Lui est enseignant, au classicisme professoral et à la blouse grise, verve prolixe teintée d'humour bon enfant mais bien écrite, au débit volubile mais à la diction parfaitement maîtrisée. De ces cours magistraux qui vous donnaient l'impression d'être au théâtre.
Trente ans de transmission de cette double matière - "l'histoire-géo" - qui fit croire, sans humour, aux Africains que leurs ancêtres étaient gaulois. Méthode ex cathedra de l'enseignement public mais pas dénué d'une certaine souplesse du discours. Pour lui, c'est la der des der... On aurait tant aimé qu'il en fut de même pour la guerre.
Retour au foyer. Elle, dans une élégance ménagère mais d'un chic sobre, arrive pour le repas. Manière de conversation d'un couple expérimenté en période de conflits. Tensions. Préoccupations radiophoniques, attention au voisinage et vigilance des propos tenus et aux qu'en-dira-t-on.
Tous deux semblent peu enclin à soutenir le gouvernement du maréchal. Elle craint que cela se voie trop dans ses cours. L'administration est à la recherche des Juifs même dans l'enseignement.
Elle, dans un épanouissement presque abouti, travaille dans une agence de tournées musicales, activité au goût de challenge compte tenu des difficultés (et/ou compromissions) émergentes en temps de guerre.
Trente ans de transmission de cette double matière - "l'histoire-géo" - qui fit croire, sans humour, aux Africains que leurs ancêtres étaient gaulois. Méthode ex cathedra de l'enseignement public mais pas dénué d'une certaine souplesse du discours. Pour lui, c'est la der des der... On aurait tant aimé qu'il en fut de même pour la guerre.
Retour au foyer. Elle, dans une élégance ménagère mais d'un chic sobre, arrive pour le repas. Manière de conversation d'un couple expérimenté en période de conflits. Tensions. Préoccupations radiophoniques, attention au voisinage et vigilance des propos tenus et aux qu'en-dira-t-on.
Tous deux semblent peu enclin à soutenir le gouvernement du maréchal. Elle craint que cela se voie trop dans ses cours. L'administration est à la recherche des Juifs même dans l'enseignement.
Elle, dans un épanouissement presque abouti, travaille dans une agence de tournées musicales, activité au goût de challenge compte tenu des difficultés (et/ou compromissions) émergentes en temps de guerre.
De ce tableau conjugal en apparente normalité surgit une fêlure, au départ non dicible mais prenant petit à petit la forme fantomatique de l'absence de l'être disparu, de l'enfant perdu, du fils tué lors de la première, celle de 14-18, un matin à 10 h 15, trois-quarts d'heure avant l'armistice !
Un deuil non consumé nourri des braises de la colère qui prend sa source dans la falsification par l’état-major français de la date de mort des derniers combattants tombés le 11 novembre 1918 quelques minutes avant l’armistice dans le secteur de la Meuse alors que l'on connaissait depuis la veille l’heure exacte de la fin des hostilités : 11 h… Mais les ordres étaient d’attaquer l’ennemi jusqu’à la dernière minute. "Quelle connerie la guerre !" (1).
De cette puissante souffrance larvée, indicible, germe une folle vengeance, discrète, non dite mais ferme et définitive. Obligée par sa profession à fréquenter les infréquentables, devient veuve noire tissant la trame ultime d'une vie ayant perdu toute saveur.
Elle, chez les Allemands, coupe de champagne et poème - "Die Lorelei" (2) - aux lèvres. Dans une manière d'infiltration, dont le spectateur peine à voir les objectifs au début mais qui seront d'une clarté funeste au final, courtisée par une soldatesque cour d'officiers, elle fait un dos rond qui retrouvera sa droiture dans l'acte purificateur accompli.
Celui-ci interviendra dans une conclusion meurtrière et naturellement vengeresse d'une mère et d'un père qui n'auront jamais réussi à faire le deuil de leur enfant.
Un deuil non consumé nourri des braises de la colère qui prend sa source dans la falsification par l’état-major français de la date de mort des derniers combattants tombés le 11 novembre 1918 quelques minutes avant l’armistice dans le secteur de la Meuse alors que l'on connaissait depuis la veille l’heure exacte de la fin des hostilités : 11 h… Mais les ordres étaient d’attaquer l’ennemi jusqu’à la dernière minute. "Quelle connerie la guerre !" (1).
De cette puissante souffrance larvée, indicible, germe une folle vengeance, discrète, non dite mais ferme et définitive. Obligée par sa profession à fréquenter les infréquentables, devient veuve noire tissant la trame ultime d'une vie ayant perdu toute saveur.
