La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Figaro divorce", une douce comédie qui boucle une trilogie de Figaro de manière sereine et attendrie

"Figaro divorce", Le Monfort Théâtre, Paris

Lorsque "Le Mariage de Figaro" est célébré le 27 avril 1784, il reste moins de sept ans d'insouciance avant que l'histoire de Figaro et de Suzanne ne vire. Sept ans de bonheur. Avec "Figaro divorce", porté par une connaissance rétrospective de l'Histoire qui éclaire sa propre perception pessimiste d'une année d'entre-deux-guerres (1936) convulsive, Ödön von Horváth reprend le fil de Beaumarchais…



© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Juste à l'avènement de la Révolution, lorsque les héros décident de suivre leurs maîtres en émigration, de l'autre côté de la frontière. Par fidélité. Sans mesurer les conséquences.

Là-bas le temps dure et passe, Almaviva, le comte dont le nom n'impressionne plus, finit en prison pour escroquerie, la comtesse meurt. De tristesse ? D'épuisement ? De la grippe ? Le rêve d'une nouvelle vie s'étiole. Entre le refus de l'enfant à naître et la trivialité du quotidien, la joie s'estompe. Le caractère de Figaro change et Suzanne déchante. C'est que Figaro, qui a appris de tout temps à survivre, s'adapte, reprend son ancien métier de barbier, se contorsionne, semble bien trop à l'aise dans un habit de petit bourgeois de sa ville d'adoption. Suzanne, qui a appris la douceur de vivre et le goût de l'élégance avec sa maîtresse, ne retrouve plus son homme et divorce après l'avoir trompé

En toute vraisemblance, le récit relate la succession des désillusions durant l'exil, décrit les bouffées de xénophobies des populations autochtones à l'encontre des personnages. Chacun perd son enfance, tous grandissent dans l'épreuve. L'aventure est semée de mélancolie, tutoie le drame. Les scènes, dans un effet de morcellement, glissent vers le sarcasme, relatent la descente de l'escalier des désillusions..

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Mais parce que les personnages, les caractères dessinés par Beaumarchais sont incroyablement forts, la pièce de Horváth garde en écho leur éternelle vitalité (1). Et "Figaro divorce" boucle une trilogie de Figaro de manière sereine (2). Elle est une comédie. Douce et attendrie, de celle qui s'empare des vieux couples regardant en arrière et constatant que leur vie fut à l'image de leur mariage : une seule folle et joyeuse journée, qui frôla la catastrophe et finit en chansons.

Dans une belle conclusion, Suzanne, la jolie camériste de la comtesse, et Figaro, enfant trouvé insolent, épris de liberté et amoureux, terminent leur vie, réconciliés à la tête d'un orphelinat. Fidèles à leur vie et à eux mêmes. Ayant su s'adapter aux circonstances.

Dans la mise en scène qu'il présente, Christophe Rauck appuie le jeu par le chant et la musique, renouant ainsi avec le souvenir du vaudeville, de l'opéra, du lied et du cabaret. À la fois précis, ferme et souple, rythmé. Bénéficiant de toutes les ressources des techniques actuelles de la scène, le jeu se développe dans toutes les dimensions. L'espace mental de la scène est débordé en toute efficacité vers Mozart ou Beaumarchais.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Les images captées en direct et projetées au lointain (que ce soit des gros plans ou des plans larges) évitent le piège d'effets maniéristes gratuits. Offrant à voir un autre angle de vue que celui du spectateur, appuyant des diagonales fortes, ces effets sont autant de raccourcis pris, autant de clins d'œil adressés au spectateur. Ainsi guidé, celui-ci entre dans la perception intime des protagonistes, perçoit sous les formes comme une couleur des sentiments, une forme de "colorature" visuelle intégrée. C'est une forme nouvelle du dévoilement et de la surprise qui est ainsi exprimée sans ostentation.

Dans une belle cohérence de distribution, le jeu, l'image et la voix s'équilibrent en une forme chantée parlée, montrée tout en légèreté et fermeté. Atteinte par la grâce. Le spectateur a le bonheur de lire la permanence des caractères, et leur plasticité devant les événements, leur éternelle jeunesse sous le désenchantement.

Avec ce "Figaro divorce", c'est tout un sens du théâtre qui affirme la fidélité sous les infidélités du moment.

(1) Mozart l'avait déjà bien compris qui fit du vaudeville de Beaumarchais un opéra.
(2) Avec "Figaro divorce", l'auteur boucle, d'une manière peut-être plus satisfaisante, la trilogie que Beaumarchais consacre à Figaro : "Le Barbier de Séville", "Le Mariage de Figaro", "La mère coupable". Cette dernière pièce, si peu jouée, est un drame très daté.

"Figaro divorce"

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Texte : Ödön von Horváth.
Traduction : Henri Christophe et Louis Le Goeffic.
Mise en scène : Christophe Rauck.
Avec : Jean-Claude Durand, Caroline Chaniolleau, John Arnold, Cécile Garcia Fogel, Jean-François Lombard, Marc Chouppart, Marc Susini, Flore Lefebvre des Noëttes, Pierre-Henri Puente, Guillaume Lévêque, Nathalie Morazin.
Dramaturgie : Leslie Six.
Scénographie : Aurélie Thomas.
Costumes : Coralie Sanvoisin.
Son : David Geffard.
Lumière : Olivier Oudiou.
Vidéo : Kristelle Paré.
Conseiller musical : Jérôme Correas.
Durée : 2 h 30.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Du 26 mai au 11 juin 2016.
Du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 16 h et vendredi 10 juin à 18 h 30.
Le Monfort Théâtre, Paris 15e, 01 56 08 33 88.
>> lemonfort.fr

Jean Grapin
Jeudi 2 Juin 2016

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024