Une gageure en soi tant l'œuvre du romancier russe se présente comme un pavé où se croisent à l'envi et se recroisent des intrigues distribuées entre des personnages démultipliés par les déclinaisons de leur patronyme slave, le tout rendant l'œuvre originale particulièrement ardue vu le foisonnement des personnages et la complexité des liens qui les unissent. La mise en jeu rebattant les cartes de ce bouillon de culture aura-t-elle eu l'effet de démêler les nœuds de cet imbroglio de haut vol ? Rien n'est moins sûr mais l'essentiel est - à ne pas s'y tromper - ailleurs, pour peu que l'on accepte de se laisser (em)porter par la furie créative du maître ès mises en scène offrant en pâture à ces jeunes gens avides de quoi se faire les dents.
Retour sur saison… Le public bordelais avait été quelque peu bousculé en novembre dernier par ce même metteur en jeu, fougueux et iconoclaste, s'emparant - non sans exigence - des "Démons" de l'écrivain russe pour en extraire l'essence afin d'en proposer une adaptation libre des entraves classiques. La salle, enflammée par tant de hardiesse et de liberté sans retenue, s'était trouvée alors clivée entre les partisans de ce théâtre revisité, bousculant les codes habituels pour apporter un souffle pour le moins revigorant, et ceux qui avaient été un peu moins conquis par le bouillonnement incessant des trois heures (et plus) de représentations vécues un peu douloureusement.
Pourtant, la "feuille anti-panique", fournissant le canevas des différents tableaux, remise aux spectateurs et commentée par Nicolas Bouchaud alias Stépane Verkhovenski, avait eu l'effet liminaire de détendre l'atmosphère tout comme l'ironie malicieuse de son commentaire "ça part dans tous les sens, mais c'est fluide…".
Retour sur saison… Le public bordelais avait été quelque peu bousculé en novembre dernier par ce même metteur en jeu, fougueux et iconoclaste, s'emparant - non sans exigence - des "Démons" de l'écrivain russe pour en extraire l'essence afin d'en proposer une adaptation libre des entraves classiques. La salle, enflammée par tant de hardiesse et de liberté sans retenue, s'était trouvée alors clivée entre les partisans de ce théâtre revisité, bousculant les codes habituels pour apporter un souffle pour le moins revigorant, et ceux qui avaient été un peu moins conquis par le bouillonnement incessant des trois heures (et plus) de représentations vécues un peu douloureusement.
Pourtant, la "feuille anti-panique", fournissant le canevas des différents tableaux, remise aux spectateurs et commentée par Nicolas Bouchaud alias Stépane Verkhovenski, avait eu l'effet liminaire de détendre l'atmosphère tout comme l'ironie malicieuse de son commentaire "ça part dans tous les sens, mais c'est fluide…".
Une fois semble coutume puisque, là aussi, ce soir de sortie d'école, sommes-nous gratifiés d'une feuille adjointe au programme de salle où sont "décomposés" les différents tableaux de l'intrigue plurielle ainsi que la distribution des rôles… même si, dans la semi-obscurité, il peut se montrer hasardeux d'en prendre connaissance, happés par le jeu vertigineux se déployant sur le plateau éclairé. Mais là point de Nicolas Bouchaud pour faire passer l'annonce, nous restons donc avec notre papier en main… à l'image des personnages se refilant une mystérieuse lettre porteuse d'un sésame escompté.
De l'intrigue, on retiendra le parcours initiatique conduisant en quelques mois un adolescent intranquille et bâtard (Arkadi Dolgorouki) - né des amours illégitimes d'un aristocrate communard ruiné (Andreï Versilov, joué superbement par Sava Lolov accompagnant les jeunes acteurs) avec la jeune épouse (Sofia Dolgorouki) d'un vieux serf christique et charismatique (Makar Dolgourouki, endossé par Frédéric Leidgens, l'autre magistral "accompagnant") - à se frotter à son père biologique et, avec lui et contre lui, à découvrir l'état de la Russie. Ainsi, en allant à Saint Pétersbourg à la rencontre de ce père naturel ignoré jusque-là, Arkadi va-t-il vivre l'expérience fondatrice attachée à la découverte de différents milieux sociaux.
