Prenant appui sur le "Discours sur la servitude volontaire" écrit en 1548 par un tout jeune homme, sans en trahir aucunement l'esprit, mais en le faisant entendre au travers d'une écriture théâtrale contemporaine émaillée de références parlant au spectateur des années 2020, la proposition artistique de Jacques Connort fait figure de détonation, une déflagration trouant le consensus du prêt à penser confortable. Le couple infernal, tyran sans foi et peuple soumis, ne pourrait-il exister qu'avec l'assentiment des deux parties ? Dur à entendre que bourreau et victimes s'accorderaient l'un à l'autre, que l'un ne pourrait exister sans la complicité de l'autre. Et pourtant…
Au terme d'une heure et quart d'un soliloque explosif, l'ancien magistrat tutélaire - incarné superbement par un Jean-Paul Farré au zénith de sa forme - aura réussi à semer un sérieux doute en chacun et chacune… Et si la servitude était "en fin de compte" affaire de l'individu, acceptant, consentant à être assujetti sans développer en actes une réponse rétablissant ses prérogatives de sujet de l'existence que les puissants prétendent lui ravir ? Là est la question (selon Hamlet…).
Au terme d'une heure et quart d'un soliloque explosif, l'ancien magistrat tutélaire - incarné superbement par un Jean-Paul Farré au zénith de sa forme - aura réussi à semer un sérieux doute en chacun et chacune… Et si la servitude était "en fin de compte" affaire de l'individu, acceptant, consentant à être assujetti sans développer en actes une réponse rétablissant ses prérogatives de sujet de l'existence que les puissants prétendent lui ravir ? Là est la question (selon Hamlet…).
Dans sa robe rouge (fripée) de magistrat lui donnant l'allure d'un vieux sage extrait tout droit d'un tableau de maître de la Renaissance italienne, l'acteur arpente les travées en contant le grand privilège que celui d'être convié au lever du roi par qui le jour ainsi était autorisé à naître. Chaque dignitaire admis ne s'y pressait-il pas avec envie afin de ne rien rater de la sérénissime défécation sur la chaise dite d'affaires ? Et joignant le geste à la parole, l'acteur relève sa docte robe pour venir poser son séant sur le grand fauteuil trônant sur fond d'une galerie de glaces reflétant les privilégiés (les spectateurs) conviés à la cérémonie. Grandeur et petitesse de la nature humaine, et citant Montaigne, l'ami de La Boétie, le commentaire narquois fuse : "Si haut que l'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul"…
Le ton est d'emblée donné, au-delà de la gravité du sujet abordé, l'humour railleur – comme une respiration bienvenue – sera de bout en bout de la partie. Avec une force de persuasion fondée sur des exemples concrets – "Qu'un homme puisse jouer comme un enfant avec ses petits soldats, n'est-ce pas extraordinaire ?" – l'acteur, dans une adresse frontale, fait toucher du doigt des vérités politiquement incorrectes… Ce désir de puissance lové au creux de la nature humaine, qui ne l'a jamais ressenti ? Oh bien sûr, l'être ordinaire a moins le loisir de lui laisser libre cours… Toujours est-il que le monde est rempli de petits tyrans potentiels, les grands ayant seulement à leur disposition un arsenal important les autorisant à satisfaire ce penchant.
Le ton est d'emblée donné, au-delà de la gravité du sujet abordé, l'humour railleur – comme une respiration bienvenue – sera de bout en bout de la partie. Avec une force de persuasion fondée sur des exemples concrets – "Qu'un homme puisse jouer comme un enfant avec ses petits soldats, n'est-ce pas extraordinaire ?" – l'acteur, dans une adresse frontale, fait toucher du doigt des vérités politiquement incorrectes… Ce désir de puissance lové au creux de la nature humaine, qui ne l'a jamais ressenti ? Oh bien sûr, l'être ordinaire a moins le loisir de lui laisser libre cours… Toujours est-il que le monde est rempli de petits tyrans potentiels, les grands ayant seulement à leur disposition un arsenal important les autorisant à satisfaire ce penchant.
