteraient des professeurs venus de tous les pays. Mais il faudrait mieux les rémunérer qu'actuellement, car les salaires sont trop bas pour attirer les étrangers. Je sais que l'on a créé ces dernières années des pôles supérieurs dans certains conservatoires de région, cela va certainement dans le bon sens. Mais est-ce suffisant ?
Enfin, il faudrait une vraie vie musicale en province (je sais que nous y avons de belles manifestations, de très bons orchestres et opéras) - encore sur le modèle allemand, qui serait moins centralisé, moins sclérosé, moins dominé par les mêmes.
Parlons du programme choisi pour la tournée. Pourquoi Verdi et Tchaïkovski (2) ? L'orchestre comprendra-t-il encore soixante-dix musiciens ?
David Grimal - Oui, un gros orchestre. En ce qui concerne les œuvres, nous avions envie de les jouer. J'avais envie de poursuivre cette aventure et voir jusqu'où nous pouvions aller dans les grands concertos pour violon, sans chef. Et ces œuvres du répertoire romantique, dont le thème commun est le destin, sont très belles. Notre objectif est toujours de faire bouger les lignes.
Comment se fait concrètement le choix des œuvres avec Les Dissonances ?
David Grimal - Le choix se faite manière collégiale. J'ai des discussions informelles avec les musiciens. Je prends ensuite les décisions. Cela peut se faire au hasard des rencontres, par exemple dans un train en tournée. Nous discutons et tout cela met du temps à mûrir. Il faut aussi négocier avec les organisateurs car si notre marge est grande, elle n'est pas totale. Ceux qui nous engagent doivent être en accord avec nos choix - ce qui n'est pas systématique.
Ma responsabilité est de veiller à l'évolution de notre répertoire sans mettre l'orchestre en danger. Nous ne voulons nous enfermer ni dans une époque, ni dans un style pour proposer une programmation ouverte, contrastée, qui enrichit notre langage.
Comment travaillez vous en répétition ?
David Grimal - De manière collégiale également. Même si je mène le travail, la discussion est toujours possible avec chacun. Évidemment, elles doivent se terminer à un moment et je dois trancher. Nous avons en moyenne trois heures de répétition et une obligation de résultat. Les musiciens, très professionnels, le comprennent très bien.
Donc nous fonctionnons dans une horizontalité mais aussi une verticalité. Notons que comme nous nous connaissons très bien et que l'orchestre a acquis de la maturité, mon rôle évolue. Je dois piloter sans déranger, dirais-je.
David Grimal - Oui, un gros orchestre. En ce qui concerne les œuvres, nous avions envie de les jouer. J'avais envie de poursuivre cette aventure et voir jusqu'où nous pouvions aller dans les grands concertos pour violon, sans chef. Et ces œuvres du répertoire romantique, dont le thème commun est le destin, sont très belles. Notre objectif est toujours de faire bouger les lignes.
Comment se fait concrètement le choix des œuvres avec Les Dissonances ?
David Grimal - Le choix se faite manière collégiale. J'ai des discussions informelles avec les musiciens. Je prends ensuite les décisions. Cela peut se faire au hasard des rencontres, par exemple dans un train en tournée. Nous discutons et tout cela met du temps à mûrir. Il faut aussi négocier avec les organisateurs car si notre marge est grande, elle n'est pas totale. Ceux qui nous engagent doivent être en accord avec nos choix - ce qui n'est pas systématique.
Ma responsabilité est de veiller à l'évolution de notre répertoire sans mettre l'orchestre en danger. Nous ne voulons nous enfermer ni dans une époque, ni dans un style pour proposer une programmation ouverte, contrastée, qui enrichit notre langage.
Comment travaillez vous en répétition ?
David Grimal - De manière collégiale également. Même si je mène le travail, la discussion est toujours possible avec chacun. Évidemment, elles doivent se terminer à un moment et je dois trancher. Nous avons en moyenne trois heures de répétition et une obligation de résultat. Les musiciens, très professionnels, le comprennent très bien.
Donc nous fonctionnons dans une horizontalité mais aussi une verticalité. Notons que comme nous nous connaissons très bien et que l'orchestre a acquis de la maturité, mon rôle évolue. Je dois piloter sans déranger, dirais-je.
"Sans déranger", que voulez-vous dire ?
David Grimal - Sans vouloir trop maîtriser les choses. Je dois être quelque part plus "chef" qu'avant mais je dois aussi laisser les choses se faire. C'est un mélange subtil entre le lâcher-prise et l'émergence d'une nouvelle manière de travailler. C'est passionnant.
