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Théâtre

"Gaviota" (d'après "La Mouette" de Tchekhov) Les âmes fantômes incarnées par la grâce de cinq belles interprétations

Le dispositif mêle les interprètes aux spectateurs dans cette petite cabane de toile, la cabane Napo, montée au bord de la pinède du Domaine d'O, lors de ce Printemps des Comédiens 2024. Ici pas de scène, pas d'entrées et de sorties des personnages, pas de décors évolutifs, ni de changements de costumes, ni de projections vidéos, à part le texte en français projeté aux quatre horizons (le spectacle est en espagnol), ici, tout le monde est assis autour d'une table.



© Francisco Castro Pizzo.
© Francisco Castro Pizzo.
Un fameux bazar, bordel, dirons-nous, sur cette grande table carrée où s'amoncellent des fins de tout un tas de trucs, des verres jetables sales, des restes de paquets de chips, des miettes, des bouteilles d'eau en plastique, rouleaux d'essuie-tout, paquets de gâteaux secs, bouchons et des trucs à moitié usagés, verres de vin à moitié bus, bouteilles de jus ou de vin entamées, restes de restes de restes qui sentent la fin d'une longue réunion dans une semi-obscurité qui laisse penser qu'on est plus proche du lever du jour que du coucher du soleil. Tard.

Autour de cette grande table, une vingtaine de chaises et puis un premier cercle de chaises autour, et encore un tour de chaises un peu en hauteur comme si l'on avait voulu construire une arène miniature, ou l'intérieur d'un chapiteau de cirque, avec le plateau de la table couvert de restes de grignotages et de cadavres de bouteilles pour piste, une piste sur laquelle doit se dérouler les jeux. Le public est sur les chaises. Et parmi ce public, sur chacun des bords de la table, cinq comédiennes qui s'échangent quelques mots, remplissent leurs verres et grignotent pendant que les derniers spectateurs finissent de remplir l'arène dans la douce semi-obscurité qui règne et apaise.

© Francisco Castro Pizzo.
© Francisco Castro Pizzo.
De ces cinq comédiennes vont surgir les présences des principaux personnages de la pièce de Tchekhov par la magie d'interprétations puissantes, investies, presque hypnotiques et, surtout, d'une énergie qui irradie très vite tout l'espace. Nina, Kostia, Trigorine, Arkadina et Macha échangent, dialoguent, jouent le drame de "La Mouette", et l'on pourrait les toucher du bout du bras. Les cinq comédiennes, toutes différentes, d'âges, de physiques, de tempéraments, réalisent une performance impressionnante et parviennent, grâce à un jeu très investi, à rendre les personnages vivants et les intrigues de chaque scène palpitantes.

Guillermo Cacace, le metteur en scène argentin de Gaviota, a choisi chacune d'entre elles pour créer ce spectacle qu'on pourrait qualifier de hors normes, mais c'est plutôt l'inverse qui lui convient, un spectacle calibré qui concentre le propos de la pièce à son essence et en fait suinter toute la force dramatique, émotionnelle. Et c'est le personnage de Macha, servante de la maison, sorte de pilier du lieu qui s'occupe du fils, du frère et du reste de la vie au bord du lac lorsque Arcadina est à Moscou, Macha qui grandit dans cette mise en scène et devient celle qui offre sa vision aux spectateurs, elle qui seule finit par quitter cette maison, seule rescapée.

© Francisco Castro Pizzo.
© Francisco Castro Pizzo.
La proximité, la disposition particulière de cette représentation, la réduction de la pièce aux trames principales de l'œuvre donnent à "Gaviota" une force particulière, les spectateurs étant mis dès les premières minutes dans un état d'esprit de décontraction qui permet d'en apprécier toutes les phases, mais c'est essentiellement le jeu, l'interprétation des actrices qui touchent au cœur, en plus de la direction de Guillermo Cacace. À la fin de la représentation, autour de la table, plusieurs regards sont brillants, quelques larmes sont essuyées furtivement du bout des doigts, une des comédiennes attrape deux feuilles d'essuie-tout sur la table et les tend à un couple de jeunes spectateurs à côté d'elle, qui ne parviennent pas à sécher leurs yeux.

Et l'on comprend alors tout le dispositif de jeu, le bordel qui est comme le miroir de l'abandon progressif qui traverse la pièce de part en part, la nécessaire proximité avec les actrices pour n'avoir aucun doute sur les troubles qui traversent leurs personnages et l'ambiance de l'espace autour, où l'attention extrême est presque palpable dans une pénombre qui pourrait faire penser aux atmosphères de ces étranges séances de spiritisme qui tentent de faire renaître les âmes mortes.

Vu le 2 juin à la Cabane Napo - Domaine d'O, 178, rue de la Carriérasse, Montpellier (34).

"Gaviota"

D'après "La Mouette" d'Anton Tchekhov.
Spectacle en espagnol surtitré en francais.
Mise en scène : Guillermo Cacace.
Avec : Clarisa Korovsky, Marcela Guerty, Paula Fernandez MBarak, Muriel Sago et Romina Padoan.
Dramaturgie : Juan Ignacio Fernández.
Photographie : Alejandra Lopez.
Conception graphique : Leandro Ibarra.
Assistanat à la mise en scène : Alejandro Guerscovich.
Production : Romina Chepe.
Avec le soutien de l'Onda - Office national de diffusion artistique.
À partir de 14 ans.
Durée : 1 h 30.

A été joué à la Cabane Napo - Domaine d'O à Montpellier du 30 mai au 2juin 2024 dans le cadre de la 38e édition du Printemps des Comédiens (du 30 mai au 21 juin 2024).
>> printempsdescomediens.com

Tournée
Du 22 au 27 août 2024 : Noorderzon Festival of Performing Arts and Society, Groningen (Pays-Bas).
Du 29 au 31 août 2024 : FITT Noves Dramaturgies, Tarragone (Espagne).

Bruno Fougniès
Mercredi 26 Juin 2024

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© Betül Balkan.
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