I am the wind © Simon Annand.
En entrant, le spectateur voit se déployer devant lui un immense plateau sur lequel stagne un énorme bassin d’eau grisâtre et boueuse. Du public, avant même que la scène prenne vie, des murmures se font déjà entendre. Chéreau a vu grand, comme d’habitude. Si on avait été en 1972, à l’époque de Massacre à Paris, Bertrand Poirot-Delpech (le grand critique du Monde, aujourd’hui disparu) ou Jean-Pierre Léonardini (L’Humanité) auraient dit qu’avec une équipe aussi nombreuse et un décor si onéreux, Chéreau a encore attrapé la folie des grandeurs… Continuerait-il à puiser dans les caisses de l’État bourgeois et à se repaître dans l’ostentatoire ? Mais bien entendu, nous ne sommes plus dans les années 1970. Et cette question est-elle encore d’actualité à l’ère où le spectacle vivant crève de faim ? Peu importe, puisque le Théâtre de la Ville est devenu depuis longtemps un long défilé de "bobos" avertis. Alors pourquoi dire si tout le monde acquiesce ?
Passons.
Passons.
I am the wind © Simon Annand.
L’eau a toujours été un élément très présent dans les mises en scène de Chéreau. Le scénographe Richard Peduzzi en sait quelque chose puisque c’est lui qui participait déjà aux centaines de mètres cubes d’eau déversés sur la scène de Villeurbanne (TNP) pour l’impressionnant Massacre à Paris. A priori, l’une et l’autre pièce n’ont rien à voir, ni dans leur thématique ni dans leur style, si ce n’est la présence de l’eau. Bourbier flottant, cloaque hideux, cette eau attire et effraie tout à la fois, elle est un cadre symbolique et réaliste. Comme dans un rêve.
Reconnaissons au moins cette qualité évidente que Chéreau ne peut laisser indifférent. Ses décors attaquent les sens (ici peut-être "l’essence" ?) et donne à voir une surprise étourdissante de beauté. Maintes fois, il l’a prouvé. Incontestablement, il est encore ici un grand peintre du théâtre, mais un peintre qui passe, au fil de ses mises en scène, du figuratif à l’abstrait, des grandes figures de l’Histoire à l’intensité violente et ténébreuse de l’homme moderne et de son vide sidéral.
Tableau d’eau, donc, d’une beauté fascinante, nous l’avons dit. Mais est-on bien capable d’expliquer tout à fait pourquoi ? Peut-être parce que Chéreau et Fosse, ensemble, arrivent à "ex-primer" le sentiment ahurissant de la vacuité, du manque et de l’immensité. En fait, dans cette histoire de "l’un" qui s’en va "avec le vent", de "l’autre" qui s’accroche et repousse tout à la fois ce vent de liberté, l’on voit se dresser l’homme moderne, condamné à errer dans ce vide sans fond. Et ce rêve, dérisoire et effrayant, procède de cette eau croupie, sorte d’élément témoin et réceptacle d’un suicide annoncé.
Reconnaissons au moins cette qualité évidente que Chéreau ne peut laisser indifférent. Ses décors attaquent les sens (ici peut-être "l’essence" ?) et donne à voir une surprise étourdissante de beauté. Maintes fois, il l’a prouvé. Incontestablement, il est encore ici un grand peintre du théâtre, mais un peintre qui passe, au fil de ses mises en scène, du figuratif à l’abstrait, des grandes figures de l’Histoire à l’intensité violente et ténébreuse de l’homme moderne et de son vide sidéral.
Tableau d’eau, donc, d’une beauté fascinante, nous l’avons dit. Mais est-on bien capable d’expliquer tout à fait pourquoi ? Peut-être parce que Chéreau et Fosse, ensemble, arrivent à "ex-primer" le sentiment ahurissant de la vacuité, du manque et de l’immensité. En fait, dans cette histoire de "l’un" qui s’en va "avec le vent", de "l’autre" qui s’accroche et repousse tout à la fois ce vent de liberté, l’on voit se dresser l’homme moderne, condamné à errer dans ce vide sans fond. Et ce rêve, dérisoire et effrayant, procède de cette eau croupie, sorte d’élément témoin et réceptacle d’un suicide annoncé.
I am the wind © Simon Annand.
Fascination aussi qui tient à l’étrangeté des mots et des dialogues, et aux mouvements qui s’y déploient de deux superbes comédiens : Tom Brooke et Jack Laskey. Oui, comme dit Cherreau, "ils sont rares", car ils arrivent à insuffler un rythme, une scansion à cette parole qui se répète sans cesse et qui flotte sur du rien pour atteindre l’absolu. Ils sont "l’un" et "l’autre", sans identité possible, parce qu’ils incarnent… ils sont la vêture de ceux qui surgissent du rien.
Cette eau si difficile à franchir, ce liquide verdâtre a été magnifiquement éventré par un radeau qui surgit des eaux. Le rêve n’a point de limite, il s’affranchit des frontières terrestres pour rejoindre l’irréalité permanente d’un cloaque flottant.
Chéreau pourra encore une fois être accusé d’esthétisme. Tout son spectacle se mue en une image superbe, un langage théâtral qui mêle le sublime au dérisoire. À sa façon, il essaie de nous montrer le monde tel qu’il le voit en portant au plus haut le verbe de Jon Fosse.
Cette eau si difficile à franchir, ce liquide verdâtre a été magnifiquement éventré par un radeau qui surgit des eaux. Le rêve n’a point de limite, il s’affranchit des frontières terrestres pour rejoindre l’irréalité permanente d’un cloaque flottant.
Chéreau pourra encore une fois être accusé d’esthétisme. Tout son spectacle se mue en une image superbe, un langage théâtral qui mêle le sublime au dérisoire. À sa façon, il essaie de nous montrer le monde tel qu’il le voit en portant au plus haut le verbe de Jon Fosse.
"I am the wind"
I am the wind © Simon Annand.
(Vu le 3 juin 2011)
Texte : Jon Fosse.
Texte anglais : Simon Stephens.
Texte publié à l’Arche Éditeur.
Anglais surtitré français.
Création du Théâtre de la Ville – Paris et du Young Vic – Londres.
Mise en scène : Patrice Chéreau.
Avec : Tom Brooke et Jack Laskey.
Collaboration artistique : Thierry Thieû Niang.
Décor : Richard Peduzzi.
Costumes : Caroline de Vivaise.
Lumières : Dominique Bruguière.
Conception sonore : Éric Neveux.
Durée : 1 h 10.
Du 15 au 18 juin :
Les Nuits de Fourvière, Lyon.
Du 30 juin au 3 juillet :
Festival grec, Barcelone.
Du 8 au 12 juillet :
Festival d’Avignon.
Texte : Jon Fosse.
Texte anglais : Simon Stephens.
Texte publié à l’Arche Éditeur.
Anglais surtitré français.
Création du Théâtre de la Ville – Paris et du Young Vic – Londres.
Mise en scène : Patrice Chéreau.
Avec : Tom Brooke et Jack Laskey.
Collaboration artistique : Thierry Thieû Niang.
Décor : Richard Peduzzi.
Costumes : Caroline de Vivaise.
Lumières : Dominique Bruguière.
Conception sonore : Éric Neveux.
Durée : 1 h 10.
Du 15 au 18 juin :
Les Nuits de Fourvière, Lyon.
Du 30 juin au 3 juillet :
Festival grec, Barcelone.
Du 8 au 12 juillet :
Festival d’Avignon.