Il est des soirées parfaites, jouissives, passionnantes de bout en bout. Le concert du 9 novembre à l'Auditorium en réunissait tous les ingrédients avec un répertoire magistralement pensé (les Symphonies n°9 et n°12, dite "L'Année 1917", et le premier Concerto pour piano de 1933) d'un compositeur surdoué, et avec un orchestre de la qualité qu'on lui connaît, transcendé par un impérial et charismatique chef de quatre-vingts ans. Ajoutez-y deux solistes plus que talentueux pour le Concerto n°1 et votre soirée devient proprement inoubliable.
Programmer en effet la Symphonie n°9 (la plus étonnante des trois "Symphonies de guerre" de Chostakovitch de par sa durée et son écriture) avec la fameuse Symphonie n°12, appelée "L'Année 1917", créées respectivement en 1945 et 1961, se révèle un choix des plus judicieux. Réunies, elles rappellent la constance d'un compositeur qui sut toujours ne jamais vraiment satisfaire les caciques du Parti et l'Union des Compositeurs soviétiques à leurs ordres - à ses risques et périls.
Censées honorer la résistance et la victoire soviétiques sur le nazisme pour la première, et commémorer Lénine et la Révolution bolchévique pour la seconde, les œuvres manifestent avant tout l'esprit de résistance intérieure qui aida le compositeur (et le peuple russe) à survivre dans une dictature féroce et tatillonne. Un régime qui faillit bien l'éliminer à plusieurs reprises (par exemple en 1937 et 1948). Le Concerto n° 1 est de la même eau, sorte de confidence autobiographique tout à la fois lyrique et ironique - bel exemple de ce double discours qui fit la marque de fabrique de Chostakovitch, alors qu'il se remettait de l'échec de son opéra "Le Nez". Voilà pour le programme choisi.
Programmer en effet la Symphonie n°9 (la plus étonnante des trois "Symphonies de guerre" de Chostakovitch de par sa durée et son écriture) avec la fameuse Symphonie n°12, appelée "L'Année 1917", créées respectivement en 1945 et 1961, se révèle un choix des plus judicieux. Réunies, elles rappellent la constance d'un compositeur qui sut toujours ne jamais vraiment satisfaire les caciques du Parti et l'Union des Compositeurs soviétiques à leurs ordres - à ses risques et périls.
Censées honorer la résistance et la victoire soviétiques sur le nazisme pour la première, et commémorer Lénine et la Révolution bolchévique pour la seconde, les œuvres manifestent avant tout l'esprit de résistance intérieure qui aida le compositeur (et le peuple russe) à survivre dans une dictature féroce et tatillonne. Un régime qui faillit bien l'éliminer à plusieurs reprises (par exemple en 1937 et 1948). Le Concerto n° 1 est de la même eau, sorte de confidence autobiographique tout à la fois lyrique et ironique - bel exemple de ce double discours qui fit la marque de fabrique de Chostakovitch, alors qu'il se remettait de l'échec de son opéra "Le Nez". Voilà pour le programme choisi.
Écrite en un mois en août 1945 et créée par Evgeni Mravinski avec le Philharmonique de Leningrad en novembre, la Symphonie n°9 en mi bémol majeur (opus 70) déjoue toutes les attentes. Loin de célébrer la victoire soviétique et le Petit Père des Peuples avec chœurs, orchestre massif et apothéose grandiose (dans le genre de la 9e de Beethoven), Chostakovitch compose la plus courte et la plus gaie (en apparence) de ses quinze symphonies avec cinq mouvements qui n'excèdent pas vingt-cinq minutes - soit la durée du seul premier mouvement des 7e et 8e symphonies, précédents opus de la trilogie de guerre. "C'est une pièce très joyeuse" prévenait son auteur, écrite pour moins de soixante-dix musiciens.
Paterne et souriant, recevant force sourire en retour des musiciens, Neeme Järvi respecte à la lettre le souhait du compositeur ("Ils voulaient une fanfare, moi une ode", in "Mémoires" à Solomon Volkov) en dirigeant de la main, voire du doigt, un Allegro chambriste et moqueur. Il obtient du basson (et sa cadence admirable) et des duos et trios de clarinettes ce caractère rembruni qui installe une angoisse sourde au deuxième mouvement. La valse désolée et le crescendo tragique ne résistent pas aux têtes-à-queue comiques, qui vont caractériser la symphonie. La tendresse du Moderato laisse ainsi place aux sarcasmes et à l'energéia irrésistible du Presto (et son beau solo de trompette). Avec le Largo et l'Allegretto final (les trois derniers mouvements étant liés), l'angoisse resurgit plusieurs fois pour se diluer in extremis dans une marche moins militaire que proche de la parade grotesque de cirque.
