Célèbre depuis son "Opéra de Quat'sous" créé en 1928 au Deutsches Theater de Max Reinhardt, Bertold Brecht se voit cinq ans après contraint d'emprunter les routes de l'exil, alors que les Nazis viennent d'arriver au pouvoir, interdisant son œuvre avant de la brûler par autodafé le 10 mai 1933. Il a trente-six ans en 1934 quand il manifeste à Walter Benjamin son envie d'écrire sur l'ascension d'Adolf Hitler et de sa clique. Sans suite.
Un voyage en Amérique en 1935 (1) le pousse à s'intéresser au genre du film noir de gangster, alors à son apogée (2), et le parallèle entre ces mondes se révèle enfin fécond en 1941 - alors que le dramaturge allemand est en attente de son visa pour les USA. Espérant intéresser les Américains à sa pièce, "un show pour Broadway", il écrit une première version de "La Résistible Ascension d'Arturo Ui" en quelques semaines, de mars à avril.
Alors que les magnats du Trust du Chou-fleur ont corrompu le maire de Chicago, le vieil Hindsborough, Arturo Ui et sa mafia réussissent au prix du chantage, de la propagande et du meurtre à infiltrer puis à prendre la tête dudit trust et de la ville. Après un règlement de compte interne qui vise l'élimination de son lieutenant Ernesto Roma avec le soutien des deux autres, Giuseppe Gobbola (marchand de fleurs) et Manuele Gori, Arturo Ui parviendra à s'emparer de la ville voisine, Cicero - prélude à d'autres conquêtes sanglantes.
Un voyage en Amérique en 1935 (1) le pousse à s'intéresser au genre du film noir de gangster, alors à son apogée (2), et le parallèle entre ces mondes se révèle enfin fécond en 1941 - alors que le dramaturge allemand est en attente de son visa pour les USA. Espérant intéresser les Américains à sa pièce, "un show pour Broadway", il écrit une première version de "La Résistible Ascension d'Arturo Ui" en quelques semaines, de mars à avril.
Alors que les magnats du Trust du Chou-fleur ont corrompu le maire de Chicago, le vieil Hindsborough, Arturo Ui et sa mafia réussissent au prix du chantage, de la propagande et du meurtre à infiltrer puis à prendre la tête dudit trust et de la ville. Après un règlement de compte interne qui vise l'élimination de son lieutenant Ernesto Roma avec le soutien des deux autres, Giuseppe Gobbola (marchand de fleurs) et Manuele Gori, Arturo Ui parviendra à s'emparer de la ville voisine, Cicero - prélude à d'autres conquêtes sanglantes.
Parabole grinçante sur les méthodes de prise de pouvoir des criminels nazis, la pièce ne sera pas jouée du vivant de Brecht. Elle sera créée en Allemagne de l'Ouest deux ans après sa mort, puis reprise à l'Est au Berliner Ensemble - compagnie créée par le dramaturge après son expulsion des Etats-Unis en 1949 pour marxisme par la Commission des Affaires anti-américaines.
La pièce pose en outre les bases de la théorie brechtienne de la "distanciation", cette mise à mort de l'illusion théâtrale traditionnelle, qui permet à un public de réfléchir et de se saisir pédagogiquement de la fable pour son éducation politique. C'est ainsi que l'ascension d'Arturo Ui" est "résistible" : renseignées, les masses pourraient l'empêcher dans une Histoire tragique qui se répète.
L'actualité de ce cauchemar, avec le péril d'une extrême-droite aux portes du pouvoir en Europe et ailleurs, motive évidemment la décision d'Eric Ruf de programmer la pièce dans la grande maison - outre sa quasi perfection d'écriture (3) - avec l'intention de "revenir à la source" de l'œuvre "par le lien du plateau, des acteurs" et en choisissant de confier la mise en scène à Katharina Thalbach, figure éminente de la scène allemande.
Avec le scénographe Ezio Toffolutti, elle choisit la transposition symbolique d'une énorme toile qui enserre le plateau. Un plateau figurant en pente un plan de la ville de Chicago, une maison close ou les hangars où se déroule le drame, espaces sur lesquels le gang d'Arturo Ui étend ses filets, avec la complicité des hommes politiques et du monde des affaires.
La pièce pose en outre les bases de la théorie brechtienne de la "distanciation", cette mise à mort de l'illusion théâtrale traditionnelle, qui permet à un public de réfléchir et de se saisir pédagogiquement de la fable pour son éducation politique. C'est ainsi que l'ascension d'Arturo Ui" est "résistible" : renseignées, les masses pourraient l'empêcher dans une Histoire tragique qui se répète.
