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Théâtre

Avignon Off 2015 Quelques spectacles "coups de cœur" (suite)

Jean-Marie Piemme dit cette phrase que j'aime beaucoup : "Un théâtre n’est pas une épicerie (même fine). On n’y présente pas de produits ciblés que les consommateurs vont s’arracher". Dans cet hypermarché avignonnais, tachons de ne pas tout à fait nous comporter comme des épiciers et des consommateurs !



"Si ça va Bravo" ou un "théâtre pour temps de crise"

© DR.
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Dans ce "théâtre pour smartphones" (comme le dit lui-même Jean-Claude Grumberg), "Si ça va bravo" est un mélange de Dubillard, Devos, Ionesco… Un "collage" verbal "surréaliste" de formules ou de situations de la vie quotidienne. Entre frères ennemis et numéro de clowns, Renaud Danner et Étienne Coquereau font avec les mots de Grumberg un numéro d’équilibristes savoureux. D’un président tiré au sort au jeu d’acteur lui-même, en passant par la crise de "gigite", on navigue entre humour juif, racisme et absurdité totale.

À la direction d’acteurs, Johanna Nizard opte pour une manière de jouer face public. Ce choix judicieux accentue l’impression décalée et loufoque de chacune des situations. L’ensemble est drôle et rythmé.

Et pour jouer ces deux rôles, Renaud Danner et Étienne Coquereau ont intérêt à être bons. Et ça, sans aucun doute ! Dans ce ping-pong verbal où les corps s’entremêlent aussi parfois avec beaucoup de poésie, c’est dans un décor nu et sur une ligne jaune (souvent franchie) que nos deux compères rivalisent de talent.

"Si ça va Bravo"
Auteur : Jean-Claude Grumberg.
Mise en scène : Johanna Nizard.
Avec : Renaud Danner et Étienne Coquereau.
Son et Lumières : Othello Vilgard.
Chorégraphie : Marie Bonnet.
Costumes : Agnès Roland.
Compagnie Théâtre Java.
Durée : 1 h.

Avignon Off Du 4 au 26 juillet 2015.
Tous les jours à 12 h 30.
3 soleils, Salle 2, 4, rue Buffon, Avignon, 04 90 88 27 33.

"Mon amour fou" ou le récit d'un amour insensé...

© Sébastien Godefroy
© Sébastien Godefroy
Dans ce spectacle qui raconte aussi une urgence à écrire, à dire et à renaître d'une histoire qui lui a échappé, la comédienne Roxane Kaspersky s'empare à bras le corps de ce texte (son texte!) insensé et superbe. Ses mots haletants et respirés bouleversent jusqu'à l'intime. La maîtrise du jeu est assez impressionnante : elle suit le cours d'une pensée (souvent décousue) et qui tente parfois d'épouser, parfois de comprendre la folie de l'homme qui l'accompagne.

Le texte est déroutant. Il raconte l'histoire d'une jeune femme qui a accompagné un homme atteint de bipolarité pendant plusieurs années. Il est vrai que si parfois l'on parle des fous, il est rare qu'on raconte ce qu'endurent les proches. Ce texte à l'hurlécrire et bien singulier est poignant. On sent qu'il a été écrit avec un mélange d'encre noire et de larmes amères. Mais il n'est pas larmoyant pour autant et on pressent derrière ce beau travail, une direction d'acteur de la part de la metteure en scène Elsa Granat d'une précision remarquable.

"Mon amour fou"
Auteur : Roxane Kaspersky.
Mise en scène : Elsa Granat.
Avec : Roxane Kaspersky.
Assistantes à la mise en scène : Hélène Rencurel ou Rebecca Bonnet.
Création vidéo : Franck Guillemain.
Compagnie Tout Un Ciel.
Durée : 1 h 10.

Avignon Off Du 4 au 26 juillet 2015.
Tous les jours à 13 h 45.
Artéphile, 5 bis, rue du Bourg Neuf, Avignon, 04 90 03 01 90.

"Les enfants terribles" de la "E-Génération"

© DR.
© DR.
Ce spectacle de Jean-Christophe Dollé est mené tambour battant par une jeune équipe de comédiens très talentueuse. Ils incarnent avec humour et dérision ceux qu'on appelle les "geeks", ces dernières générations de connectés qui sont nées avec une oreillette de smartphone vissée à l'oreille. Mais au-delà de ce regard souvent parodique (et très drôle), des questions existentielles émergent et posent un constat mi-amusant mi-inquiétant sur ces connectés : "C'est quand même dingue qu'à l'époque du tactile les corps ne soient plus touchés".

Le jeu y est absurde mais il permet de questionner d'autant mieux une société où tout va très vite, où les rapports au corps, à la mémoire et à l'autre sont déplacés, et où chacun doit y trouver sa place... Et Dieu dans tout ça ? Michel Wikipédia et Bernard Google auraient-ils la primauté ? On y préfèrera les séparations "clé en main", les bagarres au ralenti et les conversations croisées par "texto" interposés. Ces jeunes comédiens, issus de l'école "les Enfants terribles", seront de nouveau en janvier en région parisienne. Économie oblige, ils ne sont que six sur la scène avignonnaise. Ils seront onze au théâtre de Bagneux. Un excellent spectacle à voir absolument avec vos ados !

"E-Génération"
Texte et mise en scène : Jean-Christophe Dollé.
Avec : Clément Chauvin, Eugénie Gendron, Nicolas Grand-Duc, Laure Le Rouzic, Chloé Machin, Nicolas Neunlist.
Chorégraphe : Magali B.
Costumière : Solenne Laffitte.
Lumière : François Leneveu.
Compagnie J'ai peur que ça raconte autre chose.
Durée 1 h 23.

Avignon Off Du 4 au 26 juillet 2015.
Tous les jours à 12 h.
Théâtre Le Grand Pavois, 13, rue de la Bouquerie, Avignon, 06 65 61 11 74.

Jeudi 23 Juillet 2015

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024