Plongées dans une nuit éclairée par un ciel constellé d'étoiles fixes et d'une lune immobile, ces deux "têtes mortes" de l'écrivain irlandais vont dévider chacune leur tour leurs menus propos auxquels elles s'accrochent fébrilement comme les naufragés à leur bouée. Et comme être, c'est parler, elles vont parler, parler encore, parler avec l'obstination chevillée au corps de ne rien dire, les mots comme elles faisant du surplace. Dire l'échec à dire, tel semble être le mantra de ces êtres s'adressant à un décor, vide.
D'emblée, émergent de l'obscurité qui les recouvrait, dans une composition pouvant faire penser à l'univers de Pierre Soulages, deux êtres assis sur le même banc, se tournant le dos, irrémédiablement liés par leur condition commune. C'est "lui" d'abord qui va rompre le long silence. De son récit circulaire ressortent la primauté de la couleur blanche (la robe d'un cheval, le visage de sa mère…), de ses amours non-vécus sauf dans la contemplation d'animaux immobiles, de ses fulgurants accès de rage, pour finir par son seul regret - "tout ce que je regrette, c'est d'avoir vu le jour, c'est si long, mourir, si lassant à la longue".
D'emblée, émergent de l'obscurité qui les recouvrait, dans une composition pouvant faire penser à l'univers de Pierre Soulages, deux êtres assis sur le même banc, se tournant le dos, irrémédiablement liés par leur condition commune. C'est "lui" d'abord qui va rompre le long silence. De son récit circulaire ressortent la primauté de la couleur blanche (la robe d'un cheval, le visage de sa mère…), de ses amours non-vécus sauf dans la contemplation d'animaux immobiles, de ses fulgurants accès de rage, pour finir par son seul regret - "tout ce que je regrette, c'est d'avoir vu le jour, c'est si long, mourir, si lassant à la longue".
"À quoi ça sert de continuer cette histoire… Un jour, je dois finir, pourquoi pas maintenant ?". Dans la tête du vieil homme - incarné par Christian Lousteau dans un rôle de composition lui collant parfaitement à la peau - comme un précipité chimique s'impose le tableau de ses géniteurs au paradis. Souhaiter l'enfer pour continuer à les maudire, surtout la mère qu'il aurait bien voulu tuer avant sa naissance… Et l'image encore et toujours de celle qui lui a donné le jour, "pendue à la fenêtre, pleurant et gesticulant", le visage obsédant de cette mère maudite, sans que l'on sache vraiment si elle est vivante ou morte, figurant le point de capiton liant entre elles ces trois journées rigoureusement identiques, du lever du jour jusqu'au soir tombant.
Fait effraction dans le magma inerte de ce temps figé, advenant comme une parenthèse enchantée - il n'y a qu'à voir les visages des deux acteurs s'illuminer soudain - l'épisode des cailloux retrouvés au fond des poches de Molloy… En effet, si échapper au flux et reflux d'un temps se répétant à satiété consiste à trouver un "passe-temps" susceptible de l'anéantir, celui-ci est à trouver du côté d'une occupation absorbante faisant oublier justement que le temps n'arrête pas de charrier les mêmes obsessions.
Fait effraction dans le magma inerte de ce temps figé, advenant comme une parenthèse enchantée - il n'y a qu'à voir les visages des deux acteurs s'illuminer soudain - l'épisode des cailloux retrouvés au fond des poches de Molloy… En effet, si échapper au flux et reflux d'un temps se répétant à satiété consiste à trouver un "passe-temps" susceptible de l'anéantir, celui-ci est à trouver du côté d'une occupation absorbante faisant oublier justement que le temps n'arrête pas de charrier les mêmes obsessions.
