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Théâtre

Avec "Palombella Rossa", Mathieu Bauer fait revivre les doutes, les colères, les fantaisies, l'humanité et les flots de mots de Nanni Moretti

Nicolas Bouchaud apparaît dans le public. C'est Michele, le personnage interprété par Nanni Moretti dans son film sorti en 1989. Il est amnésique suite à un accident d'automobile. Que fait-il là ? Il ne sait pas. Perdu parmi tous les spectateurs, comme s'il avait, pour on ne sait quelle raison, été jeté hors de son rôle, hors de lui-même, hors de scène. Dépouillé de son rôle, on peut dire. Un rôle dans la vie qu'il va tenter de retrouver tout au long du spectacle.



© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Il s'agit à la fois d'une perte de mémoire et d'une sorte de combat pour en retrouver les bribes vitales. Une situation dramatique dont le tragique est vite renversé, mais aussi amplifié par l'humour du cinéaste italien et le jeu tout en délicatesse de Nicolas Bouchaud. Ce combat ne sera pas sanglant, il va se dérouler sous la forme d'un match de water-polo, dans une piscine.

C'est ce match qui va être la première pierre de cette tentative de reconstruction. L'urgence du présent appelle notre personnage sur scène : c'est l'heure d'enfiler son maillot de bain et son bonnet, et de plonger dans le bassin pour épauler son équipe. Une heure et demie durant laquelle les phases de jeu vont être traversées par des dizaines de personnages et de souvenirs, de réminiscences qui arriveront comme des boules de bowling culbuter les convictions de Michele, et mettre en question tous ses choix, et en premier lieu ses choix politiques puisque Michele est député, député PCI (parti communiste italien), à l'heure de la grande déroute des pays communistes de l'époque (1989, chute du mur de Berlin, Nanni Moretti avait réalisé son film bien avant).

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Rendu vulnérable, puisque le corps vêtu simplement d'un maillot et d'un bonnet de pauliste, recouvrer la mémoire s'accompagne alors d'une prise de conscience, comme si le personnage, non seulement revivait ces moments, mais était soudain capable de les regarder de l'extérieur et d'en estimer le prix et la valeur.

Ce sont un monde en crise, un personnage en crise, une équipe de water-polo dominée par un adversaire bien plus riche en individualités performantes, voilà le cocktail détonnant que Mathieu Bauer parvient à faire tenir sur une scène dans un lieu unique. Féru de cinéma, celui-ci est coutumier de l'adaptation de films pour la scène et ce lieu unique devient, grâce à une scénographie extraordinairement belle et bien pensée ainsi qu'à des projections vidéos qui nous plongent littéralement dans l'eau, un lieu multiple, à la fois piscine, coulisses, vestiaires, buvette, gradins, studio de télévision…

Sur la droite du plateau, un espace intégré à la buvette pour la musique qui rythme en permanence la pièce. Clémence Jeanguillaume (clavier et chant), Sylvain Cartigny (guitares) et Mathieu Bauer (percussion) jouent ici une partition musicale et théâtrale très importante pour le spectacle. En alternant les interventions sonores, les créations contemporaines et les chansons populaires italiennes, ils provoquent des ruptures, cadencent les actions et ouvrent des espaces nostalgiques, éphémères qui font intégralement partie des traversées de souvenirs qui structurent l'histoire.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Tout l'esprit de Nanni Moretti, avec sa faconde, ses réflexions existentielles et sa poésie sentimentale, trouve sa place dans cette adaptation qui évite autant que possible d'être trop datée dans l'histoire. D'innombrables passages font référence à ce que nous vivons actuellement, peut-être grâce à l'adaptation de Mathieu Bauer ou grâce aux textes d'Anne-James Chaton qui y ont été intégrés, mais aussi peut-être parce que quelque chose de terriblement ressemblant existe de fait entre les bouleversements politiques du monde de 1989 et le délabrement populiste de nos politiques de 2025.

Que dire d'autre sinon que la mise en scène vive, musicale, visuelle de Mathieu Bauer donne à "Palombella Rossa" un rythme intense. Les changements de lieux, les changements d'époques, les interventions des multiples personnages se font en un éclair. Il s'appuie également sur des actrices, des acteurs et des musiciennes, et des musiciens qui possèdent à la fois des personnalités singulières, fortes, et un sens très travaillé de l'harmonie. Un peu comme dans un sport d'équipe finalement. Et comme le stipule Michele tout au long du spectacle : "Siamo uguali, ma siamo diversi", nous sommes pareils, nous sommes différents.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Une phrase qui peut être prise comme le point commun entre ces deux crises, celle, personnelle, de Michele qui met en balance le passé par rapport au présent, et celle, sociale et partagée, du PC italien de l'époque, qui rappelle plutôt l'unité entre les citoyens.

"Palombella Rossa" est, pour finir, un beau terrain de jeu sportif et métaphorique où s'affrontent deux visions : celle du rapport de force, de la brutalité, du pouvoir physique et celle de l'esquive, de la feinte, du lob. Visions sombres et visions légères valsent à un rythme rapide pour raconter cette histoire drôle et poignante où la désillusion tente de grignoter vainement toute forme d'espoir et de poésie, sans y parvenir vraiment.
◙ Bruno Fougniès

Vu au Théâtre Molière à Sète (34).

"Palombella Rossa"

D'après le film de Nanni Moretti et des textes d'Anne-James Chaton.
Adaptation et mise en scène : Mathieu Bauer.
Assistante mise en scène : Anne Soisson.
Composition musicale et collaboration artistique : Sylvain Cartigny.
Avec : Mathieu Bauer, Nicolas Bouchaud, Sylvain Cartigny, Matthias Girbig, Gulliver Hecq, Clémence Jeanguillaume, Jeanne Lepers.
Scénographie et costumes : Chantal de la Coste
Création sonore : Alexis Pawlak
Création vidéo et régie générale : Florent Fouquet
Création et régie lumière : Stan-Bruno Valette
Images : Matthias Girbig
Régie son : Jean-Baptiste Nirascou
Avec la collaboration du Cercle des Nageurs Noiséens, club de water-polo de Noisy-le-Sec.
À partir de 12 ans.
Durée : 1 h 40.

Du 7 au 14 février 2025.
Mercredi, jeudi, vendredi à 20 h, samedi à 18 h, dimanche à 16 h.
MC93, maison de la culture de Seine-Saint-Denis, Salle Oleg Efremov, Bobigny (93),


Tournée
25 et 26 février 2025 : Le Lieu Unique, Nantes (44).
10 et 11 mars 2025 : Grand Théâtre, Albi (81).
13 mars 2025 : L'Empreinte, Scène Nationale de Brive-Tulle, Brive (19).
Du 3 au 14 juin 2025 : Théâtre Silvia Monfort, Paris 15ᵉ.
© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.

Bruno Fougniès
Lundi 3 Février 2025

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