Elle, chez les Allemands, coupe de champagne et poème - "Die Lorelei" (2) - aux lèvres. Dans une manière d'infiltration, dont le spectateur peine à voir les objectifs au début mais qui seront d'une clarté funeste au final, courtisée par une soldatesque cour d'officiers, elle fait un dos rond qui retrouvera sa droiture dans l'acte purificateur accompli.
Celui-ci interviendra dans une conclusion meurtrière et naturellement vengeresse d'une mère et d'un père qui n'auront jamais réussi à faire le deuil de leur enfant.
La pièce, grâce à un judicieux élément de décor transformable - tableau en table et vive versa, la simplicité alliée à l'efficacité scénographique ! - se déroule alternativement au lycée puis dans l’appartement du couple. Naît d'un événement en quête de mémoire dans l'environnement personnel de l'auteur, celle-ci, avec intelligence et adresse, relie étroitement des faits de la Première Guerre mondiale et de la Deuxième.
Le risque d'un académisme narratif guettait au coin de la redite commémorative… Mais non ! Car subtile, sensible interprétation, jeu maîtrisé, sans excès, sur le fil fragile de la colère retenue, des émotions contenues et d'une violence volontairement intériorisée, d'Isabelle Fournier et Philippe Bertin.
En soutien "pré technologique", la TSF, véritable troisième personnage, diffuse, avec une neutralité suisse de circonstance, aussi bien des programmes radios, des voix d’officiers allemands, des bruits de bombe, des ambiances de salon que des musiques d'époque au rythme du Hot Club de France et de ses deux maîtres Django et Grappelli.
Discrète mais réelle réussite sur tous les tableaux, de la mise en scène à l'interprétation, en passant par la scénographie. Une discrétion qui pu être à l'époque une forme revendicative et résistante.
"Quelle connerie la guerre !", une interjection qui prend ici toute sa valeur tant cette dernière semble toujours avoir développé son art nocif, entretenant une permanence temporelle idiote et dévastatrice dont la récurrente actualité nous rit toujours au nez à la manière d'un diable vicieux sortant sans cesse de sa boîte !
(1) Je me suis permis cet emprunt à "Barbara" de Jacques Prévert ("Paroles", 1946).
(2) Du poète Heinrich Heine (1797-1856).
Le risque d'un académisme narratif guettait au coin de la redite commémorative… Mais non ! Car subtile, sensible interprétation, jeu maîtrisé, sans excès, sur le fil fragile de la colère retenue, des émotions contenues et d'une violence volontairement intériorisée, d'Isabelle Fournier et Philippe Bertin.
En soutien "pré technologique", la TSF, véritable troisième personnage, diffuse, avec une neutralité suisse de circonstance, aussi bien des programmes radios, des voix d’officiers allemands, des bruits de bombe, des ambiances de salon que des musiques d'époque au rythme du Hot Club de France et de ses deux maîtres Django et Grappelli.
Discrète mais réelle réussite sur tous les tableaux, de la mise en scène à l'interprétation, en passant par la scénographie. Une discrétion qui pu être à l'époque une forme revendicative et résistante.
"Quelle connerie la guerre !", une interjection qui prend ici toute sa valeur tant cette dernière semble toujours avoir développé son art nocif, entretenant une permanence temporelle idiote et dévastatrice dont la récurrente actualité nous rit toujours au nez à la manière d'un diable vicieux sortant sans cesse de sa boîte !
(1) Je me suis permis cet emprunt à "Barbara" de Jacques Prévert ("Paroles", 1946).
(2) Du poète Heinrich Heine (1797-1856).
"Trois quarts d'heure avant l'armistice"
Texte : Philippe Sabres.
Metteur en scène : Philippe Sabres.
Avec : Isabelle Fournier, Philippe Bertin.
Scénographie : Olivier de Logivière.
Lumières : Laurent Schneegans.
Son : Thibaud Lalanne.
Atelier Septembre de Création Théâtrale.
Durée : 1 h 25.
Du 24 août au 18 novembre 2017.
Jeudi, vendredi, samedi à 19 h 30.
Essaïon Théâtre, Paris 4e, 01 42 78 46 42.
>> essaion-theatre.com
Metteur en scène : Philippe Sabres.
Avec : Isabelle Fournier, Philippe Bertin.
Scénographie : Olivier de Logivière.
Lumières : Laurent Schneegans.
Son : Thibaud Lalanne.
Atelier Septembre de Création Théâtrale.
Durée : 1 h 25.
Du 24 août au 18 novembre 2017.
Jeudi, vendredi, samedi à 19 h 30.
Essaïon Théâtre, Paris 4e, 01 42 78 46 42.
>> essaion-theatre.com