La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Jeanne d'Arc façon Anouilh... un véritable bonbon à savourer en souriant !

"L'Alouette", Théâtre Montparnasse, Paris

Jeanne d’Arc… Un mythe. Une jeune fille innocente et pleine de bon sens, diablement forte et courageuse… La petite bergère, seule, face à la justice des hommes, va revivre son épopée devant les juges. Avec son esprit aiguisé et son sens de l’humour, Jean Anouilh dresse, loin des représentations habituelles de Jeanne, le portrait d’une femme passionnée et éternellement moderne, devenue immortelle en incarnant la liberté, l’intelligence, la sagesse du peuple, l’indépendance face à la sottise bornée des puissants et des institutions établies dans leurs certitudes.



"L'Alouette" de Jean Anouilh © Lot.
"L'Alouette" de Jean Anouilh © Lot.
Quel bonheur que cette histoire de Jeanne d’Arc revisitée par l’œil, l’esprit et la plume aiguisés de Jean Anouilh ! C’est, à mon avis, une vision qui pourrait être la plus proche de la réalité tant les comédiens sont crédibles.

Cette pièce mérite d’être vue pour trois raisons essentielles.
D’abord, il y a l’écriture de Jean Anouilh. Très moderne, elle allie le lyrisme à l’impertinence, l’émotion et l’ironie, le réalisme à l’irrationnel, la tragédie au burlesque. Et puis il y a l’aspect satirique. Les institutions, qu’elles soient politiques ou religieuses, sont très habilement brocardées. Les dialogues sont ciselés, sans fioritures ; les répliques sont cinglantes, sournoises, faussement ou franchement candides. Après Colombe (dans laquelle jouait déjà Sara Giraudeau), L’Alouette ne fait que confirmer l’immense talent de dramaturge de Jean Anouilh.

Ensuite, il y a la mise en scène et le jeu des comédiens. Là aussi, on va à l’essentiel. Le décor est on ne peut plus succinct. Hormis cette immense rosace qui envahit l’espace en fond de scène, il n’y a ça et là que quelques sièges. Ce sont les changements de lumières et les projections qui vont apporter le facteur temps ou émotionnel de l’instant. On voit même une escadrille d’oiseaux traverser le ciel vosgien de Domrémy… La mise en scène est nerveuse, variée, parfois académique, parfois fantaisiste. Ce qui fait qu’on ne s’ennuie jamais… Et puis les costumes sont bien jolis… Enfin, il y a la qualité de jeu de tous les acteurs de ce drame. Ils sont tellement complices qu’on dirait avoir affaire à une troupe. En plus, certains d’entre eux sont amenés à tenir plusieurs rôles. Il leur suffit d’adopter une gestuelle particulière et de prendre un accent (par exemple, paysan pour les parents de Jeanne, ou rouler les "r" pour le Connétable) et l’affaire est jouée ; et bien jouée… Ils sont dix et ils sont tous, chacun dans son ou ses registres, formidables. Toute la pièce – je l’ai formulé précédemment – est d’un très haut niveau sur le plan de la dramaturgie.

"L'Alouette" de Jean Anouilh © Lot.
"L'Alouette" de Jean Anouilh © Lot.
Malgré tout, il y a deux scènes qui, à mon goût, se détachent du lot et proposent un grand moment de comédie, l’une par son intensité, l’autre par son humour. La première, particulièrement haute en couleurs, est la confrontation entre Jeanne et Robert de Baudricourt. La seconde est le tête-à-tête primesautier entre la jeune Lorraine et son roi, le futur Charles VII ; on y frise le vaudeville. Ces deux scènes constituent une véritable gourmandise pour les amateurs de théâtre... Mais il y a également un chanoine pervers, un père frustre, un Anglais plein de morgue, une fiancée très chatte et très arriviste, une mère touchante de tendresse (quoi que...), une reine intrigante, un Cauchon pas tout à fait haïssable, un Inquisiteur rigide et bouffi de certitudes, un Boudousse savoureux... Bons, ils sont absolument tous bons.

