La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Bach opus 2 "D'autres le giflèrent" par la Compagnie Manque Pas d'Airs

La Compagnie Manque Pas d'Airs propose le deuxième volet de son triptyque consacré aux trois Passions de Jean-Sébastien Bach, du 17 au 20 octobre 2015, au Carreau du Temple. Après "Et le coq chanta" en 2014 créé autour de l'idée de trahison, le deuxième opus "D'autres le giflèrent" entend explorer, en quatorze stations et onze artistes musiciens, acteurs et chanteurs, l'humiliation du Christ vécue par onze personnages contemporains. Rencontre avec Alexandra Lacroix et François Rougier.



© DR.
© DR.
Le théâtre musical conçu par la Compagnie Manque Pas d'Airs depuis 2007 se révèle très intéressant par sa volonté de vouloir réactiver notre écoute de grandes œuvres lyriques tout en nous proposant de porter un regard acéré sur le monde d'aujourd'hui. Avec ce deuxième volet "Et d'autres le giflèrent" (après "Et le coq chanta"), il s'agit de permettre de redécouvrir les trois oratorios de J. S. Bach consacrés à la Passion du Christ, tout en restituant le caractère éminemment théâtral voire physique de ces œuvres en un travail pluridisciplinaire.

"Chacun porte sa croix" : la production entend nous rappeler qu'il est possible d'incarner Bach sur scène tout en nous parlant de notre modernité. Nous avons rencontré la directrice artistique de la compagnie et metteur en scène du spectacle, Alexandra Lacroix, et le ténor François Rougier, collaborateur au projet.

Christine Ducq - Pourquoi Bach et comment avez-vous sélectionné les extraits des trois Passions pour le spectacle ?

© DR.
© DR.
Alexandra Lacroix - C'est un choix effectué avec François. D'une part, nous nous interrogeons depuis longtemps sur les modes de production du lyrique et nous avons fait le même constat de frustration sur ce qui existe. D'autre part, les Passions de Bach sont apparues comme une évidence, une matière extrêmement dense, extrêmement riche, extrêmement difficile mais passionnante !

François Rougier - Les extraits ont été sélectionnés selon le thème choisi par Alexandra. Pour le premier spectacle ("Et le coq chanta" NDLR), c'était la trahison, pour celui-ci, c'est l'humiliation. Le découpage final des trois Passions (selon Saint-Jean, selon Saint-Matthieu, selon Saint-Marc NDLR) inspire le livret autour de cet axe, tout en initiant une réflexion sur la signification globale des œuvres par rapport à l'histoire que nous racontons.

À la répétition à laquelle j'ai assisté, j'ai vu qu'il y avait une réelle exigence vis-à-vis des artistes sur scène quant à leur implication. Cela n'a rien d'évident pour un instrumentiste ou un chanteur.

© DR.
© DR.
François Rougier - Ce n'est pas si difficile puisque nous avons le temps de mettre les choses en place. Nous répétons huit à neuf semaines. C'est un vrai luxe quand on sait qu'une production d'opéra prévoit au mieux cinq semaines de répétition. Avec l'équipe nous menons un vrai travail quotidien avec différents rendez-vous, par exemple le travail corporel le matin avant les répétitions proprement dites avec Alexandra. Et rien n'est gratuit dans ce qu'elle nous demande. Tous les gestes et déplacements ont un sens par rapport aux autres personnages et à la musique.

Alexandra Lacroix - Avec le temps dont nous disposons, je peux me permettre de ne rien imposer à mes interprètes - même si j'ai forcément au départ une vision du spectacle : décors, lumières, etc. J'adapte la sensibilité des personnages à leurs interprètes et comme nous nous connaissons bien, le jeu que j'attends d'eux finit par devenir une évidence : la folie, la combativité, la violence, l'humiliation.

J'ai été frappée par l'incroyable précision des indications d'Alexandra.