L'actualité de ce cauchemar, avec le péril d'une extrême-droite aux portes du pouvoir en Europe et ailleurs, motive évidemment la décision d'Eric Ruf de programmer la pièce dans la grande maison - outre sa quasi perfection d'écriture (3) - avec l'intention de "revenir à la source" de l'œuvre "par le lien du plateau, des acteurs" et en choisissant de confier la mise en scène à Katharina Thalbach, figure éminente de la scène allemande.
Avec le scénographe Ezio Toffolutti, elle choisit la transposition symbolique d'une énorme toile qui enserre le plateau. Un plateau figurant en pente un plan de la ville de Chicago, une maison close ou les hangars où se déroule le drame, espaces sur lesquels le gang d'Arturo Ui étend ses filets, avec la complicité des hommes politiques et du monde des affaires.
Comme dans le texte de Brecht, des panneaux rythment les différentes péripéties de cette ascension maléfique en rappelant les événements historiques qu'elles transposent : avènement de Hitler à la chancellerie grâce au chantage effectué sur le président Hindenburg, incendie du Reichstag, élimination du chef des SA Ernest Röhm puis du chancelier autrichien Dollfuss, entre autres.
Conservant les références aux années trente, Katharina Thalbach utilise le maquillage expressionniste, les costumes du film noir et tous les attributs du théâtre de foire pour rendre lisible la parabole, sans renoncer à la noirceur du "grand style" voulu par Brecht, avec ses scènes tout droit inspirées par Shakespeare ("Richard III", "Macbeth") ou Goethe ("Faust").
Comment les acteurs du Français se coulent-ils dans les oripeaux de ces grotesques, aussi comiques qu'inquiétants ? Toute la troupe y prend manifestement un malin plaisir. Bruno Raffaelli (Hinsborough) cultive le double sens évoquant notre actualité ("Oui, j'ai fait une erreur mais je ne suis pas coupable").
Conservant les références aux années trente, Katharina Thalbach utilise le maquillage expressionniste, les costumes du film noir et tous les attributs du théâtre de foire pour rendre lisible la parabole, sans renoncer à la noirceur du "grand style" voulu par Brecht, avec ses scènes tout droit inspirées par Shakespeare ("Richard III", "Macbeth") ou Goethe ("Faust").
Comment les acteurs du Français se coulent-ils dans les oripeaux de ces grotesques, aussi comiques qu'inquiétants ? Toute la troupe y prend manifestement un malin plaisir. Bruno Raffaelli (Hinsborough) cultive le double sens évoquant notre actualité ("Oui, j'ai fait une erreur mais je ne suis pas coupable").
Laurent Stocker est un brillant Arturo Ui, pantin agité et monstre ridicule. Il est grandiose de bout en bout : dans sa leçon de rhétorique face au comédien ivre que joue avec son talent habituel Michel Vuillermoz ou dans la façon dont il incarne le verbe hystérique menaçant ses adversaires d'un tyran de plus en plus habile. Sinueux, mégalomaniaque et pathétique, il est autant Richard III (tentant de séduire Betty Dollfoot, cette nouvelle Lady Ann) que le dictateur ridicule du film de Charlie Chaplin.
Un grand comédien excellemment secondé par le Gobbola de Jérémy Lopez. Celui-ci, solide et subtil, impressionne en parvenant à donner à son personnage la séduction d'un nervi façon "Scarface" (celui de Hawks), et les repoussantes contorsions d'un serpent - capable de très bien chanter dans ce spectacle qui tient aussi du "musical". Faculté qui n'est guère partagée, reconnaissons-le. Il n'a guère de challenger sérieux même dans une troupe d'un tel niveau.
Il est vrai que Thierry Hancisse nous bouleverse aussi en Ernesto Roma alors que son fantôme revient hanter le mentor adoré qui l'a trahi - Arturo Ui, ce nouveau Macbeth torturé par ses cauchemars. Cette "Résistible Ascension" n'est donc à manquer sous aucun prétexte, tant sa force de dévoilement et son pouvoir de démythification restent singulièrement entiers ici. Elle nous est exactement contemporaine.
(1) Invité à suivre la création Outre-Atlantique de "La Mère", Brecht se voit rapidement interdit de répétitions.
(2) "Little Caesar" (Mervyn Le Roy), "The Public Enemy" (William Wellman), "Scarface" (Howard Hawks) par exemple, tous vus par Brecht. Lui-même participera à l'écriture de quelques scénarios à Hollywood après son arrivée en juillet 1941, dont un réalisé par Fritz Lang ("Les Bourreaux meurent aussi").
(3) Avec le choix heureux de la première version du Prologue, celle de 1941 et non de l'édition allemande de référence, qui permet au Bonimenteur une présentation savoureuse des protagonistes.
Spectacle vu le 5 avril 2017.