La monstration jusqu'à plus soif des cailloux à sucer, passant avec bonheur du pantalon au manteau à la bouche et vice versa, dans un ballet ludique ininterrompu, annihile la perception du temps, délivrant ainsi de son emprise. Mais le remède sera de courte durée. Ce temps de répit volé à la marche implacable des heures et des jours est un leurre, rien ne peut arrêter son cours… Rien donc à ajouter à cela que sauter des centaines, voire des milliers de journées avant d'arriver au "rendez-vous", apaisé.
C'est maintenant au tour d'"elle", l'incarnation de sa voix intérieure, d'occuper l'espace de sa parole vive… Intervertissant leur place sur le banc, elle va égrener - visage illuminé de la comédienne -, comme on le ferait des perles d'un chapelet, les vicissitudes de "leur" rencontre immobile. Histoire d'un vieux couple fusionnel, lui et sa voix traitée là comme une entité autonome. Dévouée corps et âme à celui qui l'abrite, elle s'adonne à des calculs abracadabrantesques pour faire des chiffres le métronome de leur existence à jamais solitaire… jusqu'à ce que l'on pourrait trop hâtivement prendre pour un dénouement heureux, vite démenti par le regard errant adressé à nous, leurs semblables.
C'est maintenant au tour d'"elle", l'incarnation de sa voix intérieure, d'occuper l'espace de sa parole vive… Intervertissant leur place sur le banc, elle va égrener - visage illuminé de la comédienne -, comme on le ferait des perles d'un chapelet, les vicissitudes de "leur" rencontre immobile. Histoire d'un vieux couple fusionnel, lui et sa voix traitée là comme une entité autonome. Dévouée corps et âme à celui qui l'abrite, elle s'adonne à des calculs abracadabrantesques pour faire des chiffres le métronome de leur existence à jamais solitaire… jusqu'à ce que l'on pourrait trop hâtivement prendre pour un dénouement heureux, vite démenti par le regard errant adressé à nous, leurs semblables.
Cette représentation - mettant en jeu avec une grande pertinence, tant dans son interprétation millimétrée que dans sa scénographie dépouillée, les enjeux de l'univers beckettien - trouve ici l'écho recherché "en meublant" le vide abyssal de ces non-existences…
"Vivre est errer seul vivant au fond d'un instant sans bornes, où la lumière ne varie pas et où les épaves se ressemblent", écrivait l'auteur dans son roman "Molloy". Ainsi en va-t-il de cette belle soirée théâtrale où le verbe, à vide, suspendu à une voûte céleste parsemée d'étoiles fixes, s'est répété inlassablement pour faire résonner en abyme l'impensable vacuité de la condition humaine.
Vu le jeudi 8 décembre au Lieu sans Nom de Bordeaux.
"Vivre est errer seul vivant au fond d'un instant sans bornes, où la lumière ne varie pas et où les épaves se ressemblent", écrivait l'auteur dans son roman "Molloy". Ainsi en va-t-il de cette belle soirée théâtrale où le verbe, à vide, suspendu à une voûte céleste parsemée d'étoiles fixes, s'est répété inlassablement pour faire résonner en abyme l'impensable vacuité de la condition humaine.
Vu le jeudi 8 décembre au Lieu sans Nom de Bordeaux.
"Trois jours et des cailloux"
D'après deux "Têtes mortes" de Samuel Beckett : "D'un ouvrage abandonné" et "Assez".
Mise en scène : Christian Loustau.
Avec : Cécile Laufman et Christian Loustau.
Lumières : Jean-Pascal Pracht.
Régie : Alain Raimond.
Par la Compagnie Tiberghien.
Durée : 1 h 20.
A été représenté du jeudi 8 au dimanche 11 décembre 2022.
>> lelieusansnom.fr
Mise en scène : Christian Loustau.
Avec : Cécile Laufman et Christian Loustau.
Lumières : Jean-Pascal Pracht.
Régie : Alain Raimond.
Par la Compagnie Tiberghien.
Durée : 1 h 20.
A été représenté du jeudi 8 au dimanche 11 décembre 2022.
>> lelieusansnom.fr