En les traversant, il va certes se brûler les ailes mais aussi s'ouvrir les yeux : lui qui voulait dans une volonté de puissance "devenir Rothschild" pour savourer son pouvoir, va offrir l'occasion à Dostoïevski d'aborder ses thèmes de prédilection d'une jeunesse russe qui, tout en s'émancipant du régime autocratique des tsars, est emportée par un vent libertaire, se laissant tenter par les dérives du socialisme autoritaire, de l'athéisme, du rationalisme opposé à la foi, voire du nihilisme anarchiste, et séduire par des divertissements inconséquents. Immergé dans ces milieux bouillonnant d'idées et propices à l'éclosion, il s'adonnera au jeu et autres distractions oubliant son dessein premier. Ceci étant, il mûrira, et n'étant plus celui qu'il se rêvait d'être, il connaîtra le chant des sirènes, les blessures qui en résultent, autant d'expériences constructrices.
De l'intrigue, on retiendra le parcours initiatique conduisant en quelques mois un adolescent intranquille et bâtard (Arkadi Dolgorouki) - né des amours illégitimes d'un aristocrate communard ruiné (Andreï Versilov, joué superbement par Sava Lolov accompagnant les jeunes acteurs) avec la jeune épouse (Sofia Dolgorouki) d'un vieux serf christique et charismatique (Makar Dolgourouki, endossé par Frédéric Leidgens, l'autre magistral "accompagnant") - à se frotter à son père biologique et, avec lui et contre lui, à découvrir l'état de la Russie. Ainsi, en allant à Saint Pétersbourg à la rencontre de ce père naturel ignoré jusque-là, Arkadi va-t-il vivre l'expérience fondatrice attachée à la découverte de différents milieux sociaux.
En les traversant, il va certes se brûler les ailes mais aussi s'ouvrir les yeux : lui qui voulait dans une volonté de puissance "devenir Rothschild" pour savourer son pouvoir, va offrir l'occasion à Dostoïevski d'aborder ses thèmes de prédilection d'une jeunesse russe qui, tout en s'émancipant du régime autocratique des tsars, est emportée par un vent libertaire, se laissant tenter par les dérives du socialisme autoritaire, de l'athéisme, du rationalisme opposé à la foi, voire du nihilisme anarchiste, et séduire par des divertissements inconséquents. Immergé dans ces milieux bouillonnant d'idées et propices à l'éclosion, il s'adonnera au jeu et autres distractions oubliant son dessein premier. Ceci étant, il mûrira, et n'étant plus celui qu'il se rêvait d'être, il connaîtra le chant des sirènes, les blessures qui en résultent, autant d'expériences constructrices.
L'action menée tambour battant - au rythme des sempiternels déplacements à vue de canapés marquant le passage d'un tableau à un autre - a le pouvoir au bas mot d'étourdir… En effet la profusion des situations s'enchaînant à allure "supersonique" peut créer un sentiment de confusion. Confusion amplifiée par l'usage quelque peu défaillant d'une sonorisation aléatoire de certains acteurs ayant du mal à projeter leur voix, pas toujours audible, et par le fait que - sortie de promotion oblige - un même rôle peut être endossé par trois acteurs/actrices différents (cf. le personnage d'Arkadi), de quoi en "perdre son russe".
Cependant, ces "difficultés" à recevoir le texte peuvent être dépassées si l'on se rattache au fil rouge, lui clairement perceptible : la peinture d'une saga familiale représentative d'une histoire de la Russie vue au travers d'un écrivain visionnaire, réinterprété par un metteur en scène sans tabou. Et puis, à l'actif incontestable de cette forme "dopée", la mise en jeu créative réserve de vraies pépites…
Il y a les deux (faux) suicides mis en scène de manière grandguignolesque (en écho à celui pétaradant de Krillova ou encore à celui de NiKolaï se pendant, faute de mieux, à la corde de la cloche de l'église dans "Les Démons"), dont l'effet humoristique est garanti. Ainsi la victime de potentielles malversations d'Andreï Versilov, le devant enduit de blanc de clown de la tête aux pieds, se tirera une balle dans la tempe avant de disparaître de dos dans les coulisses, dépouillé comme un ver.
Ainsi d'une jeune femme, prétendument abusée par le même Andreï Versilov, se donnant violemment la mort en se tranchant le cou, puis s'abattant de tout son long sur une poubelle couverte de couronnes de fleurs, avant de se relever, sereinement, le visage ensanglanté. Sylvain Creuzevault aime le mélange des genres considérant que le théâtre est une affaire trop sérieuse… pour être pris au sérieux.