Ces ricanements du compositeur (qui n'entend en rien glorifier le sanglant Dictateur), non dénués de séquences d'un lyrisme à serrer le cœur, se retrouvent dans le superbe Concerto n°1 en ut mineur (opus 35) pour piano, trompette et cordes. L'écriture rhapsodique au piano - merveilleusement poétisée par Simon Trpceski qui récolte des acclamations méritées (et quel spectacle !) - nécessite un rubato d'une virtuosité impressionnante. Et la valse triste du piano solo, plus loin, fait frissonner.
Paterne et souriant, recevant force sourire en retour des musiciens, Neeme Järvi respecte à la lettre le souhait du compositeur ("Ils voulaient une fanfare, moi une ode", in "Mémoires" à Solomon Volkov) en dirigeant de la main, voire du doigt, un Allegro chambriste et moqueur. Il obtient du basson (et sa cadence admirable) et des duos et trios de clarinettes ce caractère rembruni qui installe une angoisse sourde au deuxième mouvement. La valse désolée et le crescendo tragique ne résistent pas aux têtes-à-queue comiques, qui vont caractériser la symphonie. La tendresse du Moderato laisse ainsi place aux sarcasmes et à l'energéia irrésistible du Presto (et son beau solo de trompette). Avec le Largo et l'Allegretto final (les trois derniers mouvements étant liés), l'angoisse resurgit plusieurs fois pour se diluer in extremis dans une marche moins militaire que proche de la parade grotesque de cirque.
Ces ricanements du compositeur (qui n'entend en rien glorifier le sanglant Dictateur), non dénués de séquences d'un lyrisme à serrer le cœur, se retrouvent dans le superbe Concerto n°1 en ut mineur (opus 35) pour piano, trompette et cordes. L'écriture rhapsodique au piano - merveilleusement poétisée par Simon Trpceski qui récolte des acclamations méritées (et quel spectacle !) - nécessite un rubato d'une virtuosité impressionnante. Et la valse triste du piano solo, plus loin, fait frissonner.
Avec ses trois mouvements traditionnels, le concerto déjoue là encore toutes les attentes, entre méditation élégiaque et électricité jazzy. Avec la sonorité ronde et les accents nobles du grand trompettiste Andrei Kavalinski (premier solo de l'ONF), il se révèle d'une beauté confondante.
Les cordes soyeuses de l'ONF y jouent évidemment un grand rôle, nullement désarçonnées par les embardées sarcastiques et rythmiques de la partition. Le pianiste offre en bis avec Andrei Kavalinski une version transcrite du fameux air "Tristes apprêts, pâles flambeaux" de l'opéra de Jean-Philippe Rameau ("Castor et Pollux"). Cadeau bouleversant fait au public français par Simon Trpceski, teinté d'une morbidesse raffinée.
Pour terminer, la Symphonie n°12 en ré mineur (opus 112), "L'Année 1917", présente l'instrumentarium habituel (on retrouve donc une opulente formation de plus de cent musiciens). L'occasion de vérifier que les pupitres de l'ONF (cordes, bois, cuivres, percussions) sont indiscutablement parmi les meilleurs.
Les cordes soyeuses de l'ONF y jouent évidemment un grand rôle, nullement désarçonnées par les embardées sarcastiques et rythmiques de la partition. Le pianiste offre en bis avec Andrei Kavalinski une version transcrite du fameux air "Tristes apprêts, pâles flambeaux" de l'opéra de Jean-Philippe Rameau ("Castor et Pollux"). Cadeau bouleversant fait au public français par Simon Trpceski, teinté d'une morbidesse raffinée.
Pour terminer, la Symphonie n°12 en ré mineur (opus 112), "L'Année 1917", présente l'instrumentarium habituel (on retrouve donc une opulente formation de plus de cent musiciens). L'occasion de vérifier que les pupitres de l'ONF (cordes, bois, cuivres, percussions) sont indiscutablement parmi les meilleurs.
Neeme Järvi en fait une fresque lumineuse, enchanteresse, à la richesse mélodique et coloriste, unifiant en un courant maîtrisé épopée et chant. Gommant les ruptures, celui-ci insuffle un sublime crescendo aux quatre mouvements liés. On songe alors à l'art de son créateur en 1961, l'inoubliable Mravinski. L'orchestre, littéralement emporté dans sa relation fusionnelle avec le chef estonien, nous transporte jusqu'au sommet grandiose du finale, cette "Aube de l'Humanité" radieuse - qui nous hantera ensuite plusieurs jours. Du grand art, modeste et génial.
Concert disponible à l'écoute sur francemusique.fr
Orchestre National de France.
Sarah Nemtanu, violon solo.
Neeme Järvi, direction.
Et pour le Concerto N°1 :
Andrei Kavalinski, trompette.
Simon Trpceski, piano.
Prochains concerts de l'ONF sur maisondelaradio.fr
Tél. : 01 56 40 15 16.
Concert disponible à l'écoute sur francemusique.fr
Orchestre National de France.
Sarah Nemtanu, violon solo.
Neeme Järvi, direction.
Et pour le Concerto N°1 :
Andrei Kavalinski, trompette.
Simon Trpceski, piano.
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