La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Hermann" ou le roman d'un amour oublié

Le récit de Gilles Granouillet est fait de trajectoires que l'on suit, qui se brisent, traversent le temps et se reconstruisent ailleurs, comme si toutes les vies dont il est question ici étaient en trompe-l'œil. Une construction romanesque qui traverse non seulement le temps, mais l'espace, du Nord au Sud et jusqu'à l'Est lointain de l'Europe, que François Rancillac parvient à rendre crédible grâce à une mise en scène réaliste.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
L'intrigue est complexe. Elle nous est racontée par l'un des quatre personnages de la pièce, Léa Paule, neurologue en hôpital psychiatrique, spécialisée dans la maladie d'Alzheimer. Elle nous emmène à la découverte d'un de ses patients, Hermann, atteint d'une forme précoce de la maladie, qu'elle va croiser deux fois, à vingt ans d'intervalle. Une rencontre qui va avoir une influence décisive sur sa vie.

Un peu à la manière d'une enquête policière, les détails de la vie de cet étrange personnage qui ne sait presque rien de lui-même, vont être peu à peu révélés. Mais pas dans l'analyse médicale ni grâce aux exercices de mémoire que les malades atteints de cette maladie pratiquent pour tenter d'endiguer ce mal, ce sera par le biais d'un troisième personnage nommé Olia. Olia est le seul vestige qu'Hermann est encore capable d'exprimer : Olia, la femme qu'il a aimée.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
La quête pour la découverte de la vérité est épique. La neurologue parvient, par chance ou par destin, à trouver cette Olia, mariée depuis quinze ans à l'un de ses collègues, médecin, cardiologue. Hermann est pour cette femme comme un passé à jamais enfoui qui ressurgit. Lui, en passe de devenir totalement amnésique, fait ressurgir la mémoire chez cette femme. Et les souvenirs de son amour de jeunesse. Elle va tout quitter, sa vie bourgeoise, son mariage acheté sur ces sites de rencontres arrangées de la Russie postsoviétique, et elle retourne vers ses origines qu'elle croyait avoir oubliées. Elle disparaît. Hermann également. Elle est retrouvée seule, égarée, en Pologne, où son mari vient la récupérer. Elle ne parle dorénavant que russe. Et elle attend son amant.

Pendant vingt ans, aucune nouvelle d'Hermann. Mais il revient soudain dans la vie de Léa, la neurologue, toujours atteint d'Alzheimer, et toujours étonnamment jeune, et toujours à la recherche d'Olia, son amour. Le récit s'entremêle ainsi souvent de la couleur du conte, du conte philosophique. Hermann, apparition sans âge, traverse les existences et les distances et répare les oublis, rebat les cartes, tel un ange absolument pas biblique, plutôt un ange martyr qui porte en lui les blessures d'une guerre sur le front afghan et d'un amour brisé.

La mise en scène de François Rancillac joue avec les perspectives à la fois du décor stylisé de Raymond Sarti et de projections nous plongeant dans les couloirs aveugles des hôpitaux psychiatriques ou nous entraînant dans les différents lieux de la narration. Un système qui donne une grande souplesse à cette dernière qui change régulièrement d'endroits, tout en tirant l'histoire vers le réalisme. Une histoire qui, par sa complexité, appesantit par moments l'action en privilégiant de longs passages narratifs. Mais les quatre comédiens jouent leurs partitions avec dextérité. Clément Proust, en particulier dans le rôle d'Hermann, mais aussi Claudine Charreyre, qui a la lourde charge d'interpréter Léa, la neurologue, sont extrêmement crédibles et empathiques. Lenka Luptáková et Daniel Kenigsberg, dans les rôles d'Olia et de son mari, sont eux, désarmants d'authenticité.

"Hermann"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Texte : Gilles Granouillet.
Mise en scène : François Rancillac.
Assistante à la mise en scène : Christine Guênon.
Avec : Daniel Kenigsberg, Claudine Charreyre, Lenka Luptáková, Clément Proust.
Dramaturgie : Gilles Granouillet.
Scénographie : Raymond Sarti.
Costumes : Sabine Siegwalt.
Lumière : Guillaume Tesson.
Son et composition musicale : Sébastien Quencez.
Régie générale : Jérôme Aubert.
Par le Théâtre sur Paroles.
Durée : 1 h 30.

Vu dans le cadre des présentations professionnelles ayant eu lieu les 3, 4 et 5 mars à 15 h au théâtre des 2 Rives à Charenton (94).

Crédit Photos : © Christophe Raynaud de Lage.
Crédit Photos : © Christophe Raynaud de Lage.
Tournée conditionnée à la date de réouverture des salles
25 et 26 mars 2021 : Espace culturel Albert Camus, en co-accueil avec la Comédie de Saint-Étienne/CDN, Chambon Feugerolles (42).
7 avril 2021 : La Maison des Arts du Léman - scène nationale Thonon-Evian, Thonon-les-Bains (74).
13 avril 2021 : Espace Saint-Exupéry, Franconville (95).
15 avril 2021 : Théâtre Victor Hugo, Bagneux (92).
6 mai 2021 : l'Onde, Vélizy-Villacoublay (78).

Tournée en 21/22 : Scène nationale de Dieppe, Théâtre d'Aurillac, Théâtre de Roanne, etc. (en cours).

Bruno Fougniès
Samedi 13 Mars 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024