Cependant, ces "difficultés" à recevoir le texte peuvent être dépassées si l'on se rattache au fil rouge, lui clairement perceptible : la peinture d'une saga familiale représentative d'une histoire de la Russie vue au travers d'un écrivain visionnaire, réinterprété par un metteur en scène sans tabou. Et puis, à l'actif incontestable de cette forme "dopée", la mise en jeu créative réserve de vraies pépites…
Il y a les deux (faux) suicides mis en scène de manière grandguignolesque (en écho à celui pétaradant de Krillova ou encore à celui de NiKolaï se pendant, faute de mieux, à la corde de la cloche de l'église dans "Les Démons"), dont l'effet humoristique est garanti. Ainsi la victime de potentielles malversations d'Andreï Versilov, le devant enduit de blanc de clown de la tête aux pieds, se tirera une balle dans la tempe avant de disparaître de dos dans les coulisses, dépouillé comme un ver.
Ainsi d'une jeune femme, prétendument abusée par le même Andreï Versilov, se donnant violemment la mort en se tranchant le cou, puis s'abattant de tout son long sur une poubelle couverte de couronnes de fleurs, avant de se relever, sereinement, le visage ensanglanté. Sylvain Creuzevault aime le mélange des genres considérant que le théâtre est une affaire trop sérieuse… pour être pris au sérieux.
Il y a l'inénarrable Maria (jouée par le très prometteur Alexandre Liberati, décidément très à l'aise dans tous les rôles lui allant comme un gant) qui, après avoir déboulé dans les travées de spectateurs pour commenter de leur place et à leur place "le théâtre est un truc d'intellos. J'ai oublié le texte… On meuble… On meuble…", prend place derrière la vitre du salon pour, déguisée en femme de ménage, espionner "mine de rien" l'intrigante et diabolique Katérina afin d'informer Arkadi de son infortune amoureuse. Sulfureuse Katérina, fille du vieux prince Nikolaï Sokolski (incarné par Frédéric Leidgens), sorte de Mata Hari dotée de tous ses attributs, faisant tourner la tête du père naturel et de son bâtard de fils.
Il y a - jouée par le même Alexandre Liberati, très en verve - la tout en rondeurs Françoise Dolto, dos doté d'ailes d'ange, descendue expressément du ciel où elle réside dorénavant pour expliquer "le complexe du homard" (la psychanalyste évoquant très doctement les métamorphoses de l'adolescent se débarrassant de ses carapaces pour advenir à lui-même) à l'adolescent Arkadi, perdu au milieu des femmes de sa tribu familiale.
Il y a encore bien d'autres trouvailles dramaturgiques et scéniques qui dissipent les réserves pointées précédemment. In fine, on ne peut que saluer la grande ambition - une gageure, avancions-nous pour "ouvrir" le débat - de ce projet "démoniaque" eut égard à la richesse du roman source. Ainsi, initiés par un metteur en scène élisant la difficulté comme un aiguillon performatif, les quatorze jeunes comédiennes et comédiens de l'école supérieure du théâtre Bordeaux Aquitaine, accompagnés par deux de leurs aînés rompus à l'art dramatique, et confrontés à un challenge de très haut niveau, ont pu prendre pleinement la mesure des exigences d'un art n'admettant aucune approximation.
Dans cette optique, outre les bonheurs de mise en scène que nous ont réservés - à nous spectateurs gracieusement invités à cette célébration - ces "Scènes d'adolescent", ce work in progress - c'en est un au regard des huit petites semaines, et encore incomplètes, de travail collectif - est porteur de beaux espoirs. Un baptême du feu explosif à souhait pour une expérience qui laissera des traces durablement positives.
Il y a - jouée par le même Alexandre Liberati, très en verve - la tout en rondeurs Françoise Dolto, dos doté d'ailes d'ange, descendue expressément du ciel où elle réside dorénavant pour expliquer "le complexe du homard" (la psychanalyste évoquant très doctement les métamorphoses de l'adolescent se débarrassant de ses carapaces pour advenir à lui-même) à l'adolescent Arkadi, perdu au milieu des femmes de sa tribu familiale.
