La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

La fable rejoint le mythe, la parodie disparaît et peut paraître toute l'humanité de Don Quichotte

"Dans la peau de Don Quichotte", Théâtre des Abbesses, Paris

L'histoire racontée par la compagnie La Cordonnerie, dans son nouveau ciné-spectacle "Dans la peau de Don Quichotte", se déroule des derniers jours de 1999 à maintenant et réunit autour du vieux roman de Miguel de Cervantès et d'un ordinateur poussif, un employé de bibliothèque tout gris, un technicien de surface un peu con-con, un méchant maire et une belle et mystérieuse médecin psychiatre.



© Coline Ogier.
© Coline Ogier.
Tout l'univers mental et physique du spectacle subit comme un grand choc, un grand bug. Opère un saut spatio-temporel, atteint un point de fusion. Le monde passe de l'intérieur d'une petite médiathèque à un paysage imaginaire avant de s'ouvrir à un hiver rural.

Où s'agite un cheval de fer qui rugit à Très Grande Vitesse comme en enfer. À l'horizon des pales d'éoliennes quasi fantasmatiques et une petite fille qui, de l'arrière d'une voiture, salue affectueusement au bord de sa cahute de fortune un vagabond. Célèbre dans le canton bien que nul ne connaisse son histoire, le passé qui l'a réduit à cet état. À part son compagnon d'infortune, et le maire de la petite ville.

Et peut être que, tout bien réfléchi, le spectateur bien calé dans l'histoire qui lui est racontée... est le seul à même de reconstituer les circonstances singulières et considérables qui relient les événements. Qu'il peut qualifier de folie sublime et dérisoire, pathétique et glorieuse, grave et comique.

© Coline Ogier.
© Coline Ogier.
C'est que l'homme à la tête farcie du roman de Cervantès entraîne le spectateur loin, loin, très loin dans les méandres des différentes consciences et revit au fil de ses errances, au fil du temps, au pied de la lettre, les aventures et mésaventures du héros hispanique. Histoire éternelle et récurrente. Où la réalité s'effrite. Les grains de réel changent de nature. Comme en une farce.

L'œuvre de Cervantès, prise dans ses multiples dimensions, est ainsi transposée dans une forme scénique tous azimuts quasi parfaite.

Face à la scène, le spectateur assiste à une forme à bien des égards chimérique. En forme de cinéma. Et c'est du grand cinéma. Carré, virtuose. Caméra objective, caméra subjective sont au service d'un documentaire, d'un docu-fiction, d'une autofiction. Tout y passe.

La scène est aussi en forme de studio de sonorisation et d'enregistrement de direct (bande son et bruitage). Et c'est du grand bruitage. Qui sait jouer de l'anachronisme visuel et dérisoire et de l'authenticité du son.

Dans la totalité de l'espace, au micro, les acteurs font du théâtre et c'est du grand théâtre. La proposition est à la fois réaliste, pastiche, parodique, autoparodique jusqu'à boucler le caractère merveilleux du récit.

© Coline Ogier.
© Coline Ogier.
Le spectateur s'amuse. Son regard glisse sans se lasser du fond de l'écran à l'avant-scène. Il regarde les comédiens qui au micro se dédoublent et s'autosurveillent. Le spectateur se trouve pris au piège d'une forme d'errance des plus délassantes.

Jusqu'à ce que sa conscience soit placée à un point de rupture. Lorsque celle-ci s'aperçoit que le personnage du vagabond, qui se met à nu au réel de la scène, fait l'objet de deux traitements d'images diamétralement opposés dans leurs effets. L'une retransmise par un ordiphone (smartphone) renvoie au ridicule, à la moquerie, au dénigrement, au mépris : c'est le regard du maire, du duc, c'est un regard de classe dominante.

L'autre fugace sur grand écran est sublime. Le visage du vagabond pris en gros plan devient clochard céleste digne du grand Orson Welles. À cet instant, sans nul doute, le petit employé tout gris devenu vagabond est assurément Don Quichotte. Dans toute sa noblesse et sa beauté. La fable rejoint le mythe. La satire, la parodie disparaissent. Le regard s'embue. Le spectateur applaudit cette bribe d'humanité, cette dignité et cette folie. Celles de Don Quichotte personnage éminemment populaire.

"Dans la peau de Don Quichotte"

© Coline Ogier.
© Coline Ogier.
Un spectacle de Métilde Weyergans et Samuel Hercule d'après l'œuvre de Cervantès.
Assistante à la mise en scène : Pauline Hercule.
Musique originale : Timothée Jolly et Mathieu Ogier.
Avec : Philippe Vincenot, Samuel Hercule, Métilde Weyergans, Timothée Jolly, Mathieu Ogier.
Et à l’écran : Ava Baya, Jean-Luc Porraz, Anne Ferret, Michel Le Gouis, Nicolas Avinée, Xavier Guelfi, Pierre Germain, Constance Chaperon, Alexis Corso, Grégoire Jeudy…
Assistants réalisation : Grégoire Jeudy et Damien Noguer.
Image : Lucie Baudinaud.
Décors : Dethvixay Banthrongsakd.
Costumes : Rémy Le Dudal.
Montage Gwenaël : Giard Barberin.
Direction de production tournage : Lucas Tothe.
Création sonore : Adrian’ Bourget.
Création lumière : Soline Marchand.
Construction machinerie : Les Artistes Bricoleurs Associés.
Compagnie La Cordonnerie.
Durée : 1 h 40.

Du 25 janvier au 10 février 2018.
Du lundi au vendredi à 20 h, samedi à 19 h, puis du 8 au 10 février à 19 h.
Nouveau Théâtre de Montreuil - CDN, Salle Jean-Pierre Vernant, Montreuil (93), 01 48 70 48 90.
>> nouveau-theatre-montreuil.com

Tournée

27 et 28 février 2018 : Théâtre, Villefranche-sur-Saône
 (69).
7 et 8 mars 2018 : Le Granit, Scène nationale, Belfort (90).

13 au 15 mars 2018 : Les 2 Scènes - Scène nationale, Besançon
 (25).
4 au 6 avril 2018 : Comédie de Caen - CDN Normandie, Caen (14).

10 et 11 avril 2018 : Maison de la Culture - Scène nationale, Bourges (18).

4 au 6 mai 2018 : Théâtre Am Stram Gram, Genève (Suisse).

15 au 19 mai 2018 : Théâtre de la Croix Rousse, Lyon (69).
25 mai 2018 : L'Apostrophe, Scène nationale Cergy-Pontoise et Val d’Oise - Théâtre de Jouy-le-Moutier, 
 Jouy-le-Moutier (95).
1er au 9 juin 2018 : Théâtre de la ville, Théâtre des Abbesses, Paris 18e.

Jean Grapin
Vendredi 2 Février 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024