Le questionnement amorcé se poursuit par la récitation de la liste impressionnante des dictateurs de tous horizons ayant ensanglanté le XXe siècle et le début du millénaire présent, illustrant s'il en était besoin le manque de discernement des peuples ne retenant aucunement les leçons du passé. Pourquoi alors continuer à obéir à un pouvoir nocif ? Le faible se soumet au fort, c'est là un accord tacite… Chacun attend tout de l'autre pour réagir. Rien n'est plus difficile qu'agir ensemble… La force du tyran n'est que celle des autres, celle des militaires, des policiers, mais aussi des zélés fonctionnaires devenant les scribes de la violence instituée, sans parler de celle de la foule des anonymes rentrés sagement dans le rang… Ainsi le public, présent sur le plateau par le biais des immenses miroirs tapissant le fond de scène, est-il directement impliqué dans la (dé)monstration du processus à l'œuvre…
La folie des tyrans ne serait rien en effet sans la folie des peuples. C'est par l'habitude d'obéir aveuglément et d'apprendre sans discernement que l'on prend goût à la conformité érigée en valeur, de là l'acceptation passive de l'inacceptable. Ainsi toute société, au lieu de subir la tyrannie, la désirerait-elle, la liberté faisant peur… Bien sûr, on pourrait citer des contre-exemples, comme celui de ce jeune homme anonyme se dressant seul devant les chars de la place Tiananmen, celui de cette journaliste dénonçant à la télévision russe les mensonges de son président, ou encore celui de ces femmes iraniennes sortant dans les rues de Téhéran les cheveux libres de tout voile, mais ce ne sont là que des exceptions confirmant la règle : les peuples sont "déterminés" pour suivre (même en râlant) le chemin tracé.
Quant à la clôture de cette adresse magistrale au public, captivé par la dialectique finement huilée ouvrant sur des horizons d'attente plaçant chacun au centre de son devenir, elle emprunte à l'actualité hexagonale ses figures inquiétantes, de nature à solliciter en chacun, en prévision des prochaines échéances, le pouvoir personnel dont il est le seul dépositaire.
L'art dramatique, le théâtre, conçu comme lieu de questionnement mettant en abyme un texte classique avec des réalités contemporaines, est à saluer comme un bien commun qui, outre le plaisir immédiat ressenti face à cette performance d'acteur, nous transmet l'envie enivrante de devenir maître de notre existence.
Vu le dimanche 9 juillet 2023, salle Van Gogh, Théâtre Le Petit Louvre, Avignon.
La folie des tyrans ne serait rien en effet sans la folie des peuples. C'est par l'habitude d'obéir aveuglément et d'apprendre sans discernement que l'on prend goût à la conformité érigée en valeur, de là l'acceptation passive de l'inacceptable. Ainsi toute société, au lieu de subir la tyrannie, la désirerait-elle, la liberté faisant peur… Bien sûr, on pourrait citer des contre-exemples, comme celui de ce jeune homme anonyme se dressant seul devant les chars de la place Tiananmen, celui de cette journaliste dénonçant à la télévision russe les mensonges de son président, ou encore celui de ces femmes iraniennes sortant dans les rues de Téhéran les cheveux libres de tout voile, mais ce ne sont là que des exceptions confirmant la règle : les peuples sont "déterminés" pour suivre (même en râlant) le chemin tracé.
Quant à la clôture de cette adresse magistrale au public, captivé par la dialectique finement huilée ouvrant sur des horizons d'attente plaçant chacun au centre de son devenir, elle emprunte à l'actualité hexagonale ses figures inquiétantes, de nature à solliciter en chacun, en prévision des prochaines échéances, le pouvoir personnel dont il est le seul dépositaire.
L'art dramatique, le théâtre, conçu comme lieu de questionnement mettant en abyme un texte classique avec des réalités contemporaines, est à saluer comme un bien commun qui, outre le plaisir immédiat ressenti face à cette performance d'acteur, nous transmet l'envie enivrante de devenir maître de notre existence.
Vu le dimanche 9 juillet 2023, salle Van Gogh, Théâtre Le Petit Louvre, Avignon.
"De la servitude volontaire"
D'après le "Discours sur la servitude volontaire" d'Étienne de La Boétie.
Texte : LM Formentin.
Mise en scène : Jacques Connort.
Avec : Jean-Paul Farré.
Décor : Jean-Christophe Choblet.
Costume : Isabelle Deffin.
Musique : Raphaël Elig.
Lumières : Arthur Deslandes.
Durée : 1 h 30.
•Avignon Off 2023•
Du 7 au 29 Juillet 2023.
Tous les jours à 14 h 50. Relâche le mercredi.
Théâtre Le Louvre, Salle Van Gogh, 23 rue Saint-Agricol, Avignon.
Réservations : 04 32 76 02 70.
>> theatre-petit-louvre.fr
Texte : LM Formentin.
Mise en scène : Jacques Connort.
Avec : Jean-Paul Farré.
Décor : Jean-Christophe Choblet.
Costume : Isabelle Deffin.
Musique : Raphaël Elig.
Lumières : Arthur Deslandes.
Durée : 1 h 30.
•Avignon Off 2023•
Du 7 au 29 Juillet 2023.
Tous les jours à 14 h 50. Relâche le mercredi.
Théâtre Le Louvre, Salle Van Gogh, 23 rue Saint-Agricol, Avignon.
Réservations : 04 32 76 02 70.
>> theatre-petit-louvre.fr