Il y a encore bien d'autres trouvailles dramaturgiques et scéniques qui dissipent les réserves pointées précédemment. In fine, on ne peut que saluer la grande ambition - une gageure, avancions-nous pour "ouvrir" le débat - de ce projet "démoniaque" eut égard à la richesse du roman source. Ainsi, initiés par un metteur en scène élisant la difficulté comme un aiguillon performatif, les quatorze jeunes comédiennes et comédiens de l'école supérieure du théâtre Bordeaux Aquitaine, accompagnés par deux de leurs aînés rompus à l'art dramatique, et confrontés à un challenge de très haut niveau, ont pu prendre pleinement la mesure des exigences d'un art n'admettant aucune approximation.
Dans cette optique, outre les bonheurs de mise en scène que nous ont réservés - à nous spectateurs gracieusement invités à cette célébration - ces "Scènes d'adolescent", ce work in progress - c'en est un au regard des huit petites semaines, et encore incomplètes, de travail collectif - est porteur de beaux espoirs. Un baptême du feu explosif à souhait pour une expérience qui laissera des traces durablement positives.
"Scènes d'Adolescent"
D'après l'œuvre de Fédor Dostoïevski.
Traduction française : André Markowicz (Éditions Actes Sud).
Adaptation et mise en scène : Sylvain Creuzevault.
Avec les 14 élèves-comédiennes et comédiens de la promotion 4 de l'éstba : Louis Benmokhtar, Étienne Bories, Clémence Boucon, Zoé Briau, Marion Cadeau, Garance Degos, Camille Falbriard, Léopold Faurisson, Shanee Krön, Félix Lefebvre, Alexandre Liberati, Léo Namur, Mickaël Pelissier, Prune Ventura, accompagnés par Frédéric Leidgens et Sava Lolov.
Régie plateau : Cyril Muller.
Régie son : Jean-Christophe Chiron.
Costumes : Kam Derbali.
Régie lumière : Clarisse Bernez-Cambot Labarta et Denis Lamoliatte.
Construction décors : Nicolas Brun et Franck Lesgourgues.
Spectacle proposé dans le cadre du Festival Liberté ! Bordeaux 2019.
Production École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine, Production déléguée TnBA.
Spectacle créé le 19 juin 2019 au TnBA, Bordeaux.
A été représenté les 19 et 20 juin 2019.
Du 26 au 28 juin à 19 h 30.
Ateliers Berthier/Odéon-Théâtre de l'Europe.
Dans le cadre du Festival des écoles du Théâtre public-Théâtre de l'Aquarium.
À La Cartoucherie, Paris 12e avec le Théâtre de l'Aquarium, le Théâtre de l'Épée de Bois, l'Atelier de Paris CDCN et à l'Odéon Théâtre de l'Europe, Paris 6e.
Réservations : 01 43 74 99 61.
>> theatredelaquarium.net
Traduction française : André Markowicz (Éditions Actes Sud).
Adaptation et mise en scène : Sylvain Creuzevault.
Avec les 14 élèves-comédiennes et comédiens de la promotion 4 de l'éstba : Louis Benmokhtar, Étienne Bories, Clémence Boucon, Zoé Briau, Marion Cadeau, Garance Degos, Camille Falbriard, Léopold Faurisson, Shanee Krön, Félix Lefebvre, Alexandre Liberati, Léo Namur, Mickaël Pelissier, Prune Ventura, accompagnés par Frédéric Leidgens et Sava Lolov.
Régie plateau : Cyril Muller.
Régie son : Jean-Christophe Chiron.
Costumes : Kam Derbali.
Régie lumière : Clarisse Bernez-Cambot Labarta et Denis Lamoliatte.
Construction décors : Nicolas Brun et Franck Lesgourgues.
Spectacle proposé dans le cadre du Festival Liberté ! Bordeaux 2019.
Production École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine, Production déléguée TnBA.
Spectacle créé le 19 juin 2019 au TnBA, Bordeaux.
A été représenté les 19 et 20 juin 2019.
Du 26 au 28 juin à 19 h 30.
Ateliers Berthier/Odéon-Théâtre de l'Europe.
Dans le cadre du Festival des écoles du Théâtre public-Théâtre de l'Aquarium.
À La Cartoucherie, Paris 12e avec le Théâtre de l'Aquarium, le Théâtre de l'Épée de Bois, l'Atelier de Paris CDCN et à l'Odéon Théâtre de l'Europe, Paris 6e.
Réservations : 01 43 74 99 61.
>> theatredelaquarium.net