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Avignon 2025

•Off 2025• "L'Étrangère", une relecture originale de Camus et un bel hommage à la transmission et au regard neuf et aiguisé de la jeunesse

C'est un double récit qui se combine, se tisse et s'imbrique tout au long de la représentation de la pièce. Le premier de ces récits se déroule en temps réel sur scène entre un professeur de français et l'unique élève qui s'est déplacée pour venir à son cours. Le second récit va parcourir les péripéties du texte d'Albert Camus et nous en faire revivre une partie des scènes marquantes.



© Gilbert Scotti.
© Gilbert Scotti.
Une partie seulement (et des extraits du texte original finement insérés et interprétés dans la pièce), car il s'agit ici pour le professeur et son élève de survoler l'œuvre en partant d'un point de vue particulier, celui de Marie Cardona, la compagne durant le temps du livre du héros de l'Étranger, Meursault. Elle n'est dans l'histoire qu'un second rôle, et pourtant, elle est d'un bout à l'autre du livre, témoin, souvent proche de l'action, jusqu'au procès qui va condamner Meursault.

C'est la jeune élève, un rôle créé avec beaucoup de talent, de sincérité et de sensibilité par Marion Bajot, qui propose de revisiter l'ouvrage de Camus depuis le regard de Marie Cardona. Et c'est ainsi que le prof et l'élève, tantôt débattent, tantôt se replongent dans la lecture du roman pour y déceler des indices de sa présence tout au long du texte, mais surtout pour tenter d'imaginer ce que ressent ce personnage face à l'homme qu'elle aime, devenu meurtrier et passé au crible de sa condamnation.

© Gilbert Scotti.
© Gilbert Scotti.
La pièce évite soigneusement et avec habileté toute théorisation. Jean-Baptiste Barbuscia, auteur et metteur en scène, a misé sur l'art du jeu théâtral pour s'interdire de donner des leçons. Il a ainsi écrit des scènes très vivantes où ses interprètes passent rapidement de rôles à d'autres. Il profite également des très grands talents de sa comédienne, qui s'identifie parfaitement à cette jeune élève, vive, sans filtre, de notre époque, et à son comédien, Fabrice Lebert, capable de camper une bonne partie des personnages qui traversent le roman avec un art consommé de la comédie.

Usant d'un tableau noir doublé d'un tulle sur lequel vont s'accumuler les symboles des lieux et des personnages du roman au fil de la pièce, d'un pupitre et d'une lampe, puis d'un grand drap pour nous transporter sur la plage brûlée de soleil d'Algérie où se déroule le drame, sa mise en scène fonctionne parfaitement et permet de suivre les bonds et les rebonds de l'enquête menée par l'élève et le prof. C'est ingénieux, bien soutenu par les lumières de Sébastien Lebert, manié à vue et en jeu par les deux interprètes sans que le rythme en soit affecté.

© Gilbert Scotti.
© Gilbert Scotti.
Une question se pose à la fin du spectacle : comprend-on tout ce dont il est question si l'on n'a pas lu le roman de Camus ? Il y a un véritable effort pour rendre compréhensible et vivant l'histoire originale, à l'aide de visuels, d'échanges et de scènes interprétées, mais cela suffit-il ? Quoi qu'il en soit, le premier récit, celui de la relation naissante et de l'attrait commun et passionné pour l'enquête qu'ils mènent, au travers des feuillets du livre, entre l'élève et le prof, est déjà une intrigue passionnante, bien menée, drôle et percutante. À elle seule, elle fait goûter avec plaisir l'esprit vif et percutant de la pièce.

Jean-Baptiste Barbuscia a pris le prétexte de la lettre envoyée par Camus à son instituteur lorsqu'il reçoit son prix Nobel de littérature, pour faire surgir de ses souvenirs une professeure qui lui fit découvrir, lorsqu'il était enfant, la littérature. Une jolie manière de rendre hommage aux miracles qui peuvent parfois exister entre un enfant, une enfant et un professeur ou une professeure. Des rencontres qui peuvent servir de base à toute une vie.
◙ Bruno Fougniès

"L'Étrangère"

© Gilbert Scotti.
© Gilbert Scotti.
Librement inspiré de "L'Étranger" d'Albert Camus ( aux Éditions Gallimard).
Adaptation : Jean-Baptiste Barbuscia.
Mise en scène : Jean-Baptiste Barbuscia.
Avec : Marion Bajot et Fabrice Lebert.
Créateur lumière et vidéo : Sébastien Lebert.
Arrangement musical : Benjamin Landrin.
À partir de 13 ans.
Durée : 1 h15.

•Avignon Off 2025•
Du 5 au 26 juillet 2025.
Tous les jours à 13 h 30. Relâche le jeudi.
Théâtre du Balcon, 3, rue Guillaume Puy, Avignon.
Réservations : 04 90 85 00 80.
Courriel : contact@theatredubalcon.org
>> theatredubalcon.org

Bruno Fougniès
Mercredi 16 Avril 2025

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"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
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"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

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Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
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Brigitte Corrigou
12/04/2025
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"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

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Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

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Yves Kafka
30/08/2024