La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Chronique d'une folie douce, perception truculente et libertaire de la vie d'une femme hors normes

"Marys' à minuit", TnBA, Bordeaux

Seule, assise au milieu de la scène, en robe de mariée, mi-tulle mi-bulles, tout en légèreté, petit bout de femme-enfant, bouille mutine et expressive, cheveux et chaussons roses, elle attend, sous la protection de robes à l'identique vocation matrimoniale et d'une farandole d'objets aux allures vintage, et à usage phonographique, le sosie de Jean-Louis Maclaren, hypothétique ancien amant mais réel pourvoyeur de rêves de caresses sensuelles et jouissives.



© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
Attente sans cesse renouvelée de celui qui viendra la rendre à nouveau heureuse, lui donnera l'impression d'exister, de vaincre la solitude… ou ne viendra pas... n'est-il d'ailleurs jamais venu ? Alors, pour meubler le temps qui passe, elle parle, elle disserte, pérore, s'évade de palabres en dithyrambes existentiels. Cause de rien et de tout, d'anecdotes insignifiantes comme de choses à l'apparence anodine mais essentielle à la femme qu'elle est, était ou espérait être, à la fois construction intime d'un être fragile et harangue épicé, railleuse sur les êtres et les situations qui traversent sa vie.

Son flot/flux de paroles est fluide, le verbe est nature, vert souvent -"il va voir sa vieille, ouais, il va tirer un coup" ; "ça tringlait dans les rideaux de la salle à manger" -, parfois roulant sur le sable fin, parfois sur la rocaille. Le phrasé est claire, musical, quelquefois usant avec adresse et espièglerie de la mélodie propre aux accents méditerranéens.

Le récit peut paraître décousu mais elle se raconte, comme une enfant bavarde qui ne vous lâche pas la grappe... De temps en temps, elle glisse un vinyle dans l'ogre discographique d'où sort la rengaine d'une chanson populaire illustratrice de ses vagues à l'âme amoureux… "Avventura" et "Le prix des allumettes" (Stone et Charden), "Tous les bateaux, tous les oiseaux" (Michel Polnareff), "Viens, viens" (Marie Laforêt) ou encore "L'été indien" (Joe Dassin).

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
C'est la deuxième fois que Catherine Marnas met en scène ce texte de Serge Valletti, avec la même comédienne, Martine Thinières. Recréer pour confronter deux réalités, deux époques à presque vingt d'écart. Et analyser le niveau de résistance du comique de l'absurde souvent aliéné, contextualisé à une période précise. "Rions-nous des mêmes choses aujourd’hui ? Ai-je la même légèreté ? Avons-nous la même confiance dans le monde pour pouvoir le bousculer, le basculer cul par-dessus tête avec la même gourmandise libertaire ?", interroge-t-elle.

Sans aucun doute, différemment… mais la pièce n'a pas vieilli. Et la mise en scène renouvelée de Catherine Marnas, avec une interprète se jouant avec subtilité des excès fantaisistes contenus dans la prose si particulière et marquée au fer rouge sudiste de Serge Valletti, décrypte toujours avec beaucoup d'intelligence les variations rythmiques et follement déconcertantes de la tchatche méridionale dont l'auteur use pour nous narrer les agréments et les désagréments, le boire et déboire des paumés, des déjantés, des gens de rien, du peuple ordinaire, de ceux à l'extravagance incomprise…

"Marys' à minuit" est la chronique d'une folie douce, d'une perception décalée de la réalité… le rêve d'un amour imaginé, d'une romance espérée. Histoire d'une femme hors normes. Et si la rivière tumultueuse de phrases semble sans queue ni tête, on se rend vite compte que (se) raconter offre la possibilité d'exister, de partir, de voyager, de s'échapper du réel, de sa désespérance, du quotidien. Maryse quitte le port, largue les amarres, s'offre la liberté que seules les galéjades, les extravagances, une certaine forme de folie permettent. Et on part avec plaisir naviguer avec elle.

"Marys' à minuit"

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
Texte : Serge Valletti.
Mise en scène : Catherine Marnas.
Avec : Martine Thinières.
Son : Madame Miniature.
Scénographie : Carlos Calvo.
Durée estimée : 1 h.
Production Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine.

Du 23 janvier au 9 février 2018.
Du mardi au vendredi à 20 h, samedi à 19 h.
TnBA - Théâtre du Port de la Lune, Studio de création, Bordeaux (33), 05 56 33 36 80.
>> tnba.org

Gil Chauveau
Lundi 5 Février 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024