La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Une forme concertante sensible qui relie regards et gestes, voix humaine et musiques

"Les Méfaits du tabac", Théâtre des Bouffes du Nord, Paris

C’est un vieil homme qui tient conférence sur les méfaits du tabac. Michel Robin, pour qui Nioukhine (c’est le nom du personnage) fut son tout premier rôle quand il débutait, l’éclaire de son œil pétillant et malicieux. C’est un vieil homme qui tient conférence lors d’un concert de bienfaisance qu'organise d’une poigne de fer, on l’apprend au hasard du récit, son épouse brutale et avaricieuse, directrice de pensionnat pour jeunes filles pauvres.



© Pascal Victor/ArtComArt.
© Pascal Victor/ArtComArt.
C’est une ombre grise et sautillante, aux vêtements élimés, un peu perturbé et maladroit et miséreux. C’est un papa gâteau pour les pensionnaires. Homme à tout faire, un peu gâteux, un peu sourd, un peu oublieux, qui trouve refuge dans la musique, dans le silence de la musique et qui dévoile sa vie brusquement, dans un accès de liberté, d’années d’humiliations sous l'œil inquiet, attentif, attendri des musiciennes, pianiste, violoniste, cantatrice, dont il interrompt le concert.

Et de manière très ironique pour le spectateur, la conférence est tenue justement par ce qu'elle ne se déroule pas et que le personnage est à lui-même sa démonstration, son alibi. Le vieil homme avoue qu’il fume et le spectateur en découvre les causes sociales et familiales à défaut d’en connaitre les conséquences physiques.

© Pascal Victor/ArtComArt.
© Pascal Victor/ArtComArt.
Comme toujours avec Tchekhov, le rire immédiat de la farce est figé par l’authenticité du drame qui se déroule sous les yeux du spectateur, et par la précision des détails de la vie anodine et quotidienne fournis par l’auteur. Découpés comme au scalpel, notés comme autant de symptômes d’une énigme à résoudre, le récit révèle par petites touches le dessous des apparences et l'irrépressible dégât du temps.

Dans le suspend de cette conférence, c’est bien de solitude, de ruine physique et de mort qui s’annonce qu’il est question. L’ironie qui perce est désamorcée par le jeu. Elle devient pure comédie humaine. Et rire. Et applaudissements. Preuve d’amour ultime parce que tout cela est enchantement, parce que cela est théâtre.

Le spectacle distillé par Denis Podalydès et Floriane Bonanni mêle théâtre et musique. Tchekhov à Tchaïkovski, Jean Sébastien Bach et Luciano Berio. Il est de toute beauté et procure au spectateur le plaisir d’un jeu de correspondances et de miroirs bienveillants entre les arts et les êtres.

© Pascal Victor/ArtComArt.
© Pascal Victor/ArtComArt.
Cette conférence sur les méfaits du tabac révèle un art consommé du dialogue qui s’appuie sur l’expressivité sensible des regards et des gestes. C’est un joyau de conversation silencieuse plein d’attentions réciproques. Une forme concertante qui relie Tchekhov et son ami Tchaïkovski dont les arts sonnent à l’unisson. Qui relie les voix et la musique, les gestes et les regards, le mime et le jeu, la vie réelle et la fiction, la vieillesse et la jeunesse.

Il faut voir, et avec quel talent, comment Nioukhine probablement sourd bat la mesure et trouve, sous l’agressivité apparente de la Sequenza VIII de Berio que lui assène le violon, le souvenir bien présent et harmonieux d’une romance. Douceur du souvenir et de l’enfance.

Cet acte de Tchekhov est un authentique concert d’un quatuor pour voix humaine, chant, violon et piano. Du grand théâtre.

"Les Méfaits du tabac"

© Pascal Victor/ArtComArt.
© Pascal Victor/ArtComArt.
Concert en un acte.
Texte : Anton Tchekhov
Musiques : Jean-Sébastien Bach, Luciano Berio, Piotr Ilitch Tchaïkovski.
Mise en scène : Denis Podalydès.
Assistante à la mise en scène : Élodie Huber.
Conception du spectacle : Floriane Bonanni.
Avec : Michel Robin (Nioukhine), Floriane Bonanni (violon), Muriel Ferraro (soprano) et Emmanuelle Swiercz (piano).
Scénographie : Delphine Sainte-Marie.
Costumes : Christian Lacroix.
Lumières : Stéphanie Daniel.
Maquillages et coiffures : Véronique Soulier-Nguyen.
Assistant costumes : Jean-Philippe Pons.
Durée : 1 h.

Programme musical :
"Sonate n°1 en si mineur BW1014 pour violon et piano" de J.S. Bach.
"Romance op 47 n°1" de P.I. Tchaïkovski.
"Sequenza VIII pour violon" de L. Berio.
"Partita n°2 en do mineur, BWV 826" de J.S. Bach.

Du 18 mars au 12 avril 2014.
Du mardi au samedi à 19 h.
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, 01 46 07 34 50.
>> bouffesdunord.com

17 et 18 avril 2014 : Théâtre d’Arras, Arras.
11 au 19 juin 2014 : Tournée en Roumanie (Sibiu Festival, Timisoara Festival, Théâtre Bulandra de Bucarest).

Jean Grapin
Vendredi 4 Avril 2014

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024