La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Humour

Gratin de famille... Ou les considérations culinaro-existentielles d'une fillette de 5 ans !

"Gratin de famille", Théâtre du Petit Saint-Martin, Paris

Comédienne d’une puissance comique incroyable, Marie Montoya, après nous avoir régalés dans "Hors Piste", nous plonge dans l’univers drôle et poétique de son nouveau spectacle "Gratin de famille". Seule en scène, elle refait le parcours digestif de sa vie. Comment digère-t-on nos bonheurs et nos coups durs ? Les évènements du quotidien parcourent-t-ils le même chemin que les aliments ? Que faisons-nous de tout cela ? "Je suis ce que j’ai bouffé, ingéré, digéré. Je suis faite de toutes ces miettes. Je suis comme une boule de pain à la croûte épaisse."



© DR.
© DR.
On ne peut imaginer spectacle plus personnel. Encadrée par six réfrigérateurs (?), quatre gros combinés en fond de scène et deux petits modèles au milieu qui vont à la fois tenir leur mission de frigo et servir d’écran de projection, Marie Montoya nous offre une heure d’un one woman show tout à fait original. Lorsqu’elle déboule, tout de blanc vêtue, telle une joueuse de tennis des années trente, avec bandeau dans les cheveux, on comprend très vite que l’on n’a pas affaire à une femme mais à une gamine de cinq ans.

En effet, "Gratin de famille" se décompose en trois époques : sept dixièmes d’enfance, deux dixièmes d’adolescence et un d’âge adulte. Marie va donc nous raconter l’histoire. Pourquoi y avoir associé le mot "gratin" ? Pour deux raisons : d’abord parce que la majorité de ses proches était particulièrement gratinée, ensuite - et là il faut prendre le mot dans son sens propre - parce qu’il y est régulièrement sans cesse question de références culinaires ou gastronomiques. Rappelez-vous que nous sommes dans la tête d’une fillette de 5 ans. Tout ce qu’elle vit, elle le voit à travers le prisme de ses sensations, qu’elles soient visuelles ou gustatives, environnementales ou existentielles.

© DR.
© DR.
Elle passe sans cesse du coq à l’âne, réagit par flash. Elle essaie de nous retraduire toutes ses perceptions d’un quotidien rythmé par les événements familiaux, la radio, la télévision, les chansons, les réclames. La petite Marie est une éponge. Elle absorbe, puis elle régurgite en nous éclaboussant de son insouciance, de ses indignations, de ses emballements… Bien sûr, comme toutes les petites filles, elle déborde d’énergie. Elle saute comme un cabri, court, danse, chante, fait des grimaces, grimpe sur les meubles, triture ses vêtements, imite l’accent toulousain de sa mère et de ses copines, rejoue pour nous "Angélique Marquise des Anges"… En même temps, se contentant des faits sans les analyser, elle grandit devant nous et observe ce qui se passe autour d’elle ; ses parents séparés, ses quatre grands frères et plus particulièrement le numéro 2 qui s’avère être, de loin, le plus "gratiné" de la fratrie. Nous avons ainsi droit à un maelström de brèves avec un seul fil rouge : la nourriture. Il est tout de même rare de voir une enfant se shooter devant… un morceau de pâté ! Mais elle est tellement candide et fofolle que l’on accepte tout.

Avec sa bouille mutine, son incroyable présence comique, Marie Montoya est une sacrée nature. Ce spectacle autobiographique, elle l’a écrit toute seule. Elle avait envie d’évoquer cette famille paradoxale et pourtant si semblable à tant d’autres. Elle a vécu des drames, des disparitions, des choses tout de même violentes, mais elle a la grande finesse d’éviter le moindre larmoiement. Le pathos, ce n’est pas son registre. Elle est viscéralement pour le positivisme et la reconstruction.

© DR.
© DR.
Déjà, tout ce qu’elle raconte, ça parle aux trentenaires qui sont dans la salle. Ils ont tous été accompagnés par les mêmes artistes, nourris aux mêmes programmes télé, gavés aux mêmes spots publicitaires. Mais "Gratin de famille" va bien au-delà du simple partage générationnel, tout le monde en fait est concerné par les rapports parents-enfants, frères-sœurs, par l’école, par les premiers émois amoureux… Inévitablement, à un moment ou à un autre du spectacle, par un simple effet mémoriel, on est ramené dans notre propre vécu. Son histoire, si personnelle, nous intéresse et nous interpelle par ricochets.

Enfin, il faut souligner les nombreuses astuces de mise en scène et l’utilisation attendue ou inattendue des réfrigérateurs. Si certains contiennent ce qu’il est naturel d’y trouver, œufs, yaourts, conserves… d’autres, au contraire, s’ouvrent sur des objets qu’il est totalement incongru d’y trouver. Je vous en laisse la surprise.

Quant à Marie Montoya, elle occupe l’espace avec une générosité et une énergie débordantes et communicatives. Et, à travers ce spectacle intime mais pas intimiste, elle va chercher des choses qu’elle n’avait pas pu nous montrer dans ses précédentes comédies chorales. Elle nous offre là une vraie performance d’actrice, et de femme... Et puis, pour ce qui me concerne, c’est la toute première fois que j’assiste à un vol de chouquettes…

"Gratin de famille"

Texte : Marie Montoya.
Avec : Marie Montoya.
Mise en scène : Lucie Muratet.
Lumières et création vidéo : Christoph Guillermet.

Spectacle du 2 janvier au 24 mars 2012.
Du mardi au samedi à 19 h.
Théâtre du Petit Saint-Martin, Paris 10e, 01 42 02 32 82.
>> petitsaintmartin.com

Article publié en partenariat avec >> critikator

Gilbert Jouin
Vendredi 17 Février 2012

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024