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Théâtre

"Les Fâcheux" La comédie-ballet, invention de Molière, reinventée aux Nocturnes de Grignan

Avec "Les Fâcheux", Molière invente. La pièce, commandée juste avant sa disgrâce par Nicolas Fouquet (surintendant des finances) pour une grande fête offerte au "Roi-Soleil" dans son château de Vaux-le-Vicomte, la pièce fait partie des magnificences dévoilées aux yeux du jeune monarque de 23 ans. Tous les métiers d'art et de plaisir de l'époque ont été employés par Fouquet : l'architecture de Louis Le Vau, les peintures de Le Brun, le jardin à la française de Le Nôtre, le plaisir des papilles de Vatel pour ne citer qu'eux. Tout est fait pour éblouir, charmer, impressionner la cour de 600 personnes qui y fit le déplacement ce 18 août 1661.



© Jean Delmarty.
© Jean Delmarty.
Dans cet étalage somptueux et moderne qui sera néfaste au surintendant puisqu'il provoquera la jalousie du Roi-Soleil, Molière n'est pas en reste. Accompagné de Lully pour la musique et de Beauchamp (à la chorégraphie et la composition d'une bonne partie des airs), il présente dans les jardins du château une comédie d'un nouveau genre, du jamais vu dans la Paris de cette époque, une création dont le but est de séduire l'âme et l'esprit autant que les yeux et les oreilles : la première comédie-ballet.

Trois actes, un orchestre et des danseurs pour les trois intermèdes chorégraphiés, et un feu d'artifice pour clore la représentation, voilà le cocktail qu'il présente comme divertissement à cette grande soirée. Molière sait la passion que le jeune Louis XIV ressent pour la danse. Ce dernier se mettra souvent en scène dans des ballets qu'il offre aux regards de la cour. Ce premier théâtre mêlant jeu, musique et danse a dû forcément lui plaire. La Fontaine, présent à la fête, parle de cette soirée comme un émerveillement.

© Jean Delmarty.
© Jean Delmarty.
La trame de la pièce est toute simple puisqu'elle se construit sur le comique de répétition classique du héros empêché par une série de rencontres inopportunes, un schéma rebattu dans la commedia dell'arte. Ici, le héros, Éraste est arrêté tout au long de la pièce par toutes sortes de rencontres d'impertinents alors qu'il cherche à rejoindre celle qu'il convoite, la belle Orphise.

Molière se sert de ce levier comique pour dresser une galerie de portraits drôles et cruels qui sont directement inspirés de ses contemporains à la cour et à la ville : pédants, plaintifs, intrigants, vantards, joueurs… tous ont en commun une suffisance, une conscience d'eux-mêmes boursouflée, un ego surdimensionné. Ainsi, malgré le ton résolument divertissant, Molière continue ce qu'il a entamé avec les "Princesses Ridicules" et poursuivi avec "L'École des maris". La pièce tend un miroir grossissant à tout ce monde qui rit des travers qu'elle reconnaît bizarrement uniquement chez les autres.

Metteure en scène du spectacle, Julia de Gasquet, est une émérite spécialiste de la littérature du XVIIe siècle. Spécialiste également de la déclamation baroque, elle a décidé de rendre moderne "Les Fâcheux" tout en insufflant dans sa mise en scène suffisamment d'éléments pour donner une idée du spectacle donné par la troupe du roi à sa création dans les jardins de Vaux-le-Vicomte. L'orchestre reprend les partitions originales adaptées au nombre d'instruments qui sont, eux aussi, de l'époque baroque, les danses sont calquées sur celles créées par Beauchamp en 1661, les costumes sont le fruit de recherches iconographiques, devant cette façade du château de Grignan derrière lequel le soleil décline pour que le ciel nocturne se déploie, on entend au loin l'écho de l'Histoire.

© Jean Delmarty.
© Jean Delmarty.
Pour ce qui est des comédiens, Julia de Gasquet (elle-même sur scène dans un petit rôle) les dirige de façon beaucoup plus moderne, assumé, mettant parfois en jeu le public, insérant des répliques clins d'œil qui font mouche, se moquant des protocoles des rencontres entre gens de la haute de l'époque. Dans cette mise en scène, la farce passe au second plan pour privilégier le plaisir visuel, la musique et l'intelligence des intentions critiques de Molière sur son époque.

On peut saluer la jolie performance de Thomas Cousseau qui se glisse dans les peaux des sept principaux Fâcheux rencontrés par Éraste avec une énergie et un sens comique développé ainsi que les ballets gracieux et rafraîchissants de Jehanne Baraston, Pierre-François Dollé sur les mélodies joyeuses de l'orchestre.

Avec cette première comédie-ballet, Molière rêvait peut-être de créer le mythique spectacle total, "Les Fâcheux" des Nocturnes de Grignan donnent une belle idée de cette quête, d'autant plus justifiée que les murs de ce château où mourut madame de Sévigné avaient leur faste aux mêmes heures que celui du château de Vaux-le-Vicomte, à quelques encablures près.

"Les Fâcheux"

© Jean Delmarty.
© Jean Delmarty.
Mise en scène : Julia de Gasquet.
Chorégraphie : Pierre-François Dollé.
Dramaturgie : Marie Bouhaïk-Gironès, chercheuse et spécialiste des théâtres anciens.
Comédiens : Thomas Cousseau, Julia de Gasquet, Adrien Michaux, Alexandre Michaud, Mélanie Traversier et la voix de François Marthouret.
Danseurs : Jehanne Baraston, Pierre-François Dollé, en alternance avec Akiko Veaux (du 11 au 26 juillet et le 6 août).
Musiciens : Lena Torre (basse de violon, violoncelle piccolo), en alternance avec Sumiko Hara (du 15 au 20 août) ; Julián Rincón (flûte à bec et basson baroque), en alternance avec Felipe Jones (du 20 au 22 juillet, 5 et 6 août, du 15 au 20 août) ; Danican Papasergio (violon baroque).
Direction Musicale : Anne Piéjus, chercheuse et musicologue, éditrice de la pièce dans la bibliothèque de la Pléiade.
Scénographie : Adeline Caron.
Création Lumières : Nathalie Perrier.
Costumes : Julia Brochie.
Maquillage : Mathilde Benmoussa.
Son : Antoine Bouhaïk.
Production La Compagnie de la Chamade.
Durée : 1 h 40.
À partir de 8 ans.

Fêtes Nocturnes de Grignan 2022
Du 27 juin au 20 août 2022.
Du lundi au samedi à 21 h. Sauf du 3 au 9 juillet, le 12 juillet, les 29 et 30 juillet, le 8 août.
Château de Grignan, Grignan, Drôme.
Réservations : 04 75 91 83 65.
>> chateaux-ladrome.fr

Bruno Fougniès
Jeudi 30 Juin 2022

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