Un grand comédien excellemment secondé par le Gobbola de Jérémy Lopez. Celui-ci, solide et subtil, impressionne en parvenant à donner à son personnage la séduction d'un nervi façon "Scarface" (celui de Hawks), et les repoussantes contorsions d'un serpent - capable de très bien chanter dans ce spectacle qui tient aussi du "musical". Faculté qui n'est guère partagée, reconnaissons-le. Il n'a guère de challenger sérieux même dans une troupe d'un tel niveau.
Il est vrai que Thierry Hancisse nous bouleverse aussi en Ernesto Roma alors que son fantôme revient hanter le mentor adoré qui l'a trahi - Arturo Ui, ce nouveau Macbeth torturé par ses cauchemars. Cette "Résistible Ascension" n'est donc à manquer sous aucun prétexte, tant sa force de dévoilement et son pouvoir de démythification restent singulièrement entiers ici. Elle nous est exactement contemporaine.
(1) Invité à suivre la création Outre-Atlantique de "La Mère", Brecht se voit rapidement interdit de répétitions.
(2) "Little Caesar" (Mervyn Le Roy), "The Public Enemy" (William Wellman), "Scarface" (Howard Hawks) par exemple, tous vus par Brecht. Lui-même participera à l'écriture de quelques scénarios à Hollywood après son arrivée en juillet 1941, dont un réalisé par Fritz Lang ("Les Bourreaux meurent aussi").
(3) Avec le choix heureux de la première version du Prologue, celle de 1941 et non de l'édition allemande de référence, qui permet au Bonimenteur une présentation savoureuse des protagonistes.
Spectacle vu le 5 avril 2017.
"La Résistible Ascension d'Arturo Ui"
Texte : Bertold Brecht.
Traduction : Hélène Mauler et René Zahnd.
Mise en scène : Katharina Thalbach.
Avec : Thierry Hancisse (Ernesto Roma), Eric Génovèse (Flake et Greenwood), Bruno Raffaelli (le Vieil Hindsborough), Florence Viala (Dockdaisy et Betty Dollfoot), Jérôme Pouly (Clark et le Médecin), Laurent Stocker (Arturo Ui), Michel Vuillermoz (le Comédien et le Juge), Serge Bagdassarian (Manuele Gori), Bakary Sangaré (le bonimenteur et Hook), Nicolas Lormeau (le jeune Hindsborough et Ignace Dullfoot), Jérémy Lopez (Giuseppe Gobbola), Nâzim Boudjenah (Sheet, O’Casey, le Procureur et le Prêtre), Elliot Jenicot (Butcher et Bowl), Julien Frison (le jeune Inna et l’accusé Fish).
Et les comédiens de l'Académie.
Scénographie et costumes : Ezio Toffolutti.
Lumières : François Thouret.
Travail chorégraphique : Gysleïn Lefever.
Son : Jean-Luc Ristord.
Arrangements musicaux : Vincent Leterme.
Collaboration artistique : Léonidas Strapatsakis
Assistanat à la mise en scène : Ruth Orthmann
Durée : 2 h 10 environ.
Du 1er avril au 30 juin 2017.
En alternance, matinée 14 h, soirée 20 h 30.
Comédie-Française, Salle Richelieu, Paris 1er, 01 44 58 15 15.
>> comedie-francaise.fr
Traduction : Hélène Mauler et René Zahnd.
Mise en scène : Katharina Thalbach.
Avec : Thierry Hancisse (Ernesto Roma), Eric Génovèse (Flake et Greenwood), Bruno Raffaelli (le Vieil Hindsborough), Florence Viala (Dockdaisy et Betty Dollfoot), Jérôme Pouly (Clark et le Médecin), Laurent Stocker (Arturo Ui), Michel Vuillermoz (le Comédien et le Juge), Serge Bagdassarian (Manuele Gori), Bakary Sangaré (le bonimenteur et Hook), Nicolas Lormeau (le jeune Hindsborough et Ignace Dullfoot), Jérémy Lopez (Giuseppe Gobbola), Nâzim Boudjenah (Sheet, O’Casey, le Procureur et le Prêtre), Elliot Jenicot (Butcher et Bowl), Julien Frison (le jeune Inna et l’accusé Fish).
Et les comédiens de l'Académie.
Scénographie et costumes : Ezio Toffolutti.
Lumières : François Thouret.
Travail chorégraphique : Gysleïn Lefever.
Son : Jean-Luc Ristord.
Arrangements musicaux : Vincent Leterme.
Collaboration artistique : Léonidas Strapatsakis
Assistanat à la mise en scène : Ruth Orthmann
Durée : 2 h 10 environ.
Du 1er avril au 30 juin 2017.
En alternance, matinée 14 h, soirée 20 h 30.
Comédie-Française, Salle Richelieu, Paris 1er, 01 44 58 15 15.
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