Karajan disait qu'un chef d'orchestre a réussi quand cent personnes n'en font plus qu'une. Avec un orchestre sans chef comme Les Dissonances, s'agit-il plutôt de conserver les individualités ?
David Grimal - C'est intéressant comme question - une question très ouverte. Je dirais les deux. Il faut être capable de jouer comme un seul homme mais que cette cohésion, cette osmose, ne réduise aucun individu. Donc que le ressenti de chacun s'épanouisse au contact de celui des autres.
Là où je diffère de ce que peut dire Karajan, c'est qu'il imagine peut-être une armée qui marche à la baguette. Je n'ai pas du tout cette conception. Cet idéal signe pour moi la fin de la musique. Karajan n'avait peut-être pas un idéal de démocratie ancré très profondément, puisque je crois me souvenir que les idées du nazisme lui convenaient fort bien…
Et même dans les deux partis, allemand et autrichien.
David Grimal - Voilà. Ce n'est pas ma tasse de thé évidemment. En revanche l'homogénéité du son, la conscience de jouer avec un autre, donc d'attaquer le son ensemble - que le violoncelle attaque avec un cor ou que le premier violon joue avec la flûte - est essentiel. Les musiciens savent que les sonorités doivent s'épouser et qu'on doit arriver à une quintessence commune. Si chacun est ouvert à l'autre, ce n'est pas un orchestre militarisé mais un organisme sensible. Il s'agit de réconcilier les différentes familles d'instruments pour que leurs timbres ressortent beaucoup mieux, de travailler sur la transparence. Avec Les Dissonances, si ce n'est pas très clair, rien ne marche.
David Grimal - Sans vouloir trop maîtriser les choses. Je dois être quelque part plus "chef" qu'avant mais je dois aussi laisser les choses se faire. C'est un mélange subtil entre le lâcher-prise et l'émergence d'une nouvelle manière de travailler. C'est passionnant.
Karajan disait qu'un chef d'orchestre a réussi quand cent personnes n'en font plus qu'une. Avec un orchestre sans chef comme Les Dissonances, s'agit-il plutôt de conserver les individualités ?
David Grimal - C'est intéressant comme question - une question très ouverte. Je dirais les deux. Il faut être capable de jouer comme un seul homme mais que cette cohésion, cette osmose, ne réduise aucun individu. Donc que le ressenti de chacun s'épanouisse au contact de celui des autres.
Là où je diffère de ce que peut dire Karajan, c'est qu'il imagine peut-être une armée qui marche à la baguette. Je n'ai pas du tout cette conception. Cet idéal signe pour moi la fin de la musique. Karajan n'avait peut-être pas un idéal de démocratie ancré très profondément, puisque je crois me souvenir que les idées du nazisme lui convenaient fort bien…
Et même dans les deux partis, allemand et autrichien.
David Grimal - Voilà. Ce n'est pas ma tasse de thé évidemment. En revanche l'homogénéité du son, la conscience de jouer avec un autre, donc d'attaquer le son ensemble - que le violoncelle attaque avec un cor ou que le premier violon joue avec la flûte - est essentiel. Les musiciens savent que les sonorités doivent s'épouser et qu'on doit arriver à une quintessence commune. Si chacun est ouvert à l'autre, ce n'est pas un orchestre militarisé mais un organisme sensible. Il s'agit de réconcilier les différentes familles d'instruments pour que leurs timbres ressortent beaucoup mieux, de travailler sur la transparence. Avec Les Dissonances, si ce n'est pas très clair, rien ne marche.
Chacun a-t-il d'ailleurs la partition complète avec toutes les parties ?
David Grimal - Chacun a la partition complète s'il le souhaite. Ce n'est pas obligatoire mais beaucoup la demandent.
Le modèle à en tirer peut-être pour une petite société idéale, c'est que le rôle de chacun est renforcé dans l'organigramme général. Imaginons que le boulanger soit très content de faire son pain pour nourrir le prix Nobel - qui lui-même est ravi d‘aller acheter sa baguette. Mon intuition de départ était bien de cette nature : la musique est un matériau très sensible, incandescent, propre à rétablir le lien avec soi-même et avec les autres.
J'avais peur que nous perdions cet esprit avec un effectif plus important et je me rends compte que c'est encore plus fort, plus miraculeux à soixante-dix musiciens !
De là, l'Autre Saison des Dissonances pour les sans-abris ?
