La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Le Grand Inquisiteur" De la brûlante clairvoyance de Fiodor Dostoïevski, faire théâtre

Une scène courte mais forte du roman "Les Frères Karamazov" sert de ventre narratif au "Grand Inquisiteur". Il s'agit d'un échange entre deux des frères, Alexis et Yvan, durant lequel ce dernier raconte le poème qu'il est en train d'écrire sur une idée : le Christ revient sur terre au moment de l'Inquisition espagnol, à Séville, au pire moment de l'intolérance religieuse perpétrée par le catholicisme.



© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Cette scène a, depuis un siècle et demi, suscité de nombreux commentaires, analyses… vision prophétique annoncée des terreurs du XXe siècle mais, aussi et surtout, une notion de l'humain qui, loin de toute idéalisation, le rend à sa triste condition réelle : créature prête à sacrifier toute liberté pour la promesse du bonheur. Mais ceci n'est qu'une infime partie des pensées parcourues dans le texte du génial auteur russe.

"Nous avons corrigé Ton œuvre et nous l'avons fondée sur le miracle, le mystère et sur l'autorité." Le Grand Inquisiteur.

Sylvain Creuzevault aborde, comme à son habitude, cette nouvelle mise en scène avec une énergie féroce. À ce texte sombre au rictus amer, il ajoute la farce. Celle qui, de notre confortable fenêtre lointaine, paraît avoir été jouée par certains tyrans du XXe siècle. C'est ainsi que loin de Séville et du quinzième siècle, ce sont les sosies fantasques de Staline, Marx, Hitler, et Margaret Thatcher accompagnée de Donald Trump en duo comique, un peu pitoyable, qui débarquent. Sans oublier le pape et, en observateur pensif, Heiner Müller.

Un barnum de figures qui tranche par ses humeurs décalées avec le texte mais qui agit comme une illustration contemporaine des mots de Dostoïevski. Une manière de dénoncer et de démasquer les grands inquisiteurs de notre époque, ceux qui, sous couvert de promesses et de mensonges, volent toutes les libertés. Un message louable, et il est vrai que l'actualité fait surgir des étincelles quand elle se frotte à ce texte.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Une actualité qui fut d'ailleurs à l'origine même de ce spectacle. Sylvain Creuzevault était, en fait, en plein travail de création sur "Les Frères Karamazov" quand arriva la pandémie du Covid-19. L'idée de monter ce préambule au spectacle (qui sera créé en novembre également à l'Odéon) est née de cette sidération devant ce qui tombait soudain sur la planète.

"Nous avons ressenti que l'ensemble de la production sociale, fondée sur les capacités industrielles de production mondialisée, nous éloignait à ce point de nous-mêmes qu'il a fallu le grand retour de la mort en vrai pour nous faire prendre conscience des forces de la vie, et que du désir en nous n'était pas machinisable, ne serait plus machinisé." Sylvain Creuzevault.

Sur scène, cette collision entre pensées, sensations et informations donne la forme du désordre voulu par le metteur en scène dans le but de mieux rendre ce qui pourrait apparaître comme un chaos ou l'exploration d'un chaos chez Dostoïevski. On se retrouve finalement en face d'une totale théâtralité burlesque et frontale que nos âmes ont du mal à croire et à entendre.

"Le Grand Inquisiteur"

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
D'après Fiodor Dostoïevski.
Traduction : André Markowicz.
Adaptation et mise en scène : Sylvain Creuzevault.
Avec : Nicolas Bouchaud, Sylvain Creuzevault, Servane Ducorps, Vladislav Galard, Arthur Igual, Sava Lolov, Frédéric Noaille, Blanche Ripoche, Sylvain Sounier
Musiciens : Sylvaine Hélary, Antonin Rayon.
Dramaturgie : Julien Allavena.
Scénographie : Jean-Baptiste Bellon.
Lumière : Vyara Stefanova.
Création musique : Sylvaine Hélary et Antonin Rayon.
Costumes : Gwendoline Bouget.
Maquillage : Mityl Brimeur et Judith Scotto.
Masques : Loïc Nébréda.
Son : Michaël Schaller.
Vidéo : Valentin Dabbadie.
Durée : 1 h 45.

Du 25 septembre au 18 octobre 2020.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h. Relâche dimanche 11 octobre.
Odéon-Théâtre de l'Europe, Paris 6e, 01 44 85 40 40.
>> theatre-odeon.eu

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.

Bruno Fougniès
Mardi 6 Octobre 2020

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024