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Avignon 2019

•Off 2019• L.U.C.A. D'où tu viens ? Qui t'es toi ? Voyage au bout des origines

Revêtus d'une salopette bleu marine traçant leur origine prolo, la poitrine fièrement épinglée des différents drapeaux des pays les ayant accueillis, Gregory Carnoli et Hervé Guerrisi, deux italo-belges petits-fils de migrants italiens, se lancent dans une conférence gesticulée effrénée à couper le souffle… et surtout la chique des identitaires. Convoquant les ressources actualisées de la science et de la généalogie, ils remontent jusqu'au point commun à toutes et à tous : Last Universal Commun Ancestor (L.U.C.A).



© Leslie Artamonow.
© Leslie Artamonow.
Et, grâce à leur énergique humour décapant, on découvre in fine l'incroyable vérité que les complotistes de tout poil auraient bien voulu nous cacher : nous sommes tous cousins, lointains certes, mais cousins ! Une révélation à faire frémir psychanalystes et anthropologues confondus (le tabou de l'inceste en prend un sacré coup…) mais encore plus les tenants d'une revendication identitaire pouvant - à son extrême - aboutir aux théories nauséabondes du Grand Remplacement agité comme un torchon rouge par les adeptes de Camus (pas Albert, écrivain pourtant de "La Peste", mais Renaud, celui qui véhicule la peur de l'étranger).

OVNI… "L.U.C.A." l'est à coup sûr. Un objet de haut vol sans frontières, non identitaire… et libertaire à souhait. Qu'on en juge sur pièces. Après la découverte par des archéologues en 1974 de Lucy (qui doit son nom à la chanson des Beatles "Lucy in the Sky with Diamonds") dans la corne de l'Afrique, établissant que l'Homme est africain (?!), des travaux de pointe de la science contemporaine font reculer notre origine à une cellule souche dans laquelle est inscrite l'ADN de l'humanité. C'est elle l'ancêtre commun universel de qui nous descendons, on tient là le Big Bang de l'espèce vivante.

© Leslie Artamonow.
© Leslie Artamonow.
Alors, concrètement, quand on dit que l'on est d'ici ou de là, que nos parents étaient ci ou ça, on raccourcit considérablement la portée de la lorgnette d'observation et on fait preuve d'une myopie "gigantissime" empêchant de voir plus loin que le bout de son nez. Et les deux complices face à nous, s'ils n'ont pas revêtu leur nez d'un appendice de clown, sont suffisamment experts en l'art d'instruire tout en amusant pour être poétiquement "voyants". Et c'est ainsi par le biais d'un humour dont ils ne se départissent jamais, que les choses essentielles vont être révélées…

Craie à la main, ils s'appliquent à dessiner au sol un immense arbre généalogique enrichi par une analyse de leur ADN afin d'identifier les groupes ethniques qui traversent leur lignée. Ainsi, ils reparcourent l'espace-temps de 25 000 ans pour en conclure… que leur parcours recoupe "étrangement" celui des migrants actuels, traversant la méditerranée pour rejoindre les côtes européennes. La restitution de cette découverte à leur famille, n'est pas sans réserver quelques réactions brutes de décoffrage.

© Leslie Artamonow.
© Leslie Artamonow.
Partant de leur propre histoire de migrations, de celles de leurs aïeux et d'autres exilés, ils évoquent les réflexions suscitées par l'arrivée de nouveaux migrants. L'on s'aperçoit alors que l'expérience personnelle de la migration ne "vaccine" aucunement contre le réflexe identitaire se traduisant par le rejet plus ou moins acté de l'étranger nouvel arrivant. Les préjugés sont légion, et les entendre de façon décalée met en abyme les idées reçues "à l'insu de notre plein gré".

C'est toujours la même violence qui se répète… "T'as honte d'avoir été dans la même misère que ces gens-là ?" déclenche tous les clichés racistes éculés, jusqu'au haineux "Une bombe atomique, et on n'en parle plus !". Mais lorsque ce sont des gens que l'on aime qui énoncent cela le plus tranquillement du monde, on se sent pour le coup démuni : "Si je ne réagis pas, je me sens coupable… Je ne sais pas quoi faire… La mémoire choisit l'oubli pour survivre". En contrepoint, les deux conférenciers acteurs migrants se prennent dans les bras avec en fond d'écran la photo de la cellule originelle.

Drôle, énergique, personnel et fort documenté, "L.U.C.A." est, à ne pas s'y tromper, un manifeste décillant les yeux embourbés par les discours identitaires et les préjugés "encrés" en chacun. En mettant le public en situation de questionnement, il réalise ce que l'on attend du théâtre : une représentation du réel qui, loin de tout didactisme enfermant, ouvre l'espace du jeu propice à l'élaboration d'une réflexion sur ce que nous sommes en tant que sujets. Migrant par essence.

"L.U.C.A."

© Leslie Artamonow.
© Leslie Artamonow.
Conception et texte : Hervé Guerrisi et Gregory Carnoli.
Avec : Hervé Guerrisi et Gregory Carnoli.
Mise en scène : Quantin Meert.
regard extérieur : Romain David.
Mouvement : Elia Lopez.
Assistanat : Laurence Briand.
Costumes : Frederick Denis.
Création lumière et vidéo : Antoine Vilain.
Son : Ludovic Van Pachterbeke.
Régie son : Thomas-Tristan Luyckx.
Vidéo : Arie Van Egmond.
Création Cie Eranova.
Durée : 1 h 45.
À partir de 14 ans.

© Leslie Artamonow.
© Leslie Artamonow.
•Avignon Off 2019•
Du 5 au 25 juillet 2019.
Tous les jours à 17 h 30, relâche les 11 et 18.
La Manufacture/La Patinoire
2 bis, rue des écoles.
Réservations : 04 90 85 12 71.
>> lamanufacture.org

Yves Kafka
Mercredi 17 Juillet 2019

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À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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… face aux normalisations sociétales et idéologiques

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© Philippe Hanula.
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N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024