La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Pour un oui ou pour un non" Un classique toujours aussi inclassable

Ils s'appellent H1, H2, H3 et F : trois hommes et une femme, innommés. Comme s'ils n'étaient pas tout à fait des personnages, des personnages entiers, mais plutôt des entités. Représentatifs de quelque chose ou morceaux, bris, débris. Pourtant, à mesure du défilement de la pièce, on découvre bien leurs personnalités, leurs unicités. Même si leurs échanges, leurs conflits mettent plus en jeu leurs actions que leurs sentiments, il y a dans le texte de cette pièce un entre-deux perpétuel, comme un fil tendu au-dessus de profondeurs de l'âme que l'on aperçoit, insondables.



© Photographies : Frank Vallet.
© Photographies : Frank Vallet.
L'histoire raconte une amitié entre deux hommes, mise en péril par un léger changement d'attitude et le soupçon que quelque chose a changé dans cette si belle, si longue et si pure amitié. Une amitié de toujours. Un froid, un non-dit que H1 exprime soudain, ce soir-là, chez son ami H2. Et cette question va déclencher toute l'expression de la pièce à force de souvenirs, de minuscules reproches, pas plus grands que des esquilles dans un plat généreux mais qui paraissent soudain révélateurs, dérangeants, jusqu'à l'insupportable. Un mot, un soupir, un silence entre un mot et un autre suffit alors à faire surgir le malaise, le doute, le soupçon.

Pourtant, il ne s'agit pas dans cette pièce d'une simple histoire d'amitié brisée par l'accumulation des petites vexations, des hontes dévoilées et des reproches jamais exprimés. La pièce "Art" de Yasmina Reza, entre autres, se charge de jouer sur l'anecdotique de cette situation. Le texte de Nathalie Sarraute décolle, lui, de la narration raisonnable et nous emporte soudain, avec cette intrigue extrêmement ténue, vers un moment de théâtre quasi pur.

© Photographies : Frank Vallet.
© Photographies : Frank Vallet.
Ce n'est pas ici un affrontement viril, vindicatif, mais une étreinte sensible, amicale, où la recherche du conflit est absente, et l'effroi de la rupture toujours présent. À ce jeu, qui n'en est pas un, il faut des interprètes et une mise en scène précis et puissants puisque, dans cette pièce, le silence lui-même doit être plein de bruits, de respirations et d'expansion.

Jeu de chaise pour la mise en scène de Tristan Le Doze. Une seule chaise pour les deux amis, trône inconfortable qui sera tour à tour occupé par l'un ou l'autre au cours d'une circulation de plateau qui respecte les distances entre les personnages mais constitue un parcours presque chorégraphique. Les deux comédiens qui interprètent H1 et H2, Gabriel Le Doze, Bernard Bollet, semblent deux conceptions de l'homme totalement différentes. L'un rugueux, sombre, l'autre plein d'aisance, lumineux, deux oppositions faites pour les deux rôles. À ces deux personnages s'ajoute l'apparition du couple voisin, venu en témoins convoqués de cette séparation d'amitié. Une fraîche et drôle intervention de Rémi Jouvain et Anne Plumet.

Des rôles construits dans le moindre détail, jusqu'au bout des ongles, avec talent, qui parviennent à nous laisser dans la réalité sans tomber dans le réalisme. Tant et si bien que l'on a soudain la sensation que ces deux amis sont comme les deux faces d'une pièce, les facettes opposées d'un seul être, indissociables.

"Pour un oui ou pour un non"

© Photographies : Frank Vallet.
© Photographies : Frank Vallet.
Texte : Nathalie Sarraute.
Mise en scène : Tristan le Doze.
Avec : Gabriel Le Doze, Bernard Bollet, Rémi Jouvain et Anne Plumet.
Scénographie : Morgane.
Lumières : Christophe Grelié.
Durée : 1 h 10.
Cie Antibea Théâtre.

Du 5 septembre au 23 novembre 2019.
Jeudi, vendredi et samedi à 19 h.
La Manufacture des Abbesses, Paris 18e, 01 42 33 42 03.
>> manufacturedesabbesses.com

Bruno Fougniès
Samedi 14 Septembre 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024