La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Jérôme Pouly, comédien magnétique pour un George Dandin charismatique

"George Dandin", Comédie-Française, Paris

Jérôme Pouly, sociétaire de la Comédie-Française et acteur familier de nos écrans, incarne le rôle-titre de "George Dandin" de Molière dans la mise en scène d'Hervé Pierre depuis quelques mois. Avec encore deux dates en province, puis la reprise le 18 mai au Théâtre du Vieux Colombier, ce spectacle encensé par la critique est à voir absolument. Nous avons eu envie d'aller à la rencontre de ce comédien puissant et charismatique.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Grand, débonnaire et porteur d'une remarquable barbe rousse - c'est pour le rôle de "George Dandin" - Jérôme Pouly nous accueille avec la simplicité bienveillante et le panache d'un Aïrolo (1). Quand il entre dans un espace, il en modifie significativement les lignes et les équilibres. C'est ce qu'on appelle le charisme. Il nous invite à visiter les coulisses de la Comédie-Française avant l'interview. La troupe de la vénérable maison, vraie ruche bruissante (son emblème) pour les ultimes répétitions de "La Mer" d'Edward Bond, l'interpelle en tous lieux joyeusement - comédiens, techniciens et habilleuses. Un peu comme un roi, un peu comme un camarade - la devise de la Maison de Molière n'est-elle pas "Simul et singulis" (2) ?

C'est dans sa loge quelque peu spartiate mais très ensoleillée en cet après-midi de mars que nous échangeons à bâtons rompus sur sa carrière au Français et ailleurs, sur le fonctionnement de la troupe mythique. Et du choix de sa loge justement, calme et un peu excentrée à un étage haut de la maison, "Un endroit de travail, de concentration et de repos indispensable". Le comédien y prépare ses rôles, seulement bercé par les rires des enfants jouant au milieu des colonnes de Buren. Chaque Comédien Français joue en moyenne cinq à sept pièces par an (chiffre à diviser par quatre ailleurs), une soixantaine de pensionnaires et sociétaires se partageant rôles premiers ou secondaires à un rythme soutenu.

© Stéphane Lavoué/Collection Comédie-Française.
© Stéphane Lavoué/Collection Comédie-Française.
Christine Ducq - Comment fait-on en terme d'énergie quand on est un Comédien-Français ?

Jérôme Pouly - C'est un exercice formidable et une hygiène de vie. Nous savons que parfois, pendant trois mois, nous allons jouer deux spectacles, sans compter les répétitions. Il faut donc se ménager, aller prendre l'air. Parfois nous ne jouons qu'une pièce et c'est alors le moment de se ressourcer.

Depuis quand êtes-vous sociétaire ?

Jérôme Pouly - Je suis entré au Français comme pensionnaire en 1998 et j'ai été élu sociétaire (3) en 2004 sur proposition de la Société des Comédiens-Français - avec l'habituel contrat de cinq ans renouvelable. Ce qui permet de s'inscrire de façon durable dans l'institution.

Cela vous traverse-t-il l'esprit parfois de quitter cette belle maison ?

Jérôme Pouly - Oui, naturellement. Nous y pensons tous et c'est sain. Le principe, c'est que nous pouvons être remerciés ou nous pouvons vouloir partir. Je ne refuse pas cette possibilité, même si je me sens très bien ici pour le moment. D'autant plus que quitter la Comédie-Française, c'est renoncer à un environnement artistique très riche où nous n'avons qu'à nous préoccuper de nos rôles. Renoncer peut-être à jouer Shakespeare ou Molière et renoncer à travailler avec des metteurs en scène de la trempe d'un Anatoli Vassiliev ou d'un Jacques Lassalle - des monstres du théâtre - n'est pas évident. Un jour, j'aurais peut-être d'autres aspirations et j'irai vers d'autres formes de théâtre - même si la Comédie-Française est désormais ouverte à de nombreuses esthétiques très variées.

Comment êtes-vous choisi pour tel rôle et telle pièce ? Par exemple, pour "George Dandin" que vous jouez actuellement ?

Jérôme Pouly - J'avais déjà travaillé avec Hervé Pierre et nous nous étions découverts. Quand il a lu "George Dandin", il s'est complètement retrouvé dans son personnage principal, du fait de ses origines et de son parcours. Il ne voulait la monter qu'avec moi car il m'avait immédiatement vu dans le personnage. Cela lui a pris deux ans.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
En général, de nombreux metteurs en scène connaissent bien la troupe, qui est forte et riche. Ils savent souvent qui ils veulent engager. Si ce n'est pas le cas, ils peuvent venir nous voir jouer dans les spectacles en cours ou visionner les DVD des pièces, puisqu'elles sont toutes filmées à la Comédie-Française.

L'Administrateur doit par ailleurs tenter de trouver un équilibre de troupe - et c'est compliqué. Tout le monde a priori est amené à jouer de forts et beaux rôles. Mais certains acteurs sont plus médiatiques que d'autres et peuvent être plus souvent choisis - même si tous dans cette maison sont excellents.