François Rougier - Elle sait vraiment où elle va. C'est confortable pour nous (même si je n'aime pas ce mot). Alexandra nous laisse l'impression que nous proposons tout. Mais il y a chez elle une grande maîtrise des chemins que nous allons emprunter - chacun avec nos personnalités différentes et selon nos sensibilités. Les gestes, les déplacements, les corps, la mise en espace sont très réglés mais au fil des semaines de répétitions quelque chose se sédimente peu à peu du travail effectué ensemble. Une vraie infusion entre elle et nous - entre sa vision et ce que nous apportons.

© DR.
© DR.
Alexandra Lacroix - Les choses s'affinent peu à peu et je peux être de plus en plus exigeante - tout en respectant ce que je sais pouvoir obtenir d'eux.

Dans la note d'intention du spectacle, vous parlez de "corps musiciens", une très belle expression.

Alexandra Lacroix - C'est François qui emploie cette expression.

François Rougier - C'est une façon de rassembler dans une même expression les instrumentistes, les acteurs et les chanteurs. Hélas, tous n'en ont pas la même conscience ! On peut chanter, jouer du clavecin sur scène et faire vivre une situation, proposer une interprétation avec son corps aussi. La musique c'est de la chair, du vivant, pas seulement de la pensée. Étant donné notre formation, cela n'a rien d'évident pour la plupart.

Alexandra Lacroix - Ce travail sur les corps pour un répertoire lyrique est aussi une volonté d'affirmer qu'il n'est pas uniquement destiné à un public averti. À travers le théâtre et des situations qui nous sont familières, le spectacle espère concerner et toucher un très large public.

© DR.
© DR.
Les situations que vous mettez en scène (un groupe d'étudiants, une entreprise, une soirée en ville) appartiennent à notre temps.

Alexandra Lacroix - Exactement. Pour moi, il est vital d'être soit atemporel soit contemporain. Il me paraît important d'accorder le sens de l'œuvre à notre époque et au public d'aujourd'hui en en restituant l'essence. Quand Bach écrit ces Passions, il y met déjà un certain recul dans les airs de commentaires, dans les chorals pour que l'assemblée puisse intérioriser le récit, en être pénétré. Il entend instaurer un échange entre la scène et les fidèles. Or cette parole n'est possible que si le public se reconnaît dans ce qui se passe sur scène avec des codes qui nous sont communs. Nous cherchons à nous adresser à tout le monde en proposant une vision nouvelle de l'œuvre.

François Rougier - Et il est une telle spiritualité dans cette musique qu'elle ne s'adresse pas qu'aux croyants.

Les 17, 19 et 20 octobre 2015 à 20 h 30.
Le Carreau du Temple, Auditorium,
4, rue Eugène Spuller, Paris 3e.
Tél. : 01 83 81 93 30.
>> carreaudutemple.eu

Tournée
4 et 6 novembre 2015 : à 20 h 45, Espace culturel Robert Doisneau, Meudon (92).
10 novembre 2015 : à 20 h, Deux Scènes, Scène nationale de Besançon (25).
6 décembre 2015 : à 15 h, Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine (94).

"D'autres le giflèrent"
D'après les Passions de Bach.
Théâtre musical en trois épisodes.
Durée : 1 h 40 sans entracte.

Alexandra Lacroix, adaptation, scénographie, mise en scène.
Christophe Grapperon, direction musicale.
François Rougier, collaboration au projet.
Mathieu Lorry Dupuy, scénographie.
Anne Vaglio, Julie Bardin, lumières.
Olga Karpinsky, costumes.
Francesco Bonato, Nicolas Hubert, Natalia Jaime Cortez, Sylvain Riéjou, travail corporel

Magali Léger, Judith Fa, sopranos.
François Rougier, ténor.
Mathieu Dubroca, baryton.
Julie Dumas, Simon Pitaqaj, comédiens.
Clara Müthlethaler, violon et alto.
Cyrille Métivier, violon et cornet à bouquin.
Alice Coquart, violoncelle.
François Leyrit, contrebasse.
Camille Delaforge, clavecin et orgue.
© DR.
© DR.

Christine Ducq
Mardi 6 Octobre 2015

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024