David Grimal - Depuis le départ. Le premier concert de l'orchestre a été donné dans ce cadre. Pour moi, l'essentiel, c'est l'humain. C'est notre défi. Nous devons nous retrouver nous-mêmes, retrouver un lien avec la nature et avec les autres. Les Dissonances, c'est cela : du partage et de l'amour. Jouer ensemble, se regarder jouer et se dire : j'aime ce que tu fais.
Où en est votre carrière de violoniste sans Les Dissonances ?
David Grimal - Elle se poursuit (Silence). Mais elle traverse en ce moment une phase très compliquée. Le projet des Dissonances m'a mis un peu en porte-à-faux avec une partie du monde musical - un tout petit milieu. Je n'ai pas joué le jeu du star-system, me le fait-on payer ? En ce moment pour tout vous dire, je me sens bloqué dans ma carrière de soliste.
Vous vous sentez bloqué en tant que violoniste soliste ?
David Grimal - Absolument. Je peux comprendre que certaines de mes déclarations aient pu froisser certaines personnes. Mais ce qui est plus difficile à accepter, c'est que le côté positif de ma démarche, cet idéal que je porte, semble m'interdire de poursuivre une carrière de soliste. N'y a-t-il en France de place que pour un seul violoniste reconnu ? Je m'interroge…
(1) Conservatoire supérieur national de musique et de danse.
(2) Verdi, Ouverture de "La Force du destin". Tchaïkovski, Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, opus 35, Symphonie n°4 en fa mineur, opus 36.
David Grimal - Chacun a la partition complète s'il le souhaite. Ce n'est pas obligatoire mais beaucoup la demandent.
Le modèle à en tirer peut-être pour une petite société idéale, c'est que le rôle de chacun est renforcé dans l'organigramme général. Imaginons que le boulanger soit très content de faire son pain pour nourrir le prix Nobel - qui lui-même est ravi d‘aller acheter sa baguette. Mon intuition de départ était bien de cette nature : la musique est un matériau très sensible, incandescent, propre à rétablir le lien avec soi-même et avec les autres.
J'avais peur que nous perdions cet esprit avec un effectif plus important et je me rends compte que c'est encore plus fort, plus miraculeux à soixante-dix musiciens !
De là, l'Autre Saison des Dissonances pour les sans-abris ?
David Grimal - Depuis le départ. Le premier concert de l'orchestre a été donné dans ce cadre. Pour moi, l'essentiel, c'est l'humain. C'est notre défi. Nous devons nous retrouver nous-mêmes, retrouver un lien avec la nature et avec les autres. Les Dissonances, c'est cela : du partage et de l'amour. Jouer ensemble, se regarder jouer et se dire : j'aime ce que tu fais.
Où en est votre carrière de violoniste sans Les Dissonances ?
David Grimal - Elle se poursuit (Silence). Mais elle traverse en ce moment une phase très compliquée. Le projet des Dissonances m'a mis un peu en porte-à-faux avec une partie du monde musical - un tout petit milieu. Je n'ai pas joué le jeu du star-system, me le fait-on payer ? En ce moment pour tout vous dire, je me sens bloqué dans ma carrière de soliste.
Vous vous sentez bloqué en tant que violoniste soliste ?
David Grimal - Absolument. Je peux comprendre que certaines de mes déclarations aient pu froisser certaines personnes. Mais ce qui est plus difficile à accepter, c'est que le côté positif de ma démarche, cet idéal que je porte, semble m'interdire de poursuivre une carrière de soliste. N'y a-t-il en France de place que pour un seul violoniste reconnu ? Je m'interroge…
(1) Conservatoire supérieur national de musique et de danse.
(2) Verdi, Ouverture de "La Force du destin". Tchaïkovski, Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, opus 35, Symphonie n°4 en fa mineur, opus 36.
Prochains concerts
26 mai 2016, 20 h : Opéra de Dijon.
27 mai 2016, 20 h : Théâtre de Caen.
30 mai 2016, 20 h 30 : Philharmonie de Paris.
17 juin 2016, 20 h 30 : Théâtre Firmin-Génier/La Piscine, Châtenay-Malabry.
23 juin 2016, 21 h : Parc du Château du Tholonet (près d'Aix-en-Provence).
>> les-dissonances.eu
Pour soutenir le projet des Dissonances :
>> helloasso.com
>> Lire la première partie de l'entretien.
26 mai 2016, 20 h : Opéra de Dijon.
27 mai 2016, 20 h : Théâtre de Caen.
30 mai 2016, 20 h 30 : Philharmonie de Paris.
17 juin 2016, 20 h 30 : Théâtre Firmin-Génier/La Piscine, Châtenay-Malabry.
23 juin 2016, 21 h : Parc du Château du Tholonet (près d'Aix-en-Provence).
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