La troisième raison de courir voir cette pièce – et non la moindre – est la prestation carrément magistrale de Sara Giraudeau. N’ayons pas peur des mots, on touche au divin. Complètement habitée, elle EST Jeanne. Quelle palette de jeu, quelle sensibilité et quel sens de l’humour ! De sa petite voix flûtée, elle raconte son épopée avec des accents teintés de candeur ou de bon sens. Lorsqu’elle évoque ses conversations avec l’Archange Saint Michel, elle restitue le dialogue en jouant sur deux tessitures, ce qui apporte de la force à l’échange. Jeanne est une parfaite ingénue. Guidée par sa foi, elle a le pardon facile. Son père la roue de coups ? Sous l’avalanche, elle prie pour lui. Tout au long de la pièce, elle s’en tiendra à cette confiance aveugle qu’elle porte au Très-Haut, à ses saints et à ses saintes. Si, par moments, le doute vient l’effleurer, elle le chasse d’un revers de credo. Même s’il semble la laisser tomber, Dieu – omniprésent pendant une heure trois-quarts – a toujours raison et elle accepte humblement son sort…

Pourtant, il arrive que la petite paysanne se dédouble soudain lorsqu’elle se trouve confrontée à un problème qui peut l’aider à accomplir l’entreprise qui lui a été confiée. Soudain, c’est la Missionnée qui prend le dessus. Cette attitude est flagrante quand elle doit convaincre ce soudard de Baudricourt. Elle apparaît alors matoise et rouée. Elle a une de ces façons de se le mettre dans sa poche ! Il ne voit rien venir. Elle le roule dans la farine, obtient tout ce qu’elle veut de lui sans rien lui offrir en échange et, le pire, c’est qu’il croit que c’est lui qui a tout manigancé. Au niveau de la persuasion insidieuse, c’est du grand art. Si cette scène est vraiment délicieuse, elle le doit aussi à la remarquable réplique que donne Joël Demarty à Sara Giraudeau…

"L'Alouette" de Jean Anouilh © Lot.
"L'Alouette" de Jean Anouilh © Lot.
Autre morceau de bravoure, la rencontre à Chinon avec Charles. Et là, il faut saluer le brio de Davy Sardou. De pièce en pièce, ce jeune homme ne cesse de révéler un immense talent et ce, dans tous les domaines. Ici, il excelle dans la drôlerie. Il campe un futur monarque puéril, futile, craintif et irresponsable, plus porté sur la gaudriole et le bilboquet que sur les affaires de son royaume. Il est irrésistible. Sa confrontation avec Jeanne, l’opposition des styles, est un véritable bonbon que l'on savoure en souriant.

Pendant près de deux heures, Sara Giraudeau est tout bonnement éblouissante. Elle a tout reçu au niveau des gènes et elle en fait le meilleur usage possible. Aujourd’hui, elle est devenue une incontournable de la scène française. C’est la quatrième fois que je la vois au théâtre, la quatrième fois que je suis bluffé et emballé. Elle sait absolument tout faire sans jamais donner l’impression de jouer tant elle s’approprie ses personnages.

Si, bien sûr, Sara Giraudeau tient la pièce sur ses charmantes épaules, ses neuf partenaires sont largement à la hauteur pour nous offrir un grand et beau moment de théâtre. En tout cas, Jean Anouilh aurait été sacrément fier de cette Alouette-là…

"L'Alouette"

"L'Alouette" de Jean Anouilh © Lot.
"L'Alouette" de Jean Anouilh © Lot.
Texte : Jean Anouilh.
Mise en scène : Christophe Lidon.
Assistante mise en scène : Natacha Garange.
Avec Sara Giraudeau (Jeanne d'Arc), Olivier Claverie (Le Promoteur), Stéphane Cottin (Warwick), Marie-Hélène Danède (La mère de Jeanne, la Reine Yolande), Joël Demarty (Beaudricourt, Le Connétable), François Dunoyer (le père de Jeanne, l’Inquisiteur), Jacques Fontanel (Boudousse), Maëlia Gentil (Agnès), Bernard Malaka (Cauchon), Davy Sardou (Charles).
Décor : Catherine Bluwal.
Costumes : Pascale Bordet.
Lumières : Marie-Hélène Pinon.

Spectacle du 23 mai au 28 juillet 2012.
Du mardi au samedi à 20 h 30, matinée samedi à 17 h 30.
Théâtre Montparnasse, Paris 14e, 01 43 22 77 74.
>> theatremontparnasse.com

Article publié en partenariat avec >> critikator

Gilbert Jouin
Jeudi 21 Juin 2012

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024