Quel est votre programme pour les mois à venir ?

Jérôme Pouly - Je joue, outre "George Dandin", dans "Cyrano de Bergerac", "Un Fil à la patte" et "Un Chapeau de paille d'Italie". "George Dandin" me prend quasiment six mois du fait de la tournée (qui s'achève, NDLR) et de sa reprise en mai au Vieux Colombier. Comme nous jouons à la suite de "George Dandin", "La Jalousie du Barbouillé", j'ai la chance d'avoir deux rôles-titres avec la responsabilité que suppose la conduite d'un spectacle de deux heures.

Cependant les rôles secondaires permettent de respirer et c'est excellent pour l'humilité de l'acteur ! Cela crée un magnifique équilibre car nous sommes amenés à donner seulement un petit trait de pinceau ou par moment à venir remplir la toile.

© Lot.
© Lot.
Votre "George Dandin" n'est pas si comique que cela, n'est-ce pas ?

Jérôme Pouly - Non, il est sombre. C'est pour cette raison que nous jouons juste après, "La Jalousie du Barbouillé", une farce qui est le troisième acte de "George Dandin" - sa genèse en fait, écrite vingt ans plus tôt par Molière. Au XVIIe siècle, "George Dandin" était considéré comme une farce puisque la figure d'un paysan parvenu était hautement improbable. Ce n'est plus le cas de nos jours et la farce est moins lisible. Imaginons qu'il s'agit d'un vigneron du Bordelais. Les procédés comiques molièresques sont toujours là mais ce que vit mon personnage - le fait d'avoir acheté une femme noble désargentée comme on achète du bétail - et le fait qu'il soit trompé ne le fait pas du tout rire. C'est un drame social et amoureux qui l'amène au suicide - il parle à la fin d'aller "se jeter dans l'eau la tête la première". Avec Hervé Pierre, nous sommes persuadés qu'il va mourir après le baisser de rideau.

Nous sommes bien dans une comédie "dramatique". Le fait de jouer ensuite "La Jalousie" avec ses lazzi façon commedia dell'arte et de réunir ainsi ces deux pièces permet au spectateur de prendre conscience du drame après coup, dans une sorte d'effet miroir. Il se rend compte que "Le Barbouillé" commence exactement comme le troisième acte de "George Dandin" mais dans un autre registre. L'identification est évidente.

Que ressentez-vous sur un plateau ? Pourquoi s'obliger à monter sur scène ?

Jérôme Pouly - Je me pose parfois la question, avec ce trac toujours incroyable ! Ce qui me plaît, c'est le collectif, la troupe - et voilà pourquoi je suis à ma place dans cette maison. Nous sommes là pour faire avancer la société - et nous-mêmes - grâce à ces auteurs qui sont des penseurs géniaux.

C'est ce que vous avez voulu dire, je vous cite "Un comédien est un artisan de sa propre humanité" ?

Jérôme Pouly - Exactement. Je n'ai pas fait d'études (4) donc je me suis nourri des auteurs. Ma vie, la réflexion que je peux avoir sur elle, s'enrichit de tous ces rôles et des œuvres.

© Lot.
© Lot.
(1) Aïrolo est le personnage principal de "Mangeront-ils ?" de Victor Hugo, un de ses rôles fétiches, qu'il a joué dans la production de Laurent Pelly au Théâtre national de Toulouse.
(2) "Simul et singulis" : être ensemble et être soi-même.
(3) Un pensionnaire, coopté par un des Comédiens-Français, a un contrat renouvelable d'un an. Les sociétaires, représentés par le Comité de la Société des Comédiens-Français (huit membres différents élus chaque année), participent activement aux décisions juridiques et artistiques de la maison.
(4) Jérôme Pouly, après avoir intégré pour trois ans la Classe Libre du Cours Florent (les connaisseurs apprécieront), a intégré le Conservatoire national d'art dramatique, après l'École nationale des arts et techniques du spectacle (ex Rue Blanche).


Interview réalisée le 3 mars 2016.

"George Dandin ou le Mari confondu" (1668)

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Suivi de "La Jalousie du Barbouillé".
Textes : Molière.
Mise en scène : Hervé Pierre.
Scénographie et costumes : Éric Ruf.
Lumières : Christian Dubet.
Musique originale : Vincent Leterme.
Travail chorégraphique : Cécile Bon.
Avec : Jérôme Pouly, Simon Eine, Catherine Sauval, Thierry Hancisse, Noam Morgensztern, Claire de La Rüe du Can, Pauline Mérenze.

20 mars 2016 : Le Reflet, Théâtre de Vevey, Vevey (Suisse).
30 mars 2016 : Théâtre Quintaou, Anglet (64).

Du 18 mai au 26 juin 2016.
Mardi à 19 h, du mercredi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h.
Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris 6e, 01 44 58 15 15.
>> comedie-francaise.fr

Christine Ducq
Mardi 15 Mars 2016

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024