La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"CroiZades (jusqu'au trognon)" Par le monde, il y a beaucoup plus de couillons que d'hommes*

Que croire ? Question. Ou bien, qu'est-ce que c'est que cela : croire ? D'où cela vient, comment cela procède, par quel média cela se propage-t-il d'individus à société, de génération à la suivante ? La croyance, les croyances sont l'épicentre et également le centre épique de ce spectacle, "CroiZade", qui chevauche allègrement les imaginaires pour tenter de poser le plus visuellement possible la question. Mais avant de croire, avant toute croyance, fut le mot.



© Anahi Matteo.
© Anahi Matteo.
Vous l'aurez compris, nulle véritable place pour la triste réalité ici. L'autrice et metteure en scène Sandrine Roche est une créatrice habituée à ces récits qui transgressent cette rigide réalité. Sa patte d'autrice de pièces pour le jeune public lui donne l'aisance de flotter assez loin du concret. Et le spectacle s'envole très vite au-dessus de ce questionnement original, sans toutefois le perdre jamais de vue - tel un Milan tournant lentement, ailes déployées, porté par un lent courant ascendant, l'œil constamment posé sur sa proie.

Sandrine Roche s'est ainsi beaucoup amusée à brouiller les cartes en tissant un texte qui mêle un narratif relativement linéaire, qui a un peu la forme d'un conte pour enfants et qui revient comme un fil conducteur tout au long, avec un texte écrit à la mode Renaissance, haut en couleur, faux vieux françois qui apporte une touche de jubilation et une fantaisie verbale débridée. Le but ? Déstructurer l'existant pour chercher à retrouver une sorte d'origine débarrassée des systèmes de valeurs que la société instille définitivement dans les individus qui la composent.

© Anahi Matteo.
© Anahi Matteo.
Mais sa création décline également sur scène la même volonté de déstructuration. Par les corps, cette fois. Puis par le décor réalisé avec des panneaux translucides. Les six interprètes, qu'ils soient comédiens, danseurs ou plasticiens, se sont prêtés au jeu. Ils forment parfois un seul corps, partagent de leurs voix un texte qu'ils portent à tour de rôle, exécutent des danses traditionnelles que les régisseurs "son", eux-mêmes sur scène, transforment lentement en musique électronique. De même, le fond de scène devient une fresque peinte par tous les interprètes. Fresque naïve qui tente, elle aussi, de réécrire par l'image ce en quoi l'on doit croire, qui existe.

Jusqu'au bout, le spectacle restera surabondant en mots, en mouvements, en sons et en images. Il restera également très ludique, avec un humour potache par moments, des adultes se mettant à jouer comme des enfants. On pense aux héritages qu'il porte dans ses veines : Rabelais, Alfred Jarry… mais ceux-ci avaient, en plus de la jubilation verbale, la griffure de la provocation politique et de l'impertinence.

* François Rabelais.

"CroiZades (jusqu'au trognon)"

© Anahi Matteo.
© Anahi Matteo.
Texte : Sandrine Roche (publié aux éditions Théâtrales).
Mise en scène : Sandrine Roche.
Collaboration artistique : Lucia Trotta.
Avec : Marion Bajot, Leïla Brahimi, Pedro Cabanas.
Comédienne et plasticienne : Sophie Mangin.
Comédien et danseur : Alexandre Théry.
Créateur lumière et vidéo : Philippe Didier.
Créateurs sonore : Josef Amerveil et Grégoire Leymarie.
Créateur lumière et vidéo ; Silvia Cimino, danseuse ; Grégoire Leymarie, créateur sonore ; ; C
Danseuse : Silvia Cimino.
Costumes : Sophie Mangin
Chorégraphies : Silvia Cimino
Scénographie : Sandrine Roche et Érick Priano
Construction : Érick Priano
Régie Générale : Philippe Didier.
Tout public à partir de 14 ans.
Durée : 1 h 30.
Production : Association Perspective Nevski.

© Anahi Matteo.
© Anahi Matteo.
>> associationperspectivenevski.fr

Spectacle créé à La Garance - Scène Nationale, Cavaillon (84), les 3 et 4 mars 2022.
>> lagarance.com

•Avignon Off 2022•
Du 7 au 30 juillet 2022.

Bruno Fougniès
Lundi 14 Mars 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.







À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024