La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

"Hippolyte et Aricie" au Palais Garnier : Catabase, catastrophes et autres complications !

Une catabase ? C’est une descente aux enfers dans le jargon de l’analyse littéraire. C’est un des ingrédients de cet ouvrage musical. C’est aussi mon expérience vendredi soir à l’Opéra de Paris : celle des enfers de l’Ennui pour tout dire.



© Agathe Poupeney/Opéra de Paris.
© Agathe Poupeney/Opéra de Paris.
La faute à qui ? Tout d’abord à Jean-Philippe Rameau, dont c’est le premier opéra, communément considéré comme un coup de maître. Ce n’est pas mon avis. L’histoire, on la connaît. Le librettiste, l’abbé Pellegrin (encore un membre du clergé sentimental comme ce n’est pas permis !) la tire - soi-disant - des pièces d’Euripide et de Jean Racine. La bonne blague.

Vendredi, je n’ai vu et entendu que l’adaptation galante, précieuse, style rocaille, ou tirée des tableaux de François Boucher - que je ne prise guère - des amours éminemment enquiquinantes de Hippolyte-Céladon et de la bergère Aricie - euh, je veux dire de la princesse captive Aricie. Tous deux tyrannisés par une affreuse belle-mère (mais en connaissez-vous de gentilles ?). Pellegrin et Rameau ne se sont guère embarrassé de tragédie dans cette "tragédie lyrique" du cocu le plus célèbre de l’Antiquité fabuleuse, Thésée et de son épouse Phèdre, la fameuse "fille de Minos et de Pasiphaé".

© Agathe Poupeney/Opéra de Paris.
© Agathe Poupeney/Opéra de Paris.
Rameau, ce peut être beau. Citons "Les Boréades" et "Platée". Et même, ce musicien a été porté aux nues par Claude Debussy dans les fameuses chroniques de M. Croche. Contre Christoph Willibald Gluck par exemple, préféré - selon Debussy - par l’Autrichienne Marie-Antoinette, qui ne fait plus guère jouer le compositeur français, mort depuis 1764. Claude Debussy écrit entre 1870 et 1914 - vous voyez ce que je veux dire. Et il lui faut s’imposer contre la domination jugée ogresse de la musique allemande post-wagnérienne. Pourtant, il se moquera cruellement de "Hippolyte et Aricie".

Qu’ai-je entendu et vu vendredi soir ? Un opéra de trois heures - trois heures qui en paraissent trente ! - à la musique plate, sans brillant, sans relief où seuls quelques moments à partir du quatrième acte m’ont arraché à une irrépressible somnolence. Rameau, est-ce aussi mortel, attendu, naphtaliné ? Sans doute pas. La faute en revient à la direction plombante d’Emmanuelle Haïm qui recouvre toute cette fantaisie et cette pseudo pompe antique d’une épaisse couche de cendres.

Certes ! je goûte peu ces ballets, ces afféteries, ces pleurs, ces personnages archétypaux, ces monstres marins de toile peinte, bref tout ce baroque encore assaisonné des romans précieux décrivant l’Arcadie au Grand Siècle. Tout comme Voltaire à l’époque, que cet opéra "fatigu(ait)" et comme en témoigne plus tard "Le Mercure", il nous faut supporter "la fureur du tintamarre".

Parmi les chanteurs, nous retiendrons tout de même la charmante soprano Anne-Catherine Gillet en Aricie (un peu trop charmante ?), ainsi que la Phèdre de Sarah Connolly. Nous ne sommes pas déçue du Thésée de Stéphane Degout - le très bon Pelléas de cet hiver justement. Une bonne note aussi pour le chœur du Concert d’Astrée.

© Agathe Poupeney/Opéra de Paris.
© Agathe Poupeney/Opéra de Paris.
Et, heureusement, la mise en scène d’Ivan Alexandre est archéologiquement passionnante, renseignée aux documents et aux théoriciens d’époque. Il est fortement secondé par les géniaux décors d’Antoine Fontaine, des beaux costumes de Jean-Daniel Vuillermoz, des lumières d’Hervé Gary, sans oublier la chorégraphie très Ancien Régime de Natalie Van Parys. Ce voyage dans le temps émaillé de dieux à machines, de trappes ingénieuses, de Parques et d’Amours chantants est le seul motif de notre héroïque insistance à demeurer jusqu’au bout de la soirée.

Si vous avez toujours rêvé d’assister à un opéra à Versailles du temps de Louis XV, vous devez vivre cette expérience spectaculaire à Garnier. À défaut d’entendre du grand Rameau. Reste à savoir si vous supporterez cette cohorte de touristes fatigants qui hantent les loges de cette noble institution.

"Hippolyte et Aricie"

© Agathe Poupeney/Opéra de Paris.
© Agathe Poupeney/Opéra de Paris.
Tragédie en cinq actes et un prologue (1733).
Musique de Jean-Philippe Rameau.
Paroles de l'Abbé Simon Joseph Pellegrin.
En langue française.
Durée : 3 h 20 (avec entracte).

Direction musicale : Emmanuelle Haïm.
Mise en scène : Ivan Alexandre.
Décors : Antoine Fontaine.
Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz.
Lumières : Hervé Gary.
Chorégraphie : Natalie Van Parys.

© Agathe Poupeney/Opéra de Paris.
© Agathe Poupeney/Opéra de Paris.
Avec : Sarah Connolly (Phèdre), Anne-Catherine Gillet (Aricie), Andrea Hill (Diane), Jaël Azzaretti (L’Amour/Une Prêtresse/Une Matelote), Salomé Haller (Œnone), Marc Mauillon (Tisiphone), Aurélia Legay (La Grande Prêtresse de Diane/Une Chasseresse/Une Prêtresse), Topi Lehtipuu (Hippolyte), Stéphane Degout (Thésée), François Lis (Pluton/Jupiter), Aimery Lefèvre (Arcas/Deuxième Parque), Manuel Nuñez Camelino (Un Suivant/Mercure), Jérôme Varnier (Neptune/Troisième Parque).
Orchestre et chœur du Concert d’Astrée.

Jusqu’au 9 juillet 2012.
Mercredi 4, samedi 7 et lundi 9 à 19 h 30.
Palais Garnier, Opéra national de Paris, Paris 9e.
>> operadeparis.fr

Christine Ducq
Vendredi 29 Juin 2012


1.Posté par Antoine le 07/09/2012 16:42
Nous n'avons pas vu le même opéra apparemment..
Je trouve votre critique extrêmement dure. Vous parlez de"catabase", vous devez être terriblement blasé.
"Reste à savoir si vous supporterez cette cohorte de touristes fatigants qui hantent les loges de cette noble institution". Quelle méprise. "Touristes fatigants", cela n'a absolument aucune signification.
Quel dommage de terminer votre critique sur un élément extérieur à cet opéra.
Ce spectacle était splendide. J'ai adoré l'orchestre, les chœurs, les décors, les costumes, etc.
Ce fut envoutant, émouvant, splendide.

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